Chapitre 3

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Une infirmière me met dans une chaise roulante pour m'emmener chez le psychologue. Je ne me suis toujours pas regardée dans une glace. Je ne sais pas à quoi je ressemble. Est-ce que je suis défigurée ? Est-ce qu'on m'a coiffé quand j'étais dans le coma ? Mes jambes presque inertes me filent la nausée.

L'infirmière me conduit devant une porte en bois et la pousse. Elle me fait rentrer en me posant des tonnes de questions sur ma vie d'avant. La vie que je n'aurais sans doute plus jamais.

- Tu penses faire quelle étude ?

Si seulement je savais. Mais plus rien n'a de sens à mes yeux.

- Droit, je mens.

Elle semble heureuse de la réponse et me positionne en face d'une chaise à roulette vide. Elle me laisse ensuite en refermant la porte derrière elle. Je patience durant de longues minutes, mes doigts pianotant sur mes cuisses. J'observe le cabinet dans lequel je me trouve. Il ne ressemble pas vraiment à un cabinet normal, excepté le bureau. Les murs sont d'un jaune immonde, il y a des photos partout, des coussins en forme d'animaux, des guirlandes et j'aperçois même dans une malle, des costumes.

Je patiente pendant cinq bonnes minutes avant que le psy n'entre par la porte derrière son bureau. Il me sourit.

- Je suis le docteur Henan. Diplômé d'Harvard si jamais tu te demandes.

Il a du voir ma réticence au vu de tous ses trucs d'enfants dans cette pièce.

- Tu dois être Eden.

Je hoche la tête et croise les bras sous ma poitrine. Je le regarde s'installer à sa chaise pivotante et fermer les yeux. Qu'est-ce qu'il fait ? Il s'endort ou je rêve ?

- Commençons. Tu es ici pour la mort de ton meilleur ami ?

Je suis offusquée par la manière dont il procède à ce rendez-vous. Je pensais...qu'il serait moins brusque. A quoi je m'attendais de toute façon ? Je n'ai jamais été chez un psy de ma vie. 

- Je vois pas pourquoi je serais là, sinon, dis-je ironiquement.

Il rouvre ses yeux bruns pour les plonger dans les miens.

- Es-tu triste ? Je te sens beaucoup plus en colère.

- Bien-sur que je suis triste, m'écrié-je énervée avant de refermer la bouche.

Il sourit, sans moquerie.

- Oui, la rage prime sur le reste. C'est compréhensible. Tu le connaissais depuis combien d'années ?

- Ca fait 10 ans. Je n'ai pas pu aller à son enterrement, en plus.

C'est peut-être ça qui m'énerve le plus. Ne pas avoir été là pour lui dire au revoir. Ne pas avoir dit quelque chose à son sujet pour sa famille. Ne pas avoir qu'il était tout pour moi et que je l'aimais. Que ça avait été le meilleur ami parfait. Tant de choses que je n'ai pas pu dire.

- Te souviens-tu de l'accident, Eden ? Tout ce qui s'est passé ce jour-là ?

Je me remémore ce jour si spécial. Je voulais dire à Jeremy que je l'aimais plus que comme un ami, mais ma timidité m'avait bloquée. Sur le moment, je n'avais pas su quoi dire exactement, alors que dans ma tête, les mots se déliaient. Je savais ce que je voulais dire, mais je n'en avais pas été capable tout simplement. J'avais eu peur que ce ne soit pas réciproque.

- J'ai glissé de la falaise et en voulant me retenir, Jeremy est tombé avec moi. On s'est écrasés sur un rocher.

Le psy me fixe avec curiosité.

- Ce n'est pas exactement ce qui s'est passé. Ta mémoire a voulu te protéger de beaucoup de choses cette journée-là. Tu en as oublié les détails principaux et tu veux porter le chapeau.

Je fronce des sourcils. De quoi il parle ? Je me souviens de tout. Je n'ai pas inventé, ni changé les détails. C'est bien trop réel pour être faux.

- Tu n'as pas glissé la première Eden.

Ses paroles se frayent un chemin dans mon cerveau.

- Jeremy a glissé le premier.

Je ne m'en souviens pas. J'aurais vraiment tout changé. Pour me protéger ?

- Tu l'as retenu par le bras mais à cause de la chaleur, il glissait. Tu l'as tenu par la main de toutes tes forces. Jeremy pendait dans le vide. Tu as essayé, tu as fait tout ce que tu pouvais. Mais tu n'as pas pu le retenir plus longtemps. Même en usant de toutes les stratagèmes pour ne pas lâcher. Il est tombé dans le vide. En te penchant pour le rattraper une seconde fois, tu es tombée la tête la première. Tu n'as pas pu t'accrocher à un rocher. Tu t'es écrasée sur Jeremy qui a amorti ta chute. Il est mort sur le coup.

J'étouffe un sanglot, la main sur ma bouche. Mes épaules tremblent, secouées par des sanglots qui menacent de s'échapper. Je suis incapable de parler, de contester ce qu'il dit. Parce que c'est vrai. J'aurais tellement voulu être morte à la place de lui. Il méritait de vivre, d'avoir de folles aventures, d'aimer quelqu'un, d'être heureux et de vieillir.

- Tu ne dois pas te sentir coupable de ce qui s'est passé. Rien n'est de ta faute, ni de la sienne.

Je me sens vide. Et toujours si coupable.

- C'est moi qui l'ait emmené au sommet du rocher. Il ne voulait pas y aller au départ. Mais je l'ai convaincu. C'était l'endroit idéal pour lui dire que je l'aimais.

Le psy m'observe et me tend une boite de mouchoir. Je la prends et la pose sur mes genoux. J'attrape un mouchoir et me mouche bruyamment. Mes yeux pleurent mais je n'efface pas mes larmes. Elles sècheront malgré tout.

- Nous avons très bien avancés aujourd'hui. Tu es une fille courageuse Eden. N'oublie jamais ce que tu as fait pour Jeremy.

Ton âme dans la mienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant