Chapitre 14

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La neige commence déjà à disparaitre. Nouvel an est passé. Je l'ai passé en famille comme chaque année. Je ferme la porte derrière moi et manœuvre avec mes béquilles pour ne pas tomber et me casser une jambe. Ce serait vraiment dommage de rester alitée.

J'avance sur le trottoir. Les voitures passent en faisant doucement sur la route. Je me balade tranquillement. Bientôt, je pourrais abandonner mes cannes. Plus vite sera le mieux. Après une demi heure, je décide de rentrer.

Je fais des recherches sur Kiéran. Champion de natation. Beaucoup de photos de lui dans la piscine. Pas de compte facebook, ni d'instagram ou encore de twitter. Rien. Etrange pour un garçon de son âge. Je ne suis pas très réseaux sociaux mais j'ai facebook malgré tout.

Je suis déçue de ne rien trouver. Mais il y a des articles sur le fait qu'il est dans le coma. J'apprends également qu'il est orphelin. Pas de parents. Pas de famille tout simplement. Oh. Voilà pourquoi personne ne vient le rendre visite. Il n'a plus personne. Raison de plus pour aller le voir.

Je réponds encore à quelques messages. Je réalise que mon post d'hier soir a plus de mille j'aime. Heu...qu'est-ce qui se passe ? J'ai encore des demandes d'amis qui se multiplient. Je ne sais pas trop ce qui se passe. Je fronce des sourcils devant tous mes messages. Impossible de répondre à tout le monde, je vais devenir folle. Et puis, d'où vient toute cette agitation ? C'est parce que j'ai été dans le coma ? En quoi ça peut les intéresser ?

Je mets un peu de musique dans ma chambre. Ce silence pesant est stressant. Je ne sais pas trop quoi faire. Je m'ennuie à rester toute seule. Je ne fais rien de mes journées à part un peu de marche. Je m'empiffre.

La reprise du sport sera difficile, je le sens. Je n'ai plus aucun muscle. Tout a disparu pendant mon coma. Je me lève pour rejoindre la salle de bain. Je me contemple dans le miroir. Mon teint est blanc comme de la porcelaine. Vivement que je reprenne des couleurs. J'ai moins de cernes. En voyant mes lèvres gercées, je bois un peu d'eau du robinet. Mes cheveux ont poussé. Trop. Je n'ai plus eu une longueur comme ça depuis mon enfance. Je demanderais à ma mère de couper un peu.

Je prends mon téléphone et appelle un taxi. Il va m'amener au cimetière. J'attends une dizaine de minutes avant qu'il n'arrive. Quand il me dépose devant les grilles du cimetière, je le paie et puis descends. Le ciel est gris. Tout comme mon humeur actuelle.

J'avance dans les allées. Ne sachant pas trop comment trouver Jeremy. J'ai la chance de voir sa maman au loin. Un sourire triste étend mes lèvres. Je la rejoins en un temps record. Elle se relève en me remarquant. Je vois tout de suite ses larmes. Elle me prend dans ses bras et me serre contre elle.

- Je suis heureuse que tu sois venue, Eden, chuchote-t-elle à mon oreille.

- Moi aussi. Je voulais absolument le voir.

J'en ai besoin pour avancer. Je dois faire mon deuil de lui, de mon amour profond pour sa personne. Ne plus aimer le fils d'Isabelle. C'est dur mais j'y arriverai. Je ne l'oublierai pas mais je dois passer à autre chose.

- Je vais vous laisser seuls. A bientôt Eden.

Elle presse mon épaule et me sourit avant de partir. J'aimerais m'agenouiller mais je ne suis pas sure de pouvoir me relever. Je m'appuie sur mes béquilles et soupire en regardant le ciel. Les nuages sont de plus en plus nombreux.

- Salut Jeremy. Ca fait longtemps. Ta pierre tombale est très belle. Les fleurs aussi. Je me doute que ta mère vient presque tous les jours te voir. Je n'ose imaginer la peine qu'elle ressent. Même après quatre mois. 

Je reste debout à fixer la tombe, le prénom écrit dessus. C'est dur d'être là. Me rendre compte qu'il est vraiment mort. Qu'il est parti et que je ne le reverrai plus jamais. C'est fini. Nous n'irons pas à l'université ensemble, on ira plus jamais en voyage, on ne fera plus de fête tous les deux. Plus rien n'est pareil. Je le ressens. Avant, il arrivait des fois très tôt chez moi et me réveillait en fanfare. J'aimais pas mais en même temps, j'étais contente de le voir. Il préparait les meilleures pizzas au monde. C'était le garçon parfait. Tout le monde aurait aimer l'avoir en ami, en beau-fils, en frère. La gentillesse incarnée.

- Je te promets de revenir te voir. Et comme tu le sais surement, je dois aussi aller voir un autre garçon. J'ai le sentiment qu'il a besoin de moi. Il n'a pas de famille. Ses amis ne semblent pas le rendre visite. J'ai l'impression que c'est moi qui doit l'aider. Le soulager pendant qu'il est dans le coma. Moi j'ai rêvé d'énormément de choses. Peut-être que lui ne rêve de rien. Je ne sais pas. En tout cas, je veux le connaitre.

Je glousse devant la débilité de mes paroles.

- C'est ultra bizarre de dire ça. Je ne le connais pas et je ne fais pas aussi facilement confiance aux gens. Mais avec lui...c'est différent. On a vécu la même chose. Quand il réouvrira les yeux, je ne veux pas qu'il soit livré à lui-même. Je veux l'aider à retrouver ses repères. Qui sait, s'il se souvient de toute sa vie. Je sais que tu le comprends. Si tu avais été dans le même cas que moi, tu aurais fait la lecture à tout l'hôpital, tu aurais chanté des chansons aux bébés, tu aurais fait le Saint-Nicholas et même le père Noel. Je n'ai pas une âme aussi gentille que toi. 

Je recule déjà, prête à partir.

- La prochaine fois, tu auras des fleurs et je marcherai parfaitement. Je t'aime Jeremy.

Je le quitte et rappelle un taxi qui vient me chercher quelques minutes après. Il me dépose chez moi. Je passe la porte d'entrée et une bonne odeur de pizza embaume la maison. Je suis la senteur jusque dans la cuisine. Dylan vérifie leur cuisson dans le four. Il a mis l'un des tabliers de maman. Il est assez marrant avant. Surtout que le tablier a pleins de chats dessus. Je mets mes béquilles contre le mur.

- Miam. J'ai une faim de loup, annoncé-je en enlevant ma grosse doudoune.

Maman relève la tête de son livre de cuisine. Comme d'habitude, elle est assise à la table et feuillette les pages. Elle ne sait pas très bien cuisiner mais son copain est très doué, donc il lui apprend depuis quelques mois maintenant.

- Tu t'es bien promenée, ma puce ?

- Oui. Mais il faisait assez froid. Je préfère nettement le printemps.

- Tu m'étonnes. Tiens, serre toi un verre d'eau.

Je pioche dans le bac et me prends une bouteille que je vide en quelques secondes. Ca coupera ma faim un petit temps.

- Je vais me doucher en attendant les pizzas. Je reviens. 

Je les laisse et monte. Quand je me déshabille, j'observe mes cicatrices. Mon index poursuit la ligne de ma cuisse, mon mollet. Ce n'est pas beau mais je ne peux rien y faire. Au moins, on ne m'a pas amputé. Mon corps est à présent marqué de toute part. Que ce soit des minuscules coupures jusqu'à la grosse cicatrice. Les os de mes hanches saillent trop à mon gout. Je passe mon doigt et retiens difficilement une grimace. 

Ton âme dans la mienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant