Chapitre 9

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Mon inconnu est dans la même position qu'hier. Une mèche bouclée repose sur son front. Il est pâle, preuve qu'il n'a plus vu la lumière du jour depuis un bail. J'avance ma chaise roulante jusqu'à lui et pose une main timide sur la sienne. Elle est chaude et rassurante. Je ne le connais pas, mais je sais qu'il est gentil, généreux et attentif aux autres. Il le porte sur son visage.

Je croise mes doigts aux siens, les entrelaçant ensemble. Je me demande s'il ressent mon toucher. Si ça le dérange ou si au contraire, il apprécie ma présence. Il ne bouge pas depuis des semaines. Je commence vraiment à douter sur le fait qu'il m'entende. Je ne le saurai peut-être jamais.

Je jette un coup d'œil dans la chambre. Il y a énormément de fleurs, qui embellissent la pièce. C'est superbe. Ca apporte de la couleur, de la vie, de la douceur. Je suis contente du résultat. J'admire chaque bouquet disposé de façon belle sur les tables, les étagères, à la fenêtre.

Je détache ma main pour ouvrir mon carnet que j'ai posé sur mes genoux.

- Salut mon inconnu. J'ai pris mon carnet pour te raconter ce qui m'est arrivé hier. Je n'ai pas su te voir. J'étais très fatiguée. C'était une journée vraiment exceptionnelle, même si je ne l'ai pas montré.

Je ris nerveusement et repousse une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.

- C'est très gênant, je murmure assez fort pour qu'il puisse m'entendre. J'ai marché hier. Pour la première fois depuis des mois. Tu ne me connais pas en vrai. Je suis vraiment très sportive. Ne plus marcher, c'est me couper les ailes. Mais je n'en avais pas envie jusqu'à maintenant. Je n'en éprouvais pas le besoin. J'avais juste envie de me concentrer sur le deuil que je faisais. Je le fais toujours.

Je relâche l'air dans mes poumons et plie légèrement la feuille que je lis.

- Puis j'ai marché. Tout m'a semblé secondaire. J'ai senti véritablement le sol sous mes pieds. Je me suis sentie plus forte de minutes en minutes. La rééducation est encore longue, mais je crois que je vais réussir. Quand je serai prête, je vais gravir de nouveau une montagne, je vais remonter dans une attraction pour avoir la tête à l'envers. Je sauterai d'un plongeon à la piscine. Je vais encore plus profiter qu'avant. On a qu'une vie et elle n'est pas éternelle. La mort de Jeremy et te voir toi, m'apprend que je ne dois plus baisser les bras. Je suis vivante alors que je devrais être morte. J'y vois en quelque sorte...un signe, j'explique.

Je souris tristement en regardant la forêt que j'aperçois en contre-bas. L'hôpital est en hauteur, loin de la mer et ses coquillages. Nous avons malgré tout une belle vue. Je ressortirai bientôt.

- La mer est très belle.

Une pression sur ma main me fait sursauter et me ramène à la réalité. Je pivote vers ce qui m'a touché et je suis prise d'effroi une main sur la mienne. La paume de l'inconnu repose sur ma peau. Je relève les yeux vers son visage, surprise. Il a toujours les yeux fermés et dort paisiblement. Il n'est pas réveillé. Mais comment ça se fait qu'il ait bougé ? Ca ne lui était encore jamais arrivé auparavant. 

- Tu m'entends ? Ou alors c'est très inconscient. J'ai peur d'être déçue si je demande à quelqu'un si tu as vraiment bougé consciemment ou pas. Je suis vite déçue par les gens en général. Il faut m'excuser. En plus, je suis rancunière. J'ai des défauts vraiment chiants. Tu en as surement aussi, à part si tu es parfait, ricané-je. Mais personne n'est parfait et tant mieux.

J'observe toujours sa main. 

- Il y a des coquillages vraiment beaux ici. Une fois, j'ai même aperçu un dauphin. Il était magnifique. Apparemment quand on est en détresse, il vient t'aider. Des méduses aussi. Un petit requin inoffensif. Je n'ai pas eu peur. Un moustique tue plus de personnes qu'un requin. Quand tu te réveilleras, je t'emmènerai voir tout ça. Même si tu me connais pas. Je te rassure, je ne suis pas une psychopathe qui veut abuser de toi. Je pense surtout que j'ai besoin d'une personne près de moi. Je ressens un manque. Surement que toi aussi. Rester aussi longtemps dans un coma sans parler, c'est très dur.

Je fais une courte pause, la bouche sèche.

- Nous pourrions être amis. Je n'essaie pas de remplacer mon meilleur ami, je te rassure.  J'ai besoin de quelque chose que j'ai trouvé chez toi. Je ne sais pas comment l'expliquer. C'est compliqué. Tu pourrais te dire que je suis folle. Un peu.

Dans chaque personne sur cette terre, une petite part de folie sommeille en elle. C'est comme ça. On devrait être heureux, vivre une vie pleines d'aventures, de surprises, d'amours, de réussites. Ca ne passe pas toujours comme ça mais nous pouvons essayer de la rendre plus joyeuse et belle.

- Je ne sais toujours pas comment tu t'appelles. C'est étrange. Bientôt je le saurai. Comme tu connais mon prénom, on sera à égalité. Tu n'as certainement pas de prénoms comme Brutus, c'est assez chien. Ni de Charles, quoique ça se pourrait. J'imagine un prénom mixte comme moi. Eden n'est pas trop répandu, il me semble. Tu pourrais être un Gabriel, Raphael, Charlie, Loan, Roman. Et pleins d'autres.

Mon regard glisse sur son bras. Il n'a pas de bracelet, rien. Ses bras sont musclés mais pas trop. Juste comme il faut. Je remarque quelque chose qui brille à son cou, cachée par sa robe d'hôpital. Je tends le bras pour écarter le tissu. Je tombe sur un collier. Un médaillon plus précisément. Je me demande quelle photo il y a dedans.

- Je vais te laisser. Je reviendrai.

Je le quitte avec regret, m'assure qu'il ne manque rien, qu'il n'a pas froid. Je retourne dans ma chambre, croisant des infirmiers dans le couloir qui me regardent passer en souriant. Je prends une rapide douche, m'asseyant sur mon siège spécialement conçu pour tout types d'handicaps.

Je remarque que mon repas a été posé sur ma table roulante. Je mange en regardant la télé. Je zappe les chaines, ne trouvant pas ce que j'aime. Je déteste les télé réalités, j'aime bien les séries policières, mais je n'aime pas les films d'horreurs. Ca me fout une trouille bleue. Je trouve mon bonheur rapidement. Une bonne série ancienne. Je mange, regardant l'écran en même temps. 

Avant de m'endormir, j'applique de la crème cicatrisante sur toutes mes cicatrices. Je ne sais pas si ça va marcher. J'espère au moins qu'elle va atténuer un petit peu. Je jette un œil à mon instagram, mon facebook. J'ai pleins de messages. J'y réponds, essayant de faire court. Je regarde leurs photos. Ils ont tous l'air de s'amuser à l'université. Je les envie tout d'un coup. Ils sourient, ils boivent une bière à une fête. Et puis...il y a moi à l'hôpital.

Je me sens seule.

Ton âme dans la mienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant