C'est dans une ambiance sinistre que nous avons traversé le bois pour rejoindre la maison. Les policiers avaient accepté de nous laisser passer, entre le flot de badauds rassemblés pour venir voir la victime. Maman avait tenté de faire un détour, pour nous éviter d'être témoin de détails trop morbides, hélas, la jeune fille avait été tuée trop près de chez nous et, même si nous n'avions pas vu son visage, nous avions entraperçu sa silhouette sanglante, se découpant au milieu d'un pentagramme de fleurs blanches.
Nous n'avions rien dit. Tout le monde dans la voiture l'avait vue, et nous avions serré les lèvres, luttant contre l'horreur que cette image, aussi trouble soit-elle, avait éveillé en nous. Ma mère avait les traits fermés, elle s'était enfoncée entre les branches griffues, sur un sentier obscur, tentant par tous les moyens de nous épargner le macabre spectacle sans y parvenir.
Mais ce n'était pas ce qu'il y avait de pire dans cette histoire : bien que nous ne soyons pas passées pile en face du cadavre, j'avais eu le temps d'observer les Ipomées blanches – c'était comme ça que Pepper Shaw avait nommé les fleurs, si ma mémoire était bonne. Et ce que j'avais vu m'avait laissé une terrible sensation de... déjà-vu.
J'étais incapable d'en comprendre la raison, j'avais beau fouiller dans chaque recoin de mon esprit, à la recherche du souvenir convoqué, rien ne me venait. C'était le noir complet. Et pourtant, je savais que je les avais déjà vues quelque part, et que c'était il y avait peu de temps de cela. Ce qui m'épouvantait.
Nous avons fini par arriver à la maison et maman s'est garée à la va-vite. Elle a attrapé les sacs de courses d'un geste distrait et s'est précipitée dans la maison, Juliette et moi sur ses talons.
— Les filles ! Vous en avez mis, du temps ! s'est exclamé mon père depuis la cuisine, où se dégageait une délicieuse odeur de potiron.
Personne n'a pris la peine de lui répondre. Nous jetant sur le canapé, nous avons répété exactement la même scène que cinq jours auparavant et avons allumé la télé pour foncer sur la BCR.
Le visage de Pepper Shaw a illuminé l'écran et c'est sans surprise que nous avons découvert en arrière-plan Silverwood.
— Oh non, a gémi mon père, derrière nous.
Nous ne nous sommes pas retournées, scotchée aux lèvres de la journaliste.
— C'est avec désespoir, aujourd'hui, que Ryneshire déplore une deuxième victime, cinq jours seulement après le meurtre de la petite Amber Wu. Comme pour la jeune fille précédente, Alexandra Collins, 18 ans, a été retrouvée dans maintenant le tristement célèbre bois de Silverwood.
Pepper s'est perdue ensuite en descriptions de la scène de crime et mon attention s'est focalisée sur le nom de la victime : je ne la connaissais pas mais il m'avait suffi de lancer un coup d'œil alentour pour comprendre que le reste de ma famille n'était pas dans la même situation que moi.
Leur réaction ne laissait pas place au doute : Alexandra Collins n'était peut-être pas de Ryneshire même, mais elle faisait partie de son Coven. C'était une sorcière. Et les soupçons de mes parents s'avéraient justes.
— Étant donné que les autorités craignent l'arrivée d'un tueur en série dans notre petite bourgade, un couvre-feu sera établi dès la semaine de la rentrée des classes, afin de protéger les élèves. En attendant, il est conseillé de sortir toujours en groupe et le moins possible.
C'est sur ces paroles déprimantes que nous avons éteint la télévision. Le silence était tellement lourd dans la pièce que ma propre respiration me semblait assourdissante. Nous nous sommes lentement dirigés vers la cuisine et avons trifouillé nos assiettes sans jamais rien ramener à notre bouche.
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L'Éveil d'Alya
Genç KurguAlya Clarke descend d'une longue lignée de sorcières. Du haut de ses dix-sept ans, elle n'attend qu'une chose : son éveil, le moment où elle pourra enfin intégrer le Coven des sorcières de Ryneshire et assister aux cours de l'école de magie. Malheur...