Neela [Terminée]

115

Lorsque j'ouvre les yeux, je les referme aussitôt à cause de lumière aveuglante du soleil. Une fois que je m'y habitue, je me redresse en levant les bras. Combien de temps ai-je dormi ? Probablement des heures et des heures, puisque le ciel m'indique qu'il est aux alentours de midi.

- La forme ?

Je lève les yeux, pour m'apercevoir que Keo me regarde en étirant ses lèvres, quelques mètres plus loin. A présent, son sourire me parait factice. Car je n'ai pas oubliée la discussion qu'il a eue avec Wyatt et Clora, la veille. Ces trois-là sont loin de se douter que je les ai écoutés à leur insu. Ils pensent pouvoir continuer de me berner, de m'utiliser comme si j'étais leur pantin ... Et ça, ça me met dans une rage folle.

- Pourquoi est-ce tu fais cette tête ? me demande Keo en se rapprochant de moi pour me tendre une boite de conserve. T'as encore fait des cauchemars, c'est ça ?

- Ne fais pas semblant avec moi Keo.

Je ne reconnais pas ma voix. Elle est tranchante comme une lame de couteau, et grave, bien trop grave. Le sourire de Keo s'évanouit.

- Hein ? Qu'est-ce que tu racontes ?

Je balaye la bâtisse du regard, et me rend compte que Clora manque à l'appel. Wyatt, quant à lui, dort encore dans un coin à l'autre bout.

- Où est Clora ? dis-je en fronçant les sourcils.

- Pourquoi est-ce que t'es ...

- Dis-moi juste où elle est !

Il cligne des yeux, ahuri. Je ne me rappelle pas de la dernière fois que je lui ai parlée avec ce ton, mais c'était sûrement lorsque j'hésitais encore à le considérer comme un allié. J'aurais dû me fier à mon instinct, tiens.

- Elle est parti surveiller les environs, me réponds lentement Keo.

Je hoche la tête avant de croiser les bras sous ma poitrine.

- Keo, je pensais pouvoir te faire confiance.

- « Pensais » ? Et pourquoi c'est plus le cas ?

- Parce que je vous ai entendue hier, lorsque vous me pensiez endormie. Je sais que vous me cachez quelque chose. Alors ne fais plus semblant, s'il te plaît.

Les rayons mordorés qui tombent depuis le plafond éventré altèrent les yeux artificiels du garçon, les rendant plus clairs.

- C'est pas vrai ... marmonne-t-il. Qu'est-ce que t'as entendue, exactement ?

- Tu connais je ne sais comment le prénom de ma mère, Urmi. Et puis ... Clora a parlé d'une « mission sauvetage ». Quelle mission ? Pourquoi est-ce que vous tenez autant à me ramener dans le repère des incolores, au juste ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Dis-moi toutes ces choses que tu me caches depuis le début. Je veux tout savoir. Et ne me dis pas que je suis parano encore une fois. S'il te plaît. Parce que je ne pourrais pas le supporter.

Il me regarde pendant un long moment. Toutes sortes d'émotions différentes passent par son visage : la confusion, la colère, et enfin un sentiment qui me parait assez incongru. Le soulagement. Keo lâche un long soupir et vient s'asseoir près de moi, en posant le contenant métallique par terre.

- Bon OK, souffle-t-il en passant une main sur ses cheveux crépus, t'as raison, inutile de faire comme si de rien était. Je crois qu'il est temps pour toi de connaître la vérité.

J'ignore pourquoi, mais cette phrase me donne des sueurs froides. Parce qu'elle confirme ce que je pensais : Keo m'a mentit. Peut-être qu'au fond de moi, j'espérais qu'il me contredise. Je le regarde triturer sa montre d'un geste nerveux, en évitant mon regard. Maintenant qu'il n'a plus son bracelet, cet appareil servant à donner l'heure est devenue la nouvelle victime de ses longs doigts. Même si je meurs d'impatience de l'entendre me parler, je lui laisse néanmoins le temps qu'il faut pour se préparer mentalement. C'est-à-dire, presque deux minutes. Qui m'apparaissent plutôt comme deux heures ...