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- Bonsoir maman, dis-je d'une voix à peine audible.

Elle jette un regard circulaire dans la pièce, s'attarde sur le désordre que j'ai mis sans le vouloir, puis sur la télévision qui est toujours allumée. Ses yeux s'écarquillent un instant, à peine une seconde, avant que ses sourcils se mettent à se froncer.

- Qu'est-ce que c'est que ça, Neela ? s'écrie-t-elle en se ruant face à moi. Éteins moi ça, tout de suite !

Je m'exécute un peu trop rapidement, sonnée par son comportement incongru. Une fois que la télévision est éteinte, je regarde ma mère en attendant qu'elle me donne des explications. Elle ne le fait pas, alors je prends mon courage à deux mains.

- ... Qu'est-ce qu'il y a ?

- Ce qu'il y a ? répète ma mère en gardant ses lèvres pincées et son regard glacial. Tu es une rouge Neela, une rouge. Tu ne peux pas te permettre de te documenter sur les rebelles ! Tu veux que les autres te prennent pour une traître, c'est ça ?

Je me lève lentement en faisant un effort pour ne pas soupirer. Je ne sais pas pourquoi, mais sa dernière phrase a réussi à faire battre mon cœur plus vite.

- Je ne suis pas une traitre, égrené-je d'une voix neutre. Et je ne sais pas ce qui vous fait tous penser ça. J'aime mon pays, ma région, et je ... Ce n'est pas parce que je regarde un reportage sur les incolores que j'ai envie d'en être une.

De toute façon, on ne peut pas devenir incolore. On naît, et on l'est. Sans pouvoir passer l'opération pour changer l'iris de nos yeux. Si je suis née rouge, et qu'on m'a donné les yeux rouges, alors je resterai rouge. Ma mère le sait. Alors pourquoi est-elle en colère ?

- Tu ne te rends pas compte de toutes les bêtises que tu fais Neela, continue-t-elle en pointant son index sur moi. Et tu ne te rends pas compte de tous les efforts que je dois faire pour palier à ton manque de maturité. Si tu ne te ressaisis pas rapidement ma fille, tu ne réussiras jamais à être une soldate rouge. Pourquoi est-ce que tu ne le comprends pas ?

Mon cœur se serre. Ma journée a été bien assez pénible comme ça, il faut en plus que ma mère rajoute une couche ... Je prends une inspiration.

- Maman ... Je n'ai rien fait d'autre que de regarder la télévision. Si les reportages sur les incolores étaient interdits, ils n'en diffuseraient tout simplement pas.

- Ma fille, ce n'est pas ça le problème. Le problème, c'est que tu as déjà assez de mal à être une bonne française rouge, et que tu ne fais strictement rien pour t'améliorer. Si tu étais une bonne citoyenne, tu n'aurais jamais regardé cette émission. Parce que tu saurais que s'informer sur les incolores est une perte de temps. Tout comme tu n'aurais pas été au centre d'une dispute ce midi.

Cette-fois-ci, je soupire pour de bon.

- Tu es au courant, murmuré-je en croisant les bras sous ma poitrine.

- J'ai reçu un appel du proviseur, confirme-t-elle. Neela, si tu avais de bons résultats au lycée, tes camarades de classe ne t'auraient pas embêté pour ton déjeuner.

Je lève les yeux vers ma mère. Je lis de la déception dans son regard vermeil. Je ne fais que ça : la décevoir. Encore et encore. Je déçois tout le monde, continuellement.

Ce n'est pas ma faute si je n'arrive pas à être comme les autres, aimerai-je dire à maman. J'aimerai lui expliquer que quand bien même j'essaye, je n'arrive pas à être comme elle. Forte, docile, rigoureuse. Que tout ce que je fais se solde en échec. Qu'elle a mal fait de payer si cher pour m'inscrire dans un lycée militaire, que je n'aurais probablement pas mon diplôme parce que je suis trop faible. Mais je ne dis rien de tout ça, parce que je suis trop en colère contre elle, et contre tout ce qu'elle vient de me dire. A la place, je sors sur un ton cynique :

- Je pense plutôt que si tu m'avais inscrit à la cantine, mes camarades de classe n'auraient jamais essayés de me voler mon déjeuner.

Ses traits se déforment en un masque effrayant. Elle fait mine de me gifler, mais se retient au dernier moment.

- Dans ta chambre, tout de suite ! s'exclame-t-elle en pointant son index vers le couloir..

Je n'essaye pas de rétorquer. De toute manière, je n'en pouvais plus de l'entendre me faire la morale. Je file au pas de course et une fois dans ma chambre, je ferme la porte en claquant.

Neela [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant