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- Il va se faire tuer, dis-je. Et bientôt, nous ne serons plus que deux pour nous battre contre tous ces bleus.

Ma remarque doit la faire réfléchir, puisqu'elle regarde Keo à son tour, soupèse son fusil avec sa main et déclare :

- Tu as raison, je vais aller l'aider. Continue de courir, d'accord ? Ne te retourne à aucun moment. Nous serons juste derrière toi.

Et elle m'abandonne là sans me laisser le temps de protester. Je rassemble mes forces et pique un sprint dans la rue qui s'éloigne du lycée. Au-dessus de moi, un hélicoptère d'attaque tourbillonne dans le ciel clair de l'après-midi. Je m'étais trompé. Ce ne sont pas des explosifs qui ont mis le feu dans le bâtiment, je pense plutôt qu'il s'agissait d'un missile air-sol. C'est étonnant qu'ils n'ont pas cherchés plus que ça à le détruire. Peut-être qu'ils ne voulaient pas prendre le risque de toucher leurs fantassins.

Je cours à m'en arracher les jambes. Je me concentre sur ma respiration en essayant d'oublier les détonations, mais c'est difficile. J'entends Keo et ma mère me suivre en haletant. Parfois, ils s'arrêtent pour tirer, puis continuent leur trotte.

Pendant un instant, j'ai réellement l'impression nous allons nous en sortir. Que nous allons réussir à semer ces bleus, et tenir assez longtemps pour atteindre l'immeuble. Puis je l'entends. J'entends ma mère lâcher un cri effroyable, et j'entends le bruit de son corps qui tombe par terre. J'oublie tout. J'oublie le fait qu'elle m'a interdit de m'arrêter, j'oublie ma faiblesse et ma répulsion pour la violence. Mes yeux se posent sur maman qui se tient la nuque en geignant. J'ai l'impression que mon cœur s'est arrêté.

- ... Neela, non ! me crie-t-elle en s'apercevant que je fais demi-tour.

J'arrache presque le fusil des mains de Keo, et je le bouscule violemment. Il perd l'équilibre.

Je ne contrôle plus mes gestes. Je me mets en position et tire sur les bleus restants. Je tire fiévreusement, encore et encore. Je n'ai pas peur de me mettre à découvert. Je n'ai pas peur de mourir. Si ces monstres me veulent, qu'ils m'atteignent. Je n'ai rien à perdre.

Keo vient me donner un coup de pouce. Bientôt, nous sommes hors de danger. Il reste une poignée de bleus, mais ceux-là préfèrent prendre la fuite. Je jette le fusil par terre d'un geste rageur. J'aurais dû me charger de leur cas dès le début. Ils seraient morts bien plus tôt. Et ils n'auraient pas tirés sur ...

- ... Maman ! crié-je en me rappelant soudainement d'elle.

Neela [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant