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Je décide de me promener un peu avant de rentrer directement à la maison. Je sais que c'est risqué, surtout après ma rencontre de la veille ... Mais c'est plus fort que moi. Sans même m'en rendre compte, je me rends dans la rue commerçante abandonnée où j'avais vu ce bleu. Sans surprise, il n'y a personne. Par contre, un détail attire mon attention. Je me rapproche d'un mur de brique. Il n'y a pas de doute possible, un graffiti le décore. Or, dans mes souvenirs, il n'y en avait pas la veille.

Mes yeux parcourent le dessin réalisé à l'aide de bombes de peinture aérosol. Il s'agit d'une tête de mort assez grande pour couvrir la moitié de la surface, et il est fait dans un dégradé de rouge, de jaune et de bleu. A côté, est inscrit en noir « La France est en train de mourir. Seul Niveus peut sauver le pays. ». Niveus ? Je fouille dans ma mémoire, jusqu'à ce que je trouve une réponse. Niveus est le dirigeant des incolores, mais je n'ai jamais vu son visage. Je doute que quelqu'un l'a un jour vu, il est tellement discret ! D'après les informateurs à la télévision, Niveus dissimule son visage avec un masque nivéen - d'où son pseudonyme - à l'occasion de ses rares apparitions publiques. Il est complètement anonyme.

Je reste planté là à contempler le graffiti avec fascination. Bien que je ne sois pas d'accord avec le message véhiculé, je trouve ça très audacieux de taguer la rue alors que c'est une activité illégale. Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi jusqu'à ce que je me décide à bouger. Dix minutes ? Vingt minutes ? Trente minutes ? Mais lorsque je fais volte-face, deux silhouettes se tiennent face à moi.

Je sais sans l'ombre d'une hésitation qu'il s'agit là d'incolores. Cela se voit à leurs vêtements en haillons, à leurs bras squelettiques et surtout, à leurs iris. La premier, le jeune homme a la peau café au lait et aux cheveux bouclés, a les yeux d'un marron presque noir. Le deuxième, l'adolescent blond à la peau laiteuse et le visage barré d'une entaille, a les yeux bleus clairs. Mais attention, pas comme les yeux altérés des français bleus. Non, les yeux de l'incolore sont authentiques.

C'est à ça que ressemble les yeux d'un bébé fraîchement né. Je me demande quel couleur d'yeux j'avais, avant qu'on me les opère pour les rendre rouge.

J'ai à peine posé ma main sur la crosse de mon pistolet que les deux dégainent leurs armes blanches devant moi. La lumière de la lune se reflète sur leurs lames aiguisée. Je sursaute.

- Qu'est-ce que tu fais là, toi ? demande l'adolescent d'une voix soupçonneuse.

Je les regarde tour à tour. Ce n'est pas la première fois que je vois des incolores, mais ça me fait bizarre de me trouver à moins d'un mètres d'eux. Comme si ce n'était pas réel.

- Euh, je ... J'observais le graffiti.

Ils s'échangent un regard dont la signification m'échappe complètement. Pourquoi ne m'attaquent-ils pas ? Je sais que les incolores ne prônent pas la violence, mais s'ils m'abattaient là tout de suite, personne n'en saurait rien. D'ailleurs, je me demande également pourquoi Keo ne m'as pas tué la veille. Leurs comportements n'ont ni queue ni tête.

- Et pourquoi donc ? m'interroge le blond.

Étonnamment, son coéquipier ne dit rien. Il se contente de me jauger silencieusement, les sourcils froncés.

- ... Est-ce qu'il devrait y avoir une raison ? J'étais simplement intrigué, voilà tout.

- Tu n'as pas l'air d'être une rouge normale, dit enfin l'homme qui a l'air d'être dans la vingtaine. Je pensais qu'à cette heure-ci, les gens de ta communauté étaient supposés rentrer chez eux.

Sa remarque me fait l'effet d'une douche froide, mais je feins l'indifférence. Maintenant, il est tellement évident que je suis faible que même les incolores me le font remarquer. Génial.

- Laissez-moi tranquille, dis-je sur un ton sec.

Les instituteurs nous ont toujours dit d'ignorer les incolores, car ils sont bizarres et primitifs. La couleur de leurs yeux n'ont pas été pris en charges à la naissance, ce ne sont pas de vrais français. Ils n'appartiennent à aucune région. Ils ne font pas partie du système mis en place par Adélaïde Roudaut.

Étonnamment, ils se contentent de baisser leurs couteaux sans faire d'histoire. Je file sans demander mon reste, et ils n'essayent pas de me retenir. Durant tout mon trajet, je n'arrive pas à me défaire de la sensation d'être observés par ces deux incolores, même si je me trouve maintenant face à mon immeuble. Il me faut du temps à effacer leurs yeux farfelus de mon esprit.

Étant donné que je n'arrive pas à dormir, je m'assieds en tailleur sur mon lit, j'allume ma lampe et je reproduis grossièrement le graffiti que j'ai aperçu dans la rue commerçante abandonnée.

« La France est en train de mourir. Seul Niveus peut sauver le pays. ».

Si quelqu'un me surprenait, là tout de suite ... J'aurai vraiment du mal à donner une excuse valable. Je finis par arracher la page de mon carnet à croquis et j'en fais un oiseau en origami, avant de le déchirer et de le jeter à la poubelle. Puis j'éteins la lumière pour m'endormir d'un sommeil agité, où Keo et les deux incolores avec les couteaux s'immiscent dans mes rêves.

Neela [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant