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Quand je me réveille, il me faut un petit moment pour que ma vision ne soit plus floue. Je suis dans un lit, avec ma couverture remontée jusqu'à mon cou. Je ne mets pas longtemps à reconnaître ma chambre. Au début, je ne ressens rien. Emmitouflée ainsi, dans la tranquillité du petit matin, je me sens bien. Une lueur bleutée filtre depuis ma fenêtre.

Malheureusement, ce moment de répit ne dure pas longtemps car à peine quelques secondes plus tard, tout ce qu'il s'est passé la veille me reviens brusquement en mémoire. L'attaque surprise des bleus. Ma rencontre avec Keo qui m'a sauvé la vie. Laslo qui a tenté de me tuer. Et le pire ... Maman qui s'est faite assassinée par des bleus à nos trousses.

Je ferme les paupières et je m'oblige à respirer calmement pour ne pas laisser mes sentiments prendre le dessus sur moi, une fois de plus. J'inspire et j'expire avec lenteur. Je ne sais pas si ça marche, mais en tout cas, je ne pleure pas. C'est mieux que rien. Je papillonne des yeux en essayant de me focaliser sur un point dans le vide.

Keo a dû m'amener ici lorsque je me suis assoupi. J'ai honte qu'il a assisté à ma crise de larmes. J'étais tellement éploré que je n'ai même pas bronché lorsqu'il m'a réconforté. La rage m'envahit. Pourquoi est-ce que je l'ai laissé m'approcher ainsi ? J'aurais dû l'étrangler lorsqu'il a baissé sa garde pour me prendre dans ses bras. Je me rappelle aussitôt ses dernières paroles, la promesse qu'il m'a faite.

Ne m'a-t-il pas dit qu'il ne m'abandonnerait pas ? Que des bêtises ! Je me demande où il se trouve actuellement. S'il est si gentil qu'il prétendait l'être, il a dû partir d'ici à la seconde où il m'a déposé sur mon matelas. Ou alors, l'hypothèse la plus probable ... Il m'attend sagement au salon, sa main tenant la poignée de son fusil. Prêt à m'achever. Mais dans ce cas, je ne comprends pas pourquoi il n'a pas tenté de me tuer pendant mon sommeil.

Je décide de ne rien essayer pour le moment et de rester dans ma chambre. Je sors tout de même le pistolet de secours que je cachais sous mon lit, juste au cas où. Puis je jette un coup d'œil à la pendule. Quatre heures du matin. J'ai dû dormir pendant très longtemps ... Et pourtant, j'ai l'impression d'être encore plus fatiguée que la veille. Je décide de fouiller mon placard et de sortir mon cahier à croquis de mon placard. Maintenant que maman est partie, je n'aurai plus jamais à me soucier de le ranger. Ma gorge se serre.

Je m'assieds en face de mon bureau, attrape un crayon et une gomme et ... Je ferme les yeux. Milles images de ma mère me reviennent. Maman en train de préparer mon déjeuner, en train de regarder la télévision, en train de me gronder ... Et soudain, j'ai peur d'oublier son visage.

Je n'ai aucune photo d'elle, principalement car nous n'avons jamais eu d'appareil photos. Et puis, la mémoire est quelque chose sur laquelle je ne peux pas compter. C'est un océan géant, incertain. Il faut sans cesse faire travailler son esprit pour ne pas se laisser couler dans l'abysse de l'oubli. Les souvenirs quant à eux, sont comme des grains de sable : le temps passe, et ils se retrouvent emportés par les vagues. Les vagues de l'évanescence.

Alors je fais la chose qui me paraît le plus approprié de faire dans ces circonstances. Je prends mon crayon dans ma main, et j'esquisse les contours de son visage. Je n'arrive pas à croire que maman était au courant de ma passion pour l'art et le dessin, mais qu'elle ne m'a jamais rien dit. Peut-être qu'elle pensait qu'en me le disant, je n'oserais plus toucher à un crayon ou un pinceau de ma vie.

Comme à chaque fois que je fais jaillir des traits sur une feuille blanche, je me retrouve happée dans cette bulle chaude qui me coupe du monde extérieur. Il s'agit de ma zone de confort. Sauf que cette fois, je sentirais presque la présence de ma mère à mes côtés. Mon cœur saigne abondamment, mais dessiner m'aide à ne pas sombrer.

Neela [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant