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Son compliment me fait sourire jusqu'aux oreilles.

- Si seulement c'était possible ... marmonné-je.

- Non ma grande, heureusement que ça ne l'est pas. Tu connais mon opinion là-dessus. Finalement, c'est très bien qu'Opale et toi soyez inscrites dans un lycée militaire. Vous avez toutes les deux un avenir.

Il me donne une petite tape sur l'épaule avant de dire :

- Et mieux encore, vous êtes la fierté de la région.

- Peut-être, répliqué-je en soupirant, mais j'aimerai tellement être à votre place ... Vous avez votre atelier, vous vivez de votre passion. Moi, je ne sais pas si je suis vraiment faite pour être soldate.

Opale arrive derrière moi, et pose ses mains sur mes épaules.

- Arrêtes un peu de rêver, cocote ! Etre artiste, c'est suicidaire. T'es hyper mal payé, tu travailles jusqu'à être épuisé, et le pire, t'es pas valorisé ... Tu veux finir comme mon daron ?

Le concerné donne une petite tape sur la tête de sa fille. Celle-ci lui tire la langue.

- Même s'il n'y a pas que des mauvais côtés, Opale n'a pas tort, répond Rodolphe en croisant ses bras. Dans notre époque actuelle Neela, il faut avoir un métier qui paye. Regarde-nous. Je ne compte pas les heures, et pourtant, c'est à peine si je peux ramener de la nourriture sur la table.

Il m'a sorti ce discours tellement de fois que je me demande pourquoi est-ce que je continue à espérer qu'il va changer d'avis. Néanmoins, je lui dis :

- Mais au moins, vous aimez votre métier.

Cette phrase est sortie toute seule de ma bouche. Je me rends compte à quel point elle est ridicule. Rodolphe esquisse un sourire.

- Neela, tu devrais le savoir avec le temps. La priorité, c'est d'avoir un métier qui rapporte assez pour manger. Tu comprendras quand tu seras plus grande, et que tu auras toute une famille à ta charge.

J'aimerai lui dire « je ne crois pas », car il est peu probable que je décide de fonder une famille un jour. Mais je décide de ne rien dire. A la place, j'accepte de réaliser la commande que m'a confiée le père d'Opale. C'est un vrai soulagement de pouvoir me réfugier dans la peinture. Je passe des heures à manier les pinceaux et à mélanger les couleurs. Le monde autour de moi n'existe plus. Quand j'ai enfin fini, la famille d'Opale au complet vient observer mon travail.

Le papier, qui est posé contre une toile d'un chevalet vieux comme le monde, montre deux rouges pointant leurs fusils devant eux. Dans arrière-plan, le drapeau de la France flotte dans l'air, et il est maculé de sang. En bas de l'affiche est inscrit « NE LAISSEZ PAS LES BLEUS SOUILLER NOTRE PAYS ! MONTREZ DE QUOI VOUS ETES CAPABLE ! LA REGION ROUGE COMPTE SUR LE COURAGE DE SES PARTISANS ! »

- ... Alors ? dis-je avec prudence.

Opale est la première à réagir.

- Ca déchire ! s'écrie-t-elle, surexcitée. Comment t'as fait pour faire une affiche aussi stylée ? J'ai limite envie d'aller buter quelques-uns de ces ringards bleus, maintenant ...

Élisabeth entoure mon épaule de son bras.

- Tu as fait un très beau travail, Neela.

Je lâche un petit rire en les remerciant.

- Voilà ce que j'appelle un chef d'œuvre, dit Rodolphe en se rapprochant de mon dessin pour mieux le voir. Monsieur Lin ne pourra pas refuser cette affiche, à moins qu'il veuille attirer ma colère !

- Arrêtez avec tous vos compliments, je réponds en secouant la tête. Vous allez me faire rougir.

- Au moins, me dit Opale en me lançant un coup de coude, tu seras une vraie rouge.

Nous rions tous les quatre de bon cœur, et c'est à ce moment-là que je regrette de ne pas avoir de famille aimante, comme les Vinet.

Neela [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant