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Je me mords la lèvre lorsqu'il retourne s'atteler à sa tâche. Je ne me rendais pas compte que Keo s'ennuyait autant ici. Il n'a rien à faire. Et pour ne rien arranger, je m'enferme dans ma chambre la plupart du temps. Ce n'est pas que ça me dérange : j'ai fait ça durant toute ma vie, que ma mère soit à la maison ou non. Moi j'ai mon carnet à croquis et mes crayons de papier, mais lui ...

- Keo ?

Il tourne à nouveau sa tête vers moi. J'ouvre la bouche, pour la refermer aussitôt. J'hésite. C'est peut-être une mauvaise idée.

- Bah alors ? me dit-il en percevant mon hésitation.

Il est trop tard pour reculer maintenant. Je décide de me jeter à l'eau.

- Euh ... Ça te dirait ... Que je te montre des trucs ?

- Des trucs ? répète-il d'un air amusé.

- Oui.

Keo est un peu perplexe, mais il finit par accepter. Je l'emmène dans ma chambre, et aussitôt qu'il a passé l'entrebâillement de la porte, il se met à rigoler.

- Qu'y a-t-il ? dis-je sur la défensive.

- C'est tellement le bazar, me répond-il. C'est pour ça que tu m'as fait venir, hein ? Pour que je t'aide à passer le balai ?

Je lève les yeux au ciel et me dirige vers le placard. En bas du monceau de vêtements sont enfouis de mes réalisations, cachées par les étoffes. J'en prends un grand nombre dans mes bras avant d'aller les jeter sur mon lit, que j'ai fait à la va-vite.

- Qu'est-ce que c'est ? me demande Keo en s'approchant à son tour.

- Regarde par toi-même.

Sa curiosité l'emporte sur sa confusion. Il s'assoit au bord du matelas et viens observer mes dessins sans rien dire. Mon cœur bat si vite. Je n'ai pas l'habitude de montrer mes créations à des personnes étrangères, je me sens un peu nerveuse. J'interprète le silence du garçon de différentes manières. Peut-être qu'il trouve que je dessine mal et qu'il n'ose pas me le dire. Peut-être qu'il est choqué, sachant que peindre pour le plaisir est interdit. Peut-être que ...

- C'est toi qui as fait tout ça ? s'exclame-t-il au bout d'un moment.

Il attrape une peinture parmi tant d'autres dessins. Un portrait d'Opale qui prend la pose en souriant. Ses doigts frôlent la feuille du bout de ses doigts.

- Oui c'est moi.

- Vraiment ?

- Puisque je te le dis, dis-je en lui lançant un sourire timide.

Il continue d'observer le dessin un moment avant de porter son attention sur moi. Je ne sais pas pourquoi, mais le rouge me monte aux joues. Je baisse les yeux durant quelques secondes. J'espère qu'il ne s'en rend pas compte.

- Je sais ce que tu dois penser, je rajoute. Dessiner, c'est inutile et illégal. Je sais.

- Eh, j'ai jamais dit ça.

- Mais c'est ce que tu penses.

Il secoue négativement la tête.

- Arrête. Je trouve que c'est très beau. T'as un vrai talent Neela. Personne sait que tu dessines ?

- Merci, dis-je en retrouvant mon sourire. Et euh ... Seulement une poignée de personne. Je n'ose pas en parler à tout le monde. Cette pratique est associée aux incolores tu sais.

Il fronce les sourcils à la mention des incolores.

- Je trouve ça débile. Les gens devraient arrêter de dire n'importe quoi. C'est vrai quoi ... Ces gens pauvres sont incapables de faire quelque chose d'aussi intelligent. C'est pas crédible.

- Ils réalisent de très beaux graffitis, répliqué-je vivement.

- Et ? me dit-il en rigolant. C'est pas comparable.

- Bien sûr que si. Les graffitis sont presque aussi complexes que les dessins sur papier, peut-être même plus. Je n'en sais rien.

- Pourquoi est-ce que tu les défends ?

- Je ne les défends pas. C'est juste que ...

Je lâche un soupir et je viens m'asseoir aux côtés de Keo.

- Je ne sais pas. Je crois que je les admire un peu. Ce n'est pas ton cas ?

- Houlà. Pas du tout.

- Tiens ? C'est bizarre. Je pensais que tu les considérais comme des français à part entière. Des gens comme toi et moi. Tu sais, avec ton esprit rebelle et tout ça ...

- M'associe pas à eux !

Keo a dit cette phrase avec tellement de rage qu'il a réussi à me faire sursauter. Il tente de reprendre son calme, mais il a du mal. Ses traits déformés et ses yeux foudroyants me donnent la chair de poule.

Neela [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant