Neela [Terminée]

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Il me faut du temps avant de refermer mon carnet de croquis. Hélas, je ne peux pas dessiner toute la soirée. Il est vingt-heures désormais, et ma mère pourrait rentrer d'un moment à l'autre. Je quitte ma chambre, fait un saut à la mini-cuisine pour préparer mon diner, et m'installe sur le canapé. J'allume la télévision et regarde les publicités de propagande qui passent, en faisant davantage attention à mes deux tartines aux haricots plutôt qu'à l'écran. Je suis sur le point de me lever avec mon assiette, lorsque le générique d'une chaîne d'actualité démarre.

L'informateur fait un compte rendu des quatorze attentats qui a eu lieu la semaine dernière dans la région Rouge, en s'attardant sur chacune d'entre elles pour préciser combien de rouges ont péris. Un peu plus de deux cents. Je ferme les yeux alors que l'homme continue de débiter son discours pour les rendre hommage. Je ne les rouvre qu'une fois qu'il a fini.

J'aurais pût être l'une de ces français si j'avais eu moins de chance.

- La présidente Adélaïde Roudaut s'est entretenue une fois de plus avec le président de la Belgique, continue l'informateur alors que des images portant sur les deux dirigeants s'affichent à l'écran. D'après le porte-parole de Madame Roudaut, Ghislain Dalmans ne souhaite pas abandonner son projet de mettre en place un régime identique à celui de la France dans son propre pays, malgré la réticence de Madame Roudaut pour venir en aide à la Belgique.

Je me penche en avant pour mieux comprendre ce que l'homme aux traits durs est en train de raconter.

- Malgré le désintéressement évident de notre France pour les pays voisins, Ghislain Dalmans continue d'espérer une alliance. Une possible union entre les deux pays francophones pourrait sauver les belges de la crise mondiale. Cependant, Madame Roudaut refuse de s'ouvrir aux autres pays, et notre présidente justifie une telle décision en affirmant que la France n'est pas prête d'aider le monde à se rétablir tant que la guerre perdure dans ses régions.

Lorsqu'il parle des régions, il doit seulement faire allusion à la France Rouge et à la France Bleue. Ces deux régions sont ennemies depuis le début de l'histoire du pays réformé. L'informateur bifurque sur la nourriture et les soins médicaux qui commencent à manquer dans la région Rouge, mais je ne l'écoute que d'une oreille.

Je ne comprends pas pourquoi Adélaïde Roudaut refuse de donner un coup de pouce au reste du monde noyé dans le désespoir. Ça doit faire deux ans maintenant que le président de la Belgique demande de l'aide à la France, mais notre présidente s'en moque complètement. J'ai beaucoup d'admiration pour cette femme qui a réussi à sauver notre pays de la surpopulation, mais je trouve ça triste qu'elle laisse le monde à son sort seulement parce que deux des régions de France sont en guerre. Je veux dire, notre problème est bien moindre comparé au problème de la Belgique !

Étant donné que je n'écoute plus du tout le discours de l'informateur, j'attrape la télécommande pour zapper encore et encore. La plupart de chaînes proposées sont des chaînes d'actualité, alors je dois appuyer plusieurs fois sur le bouton du système avant de trouver quelque chose d'intéressant. Un reportage attire mon attention, et je m'assieds en tailleur pour être plus à l'aise.

Ils montrent les incolores, expliquent qui ils sont, ce qu'ils font, et pourquoi ils refusent d'adhérer au système. Je connais tout ce qu'il y a à savoir sur eux, car le professeur d'histoire nous en parle au lycée, de temps en temps. Mais, faute de meilleur divertissement, je reste tout de même sur la chaîne. J'ai toujours trouvé les incolores bizarre, principalement parce qu'ils se tirent eux-mêmes une balle dans le pied en refusant d'être comme tout le monde. Leurs iris sont anormaux, et ils ont encore plus faim que n'importe quel français faisant partie d'une région. Mais malgré tout, ils sont plutôt malins, car ils parviennent à s'en sortir seuls.

Je suis en train de piquer du nez quand j'entends une clé tourner dans la serrure de la porte d'entrée, et celle-ci grincer en s'ouvrant. Je me redresse dare-dare, tous les sens en alerte. Je tourne la tête et observe ma mère débarquer en trombe dans le salon.