Un nouveau silence s'installe entre nous. J'aime bien lorsque c'est calme, lorsqu'il n'y a pas de bruit. Avec Opale, je n'ai pas besoin de lui parler constamment, car nous apprécions tous les deux la tranquillité. Mais avec Laslo, c'est différent. Je ne suis pas aussi proche de lui, et ces silences nous mettent tous les deux mal à l'aise. Je décide de faire un effort pour briser la glace.
- Tu utilises toujours ton appareil photo ? dis-je en regardant l'objet posé sur son bureau, près d'un petit album.
Je sais très bien qu'il utilise encore son appareil photo, sinon, il n'aurait pas pris la peine de l'afficher à la vue de tous. Mais c'est la première chose qui m'est venu à l'esprit pour relancer la discussion.
- Ouais, réponds Laslo en souriant. Je n'ai plus autant de temps pour me consacrer entièrement à la photographie, mais j'essaye de ne pas délaisser complètement l'appareil photo de ma grand-mère.
Sa voix tremble un peu lorsqu'il prononce ces deux derniers mots. Je pince ma lèvre inférieure en me maudissant intérieurement. Décidemment, j'enchaîne gaffe sur gaffe ...
- Tu veux voir quelques-unes de mes dernières photos ? dit-il en essayant de faire comme si de rien était.
- Avec plaisir.
Il se lève, s'empare de l'album photo, et revient s'asseoir près de moi. Il me montre toutes sortes d'images : des rues bondés de rouges, les vestiges du Parc Floral de la Source, des tours panoramiques ... Mais surtout, des dizaines et des dizaines de clichés du Centre de Communication d'Orléans. Ça ne m'étonne même pas.
- Je sais ce que tu penses, me dit-il en relevant la tête pour me regarder. Tu dois me trouver stupide de faire une fixette sur les Informateurs.
- Non pas du tout, m'empressé-je de dire. Tu es ambitieux, c'est bien. Peut-être que lorsque tu auras ton diplôme, tu pourras ... Euh ... Tu pourras te réorienter vers des études de journalisme.
Il lâche un petit ricanement et secoue la tête derechef.
- Même toi tu ne crois pas à ce que tu racontes. Ecoutes, je ne sais pas. Pour l'instant, ça me parait inenvisageable. Les Informateurs ne savent pas que j'existe. Peut-être qu'un jour, je pourrais faire quelque chose pour qu'ils me remarquent. Mais ce n'est pas sûr.
- C'est ton rêve d'être Informateur ?
Il me lance un regard étonné.
- Bien sûr.
Je le savais déjà, mais j'avais besoin de l'entendre me le dire une fois de plus. S'il y a bien une chose que nous avons en commun, c'est notre désir d'avoir un métier que nous aimerons dans le futur. Bien sûr, je ne lui ai jamais dit que je rêvais de devenir une artiste professionnelle. Il ne sait même pas que je dessine. Les Vinet sont les seuls à connaître ma passion pour l'art et la peinture. Je n'ose dire à personne d'autre que j'aime mélanger les couleurs, car je sais qu'aussitôt, je serais prise pour une traîtresse.
- C'est ce que ma grand-mère aurait voulu si elle était encore en vie, murmure-t-il en baissant la tête. Que je poursuive mon rêve. Que je la rejoigne au Centre de Communication pour l'aider. Elle m'avait promis qu'elle essayerait de me trouver des stages là-dedans, peut-être même un poste. Malheureusement, elle n'est plus là. Et je dois me débrouiller tout seul.
Il y a de la mélancolie dans son regard. Ses doigts se mélangent entre eux, et ses épaules s'affaissent. Je n'aime pas le voir dans cet état, aussi triste, désespéré. Je n'ai jamais connu la perte d'un proche, mais ça à l'air tellement douloureux. Ma sœur Sapna est morte avant que je naisse, et j'étais trop petite lorsque papa est mort. Laslo, lui, a connu le départ de sa mère, le meurtre de son père, et la mort de sa grand-mère dû à un arrêt cardiaque. Et moi qui trouve ma vie insupportable, pour absolument aucune raison ...
- Tu y arriveras, dis-je en posant une main sur son épaule. Je suis sûre que tu réussiras à être un Informateur. Croit en tes rêves.
Il sourit pour la énième fois de la journée. Et lorsqu'il ouvre sa bouche pour parler, son ton me fait froid dans le dos.
- Neela. Il n'y a pas de place pour les rêves, dans la région Rouge.
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Neela [Terminée]
Science FictionUn monde dévoré par la violence et la famine. Deux ennemis. Une union improbable. Elle s'appelle Neela. Elle fait partie des rouges. Elle n'a que seize ans, mais elle a déjà du sang dans les mains. Dans la région Rouge où elle vit, la région Bleue e...