CHAPITRE 14
Un mois après Paris
Aujourd'hui, j'ai eu Elena au téléphone. Ce dernier mois a été très compliqué pour elle. De nombreuses remises en question et beaucoup de discussions avec sa famille depuis La Réunion. Son mal-être est de plus en plus insupportable à Paris et ça rend son quotidien avec Kenan très compliqué. Elle m'a appelée pour me dire qu'elle s'était enfin décidée à lui parler de tout ça, lui dire en détail ce qui ne lui convient plus dans sa vie. La réaction de Kenan a été plutôt bonne apparemment. Il s'en doutait et n'attendait que ça, qu'elle lui parle enfin.
Pour l'instant, ils sont un peu dans une impasse, aucun des deux ne veut vraiment mettre fin à cette relation qu'ils ont mis des années à construire. Elena se sent soulagée d'avoir pu lui en parler, mais en même temps, ça ne l'a pas fait avancer beaucoup dans sa problématique. Pour l'instant, elle se plonge dans le travail le temps de trouver une réelle solution. Je suis contente qu'elle m'ait appelée, mais je me sens inutile face à tout ça.
Je vais devoir passer la nuit au refuge, Athéna, une jument qui est arrivée la semaine dernière, ne va pas bien du tout depuis quelques heures. Elle fait une crise de colique, son ventre la fait terriblement souffrir. Il faut que je veille sur elle toute la nuit pour éviter qu'elle se couche, il faut qu'elle reste en mouvement.
Je prépare tout ce dont je vais avoir besoin pour me garder éveillée et au chaud. Le début du mois d'octobre est arrivé et l'automne commence déjà à s'installer. Fini les nuits chaudes, maintenant, il faut se couvrir dès que la nuit commence à tomber.
Je rejoins Athéna dans le petit pré où je l'ai laissée quelques minutes, le temps d'aller me remplir une thermos de café. Elle est toujours debout, mais je sens bien qu'elle aimerait se coucher pour essayer de soulager ses douleurs. Le problème est que, si jamais elle se couche, ses intestins pourraient se retourner et la situation deviendrait très problématique. Pour éviter ça et l'aider à faire disparaître la colique, je vais devoir la forcer à marcher, toute la nuit s'il le faut. Cela signifie que je vais également devoir marcher pendant des heures. Heureusement que le café sera là pour me tenir compagnie.
Je lui enfile un licol et saisis la longe. Nous voilà fin prêtes pour une belle nuit en tête à tête. Elle rechigne à se déplacer au début et puis, petit à petit, je parviens à la mettre en marche. Nous faisons des allez-retour dans le pré et mon esprit s'évade doucement. Mes pensées se dispersent dans le temps et des images d'un été passé refont surface.
Teddy ne s'est pas découragé comme je l'avais espéré. J'ai continué de recevoir un message chaque soir du mois qui est passé depuis mon retour de Paris. Chaque jour, il m'informe que Chance se porte merveilleusement bien et, chaque jour, il me raconte une petite partie de sa journée. J'ai aussi le droit à une photo de Chance, toujours seule sur le cliché. Quand je pense à lui, ça ne fait plus autant mal que les premiers jours.
Le travail et la fatigue m'ont rattrapé et je n'ai plus vraiment le temps de penser à ce qui aurait pu se passer si... et est-ce qu'il ressentait la même chose quand...
Maintenant que ma vie à reprit son court, il m'est plus aisé de savoir ce que j'ai vraiment besoin et je sais que les souvenirs que je garde sont supers, mais que je n'en ai pas besoin pour poursuivre la mission que je me suis fixée. J'ai juste besoin de mon petit message le soir, avant qu'une journée de plus ne s'achève. Il m'aide à ne pas oublier et c'est l'essentiel.
Je suis heureuse de constater à quel point il s'occupe bien de Chance. Je sais qu'elle est souvent gardée et promenée par les jeunes du quartier lorsque Teddy a de trop grosses journées. Elle doit tellement aimer ça, avoir toute cette attention rien que pour elle. Je me demande parfois si je la reverrais un jour. Probablement pas, mais j'essaie de me rassurer en me disant que, grâce à moi, grâce à nous, elle pourra vivre la vie que chaque chien mérite de vivre.
Athéna et moi marchons toujours côte à côte en silence et la nuit est tombée à présent. Je ne sais pas pendant combien de temps j'ai laissé mes pensées s'envoler vers la capitale, mais ma gorge ne s'est pas serrée. Il y a du progrès.
Pour éviter de trop penser à tout ça et de me laisser emporter par la nostalgie, je monte mon regard vers le ciel. Les étoiles sont là, fidèles au rendez-vous. Elles sont la seule raison que je pourrais donner si l'on me demandait ce que j'apprécie à l'arrivée de l'hiver. Les journées se raccourcissent et c'est très embêtant pour moi, car j'ai moins de temps pour faire tout ce que je dois faire dans ma journée. Cependant, lorsque je rentre enfin à la maison, la nuit est déjà tombée et je peux prendre quelques instants pour observer le ciel et toutes les étoiles qui le composent. Elles m'ont toujours fascinée, si loin, mais pourtant si brillantes à nos yeux.
Mon téléphone se met à vibrer dans la poche intérieure de ma veste. Je n'ai pas besoin de regarder pour savoir qui c'est. Je ne veux pas l'ouvrir tout de suite, j'aimerais observer les étoiles encore un peu, mais je suis faible et j'ai hâte de savoir quel nouveau tour Chance a appris aujourd'hui.
J'autorise Athéna à s'arrêter un instant et elle semble apprécier l'idée. Je sors mon téléphone et découvre tout d'abord la photo. Chance se tient les deux pattes avant posées sur une petite banquette noire. Derrière elle, je distingue quelques touches d'un clavier de piano. Je m'empresse de lire le message.
« Aujourd'hui, j'ai enfin sauté le pas et j'ai acheté un piano. J'ai l'impression que Chance va s'assurer que je ne fais aucune fausse note. Je l'ai installé dans le salon, juste à côté de la fenêtre, pour pouvoir jouer face à Paris. Je pense que je vais surtout jouer la nuit, j'aime l'idée que, si je ferme les yeux, je peux imaginer que le ciel est rempli d'étoiles. Je rêve qu'un jour elles soient visibles ici. Ça me rend triste de savoir que Chance ne les verra sans doute jamais. »
J'essaie de toutes mes forces d'arrêter d'espérer et de croire qu'il y avait vraiment quelque chose entre nous, mais comment faire lorsque le ciel lui-même m'envoie ce genre de signe ? Comme s'il voulait me faire comprendre que nous sommes tous les deux sous le même ciel, sous les mêmes étoiles et que donc, tout est possible.
J'aimerais parvenir à ne pas voir ça comme un signe, mais là, c'est tellement gros...
J'aimerais pouvoir répondre à Teddy, le rassurer, lui dire que ce n'est pas parce qu'il ne voit pas les étoiles qu'elles ne sont pas là, au-dessus, à veiller sur lui. Que ce n'est pas parce que je ne réponds pas à ses messages que je ne pense pas à lui chaque jour qui passe.
La seule chose que je sais c'est que ça ne fait plus mal, plus autant qu'avant tout du moins.
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NOTRE CHANCE
RomanceNora vient d'arriver à Paris pour passer quelques jours chez une amie. La foule de la gare est à peine derrière elle que son voyage prend une tournure inattendue. Sa rencontre avec un grand chien blanc au regard azur va la plonger dans l'univers...