CHAPITRE 16.2

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CHAPITRE 16
Partie 2

   Teddy est installé derrière le bar, son visage plongé sur l'écran de son ordinateur. Il relève la tête lorsqu'il me voit entrer. Son visage semble fatigué, creusé par le deuil et la douleur d'avoir perdu un être cher. Il a le teint blafard et ses yeux sont noirs comme de l'encre. Je me doutais qu'il ne serait pas aussi rayonnant que lorsque je l'ai laissé quelques mois plus tôt, mais son allure m'inquiète quand même. On dirait qu'il n'a pas dormi depuis des jours.

   — J'ai mis toutes ses affaires sur la table, me lance-t-il.

   Je me tourne vers la table et constate qu'effectivement, une pile de coussins et de jouets y est déposée. Je me retourne vers Teddy, mais je ne sais pas quoi dire. J'aimerais qu'il me dise quelque chose, qu'il me reproche ce qu'il a à me reprocher, mais il semble éteint. Il n'a pas de temps et d'énergie à perdre avec moi et la douleur qu'il ressent en ce moment même n'a absolument rien à voir avec moi. Une semaine avec une inconnue ne pourra pas remplacer toute une vie aux côtés d'une personne que l'on aime.

   — Je suis vraiment désolée pour ton ami Teddy...

   — Je sais.

   Il ne me regarde plus à présent. Ses yeux n'ont pas croisé les miens une seule fois et, maintenant, il est retourné à ce qu'il était en train de faire sur son ordinateur.

   — Tu sais quand tu pars ?

   — Dans quelques jours, le temps de mettre quelques affaires en ordre.

   — Où vas-tu aller ?

   — Aucune idée.

   Je m'approche de lui pour poser une dernière question, mais il poursuit avant que j'ai pu dire quoi que ce soit.

   — Ne me demande pas quand je compte rentrer, je n'en sais rien non plus.

   — OK, je garderais Chance le temps qu'il faudra.

   — Merci.

   — C'est le moins que je puisse faire.

   Il ne relève pas et ne semble pas vouloir poursuivre cette discussion. Je me sens idiote à rester plantée là, sans rien dire. Je comprends ce qu'il traverse, pourtant, je n'arrive pas à trouver les mots pour l'aider. Sans doute parce que je sais mieux que quiconque qu'aucun mot et aucun geste ne pourrait améliorer quoi que ce soit. Ça pourrait même avoir l'effet inverse et je ne veux pas être cette personne pour Teddy. Cette personne qui pense pouvoir se mettre à sa place et le faire se sentir mieux s'il vide son sac. Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne. J'aimais bien le silence et la solitude, c'est ce que j'ai de mieux à lui offrir.

   Je commence à rassembler toutes les affaires de Chance et j'en descends une partie au bas de l'immeuble. La voiture d'Ahmed n'est pas garée très loin, il vient me donner un coup de main. En deux allez-retour, j'ai descendu tout ce que je dois emporter avec moi, mais je me demande comment je vais faire pour transporter tout ça dans le train. Il va falloir que je fasse un tri, je ne pourrai pas tout emmener.

   Je remonte une dernière fois au premier étage pour récupérer Chance et dire au revoir à Teddy, pour de vrai cette fois. Je ne peux pas me défiler et lui laisser une lettre comme la dernière fois.

   — Je crois que nous sommes prêtes.

   Teddy se lève enfin de sa chaise et s'approche de nous. Il se baisse et dépose un long baiser sur la joue de Chance. Une larme vient se perdre dans sa fourrure et, lorsqu'il se relève, son visage n'exprime absolument rien. Il n'y a plus de trace de cette larme non plus, comme si elle était uniquement destinée à Chance. Je n'aurais pas dû la voir.

NOTRE CHANCEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant