CHAPITRE 1.2

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CHAPITRE 1
Partie 2

Nous nous sommes rencontrées en seconde, notre première année de lycée. Je connaissais déjà Ulysse et Jeane depuis le collège, mais Elena venait d'une tout autre région, d'un autre continent. Elle ne connaissait personne.

Son père militaire a été muté, classique. Elle a dû quitter La Réunion, cette île sur laquelle elle avait toujours vécu avec ses parents et ses deux petites sœurs.

Son arrivée en France n'a pas été simple, car elle n'avait pas de famille ici, mais par chance elle est tombée sur des amis incroyables. Le jour de la rentrée, je connaissais déjà certaines personnes qui venaient de mon ancien collège, mais ce n'était pas le cas de tout le monde et ça se voyait.

Un bon nombre d'élèves se retrouvaient seuls dans leur classe et dans la mienne il y avait Elena. Je l'ai vue tout de suite, au fond de la classe, l'air perdu, mais un léger sourire illuminait son visage tanné par le soleil de l'océan Indien. Quand nos regards s'étaient croisés furtivement j'avais remarqué une petite tortue de mer en porte-clés qui pendait à sa trousse. Il ne m'en a pas fallu plus pour aller lui parler à la pause déjeuner.

C'était à l'époque où rencontrer de nouvelles personnes m'enchantait encore. Maintenant, c'est différent, le décès de mon père m'a enfermé dans une bulle que je n'ai pas envie de quitter, de peur d'avoir mal, de peur que tout ce que j'ai construit ces dernières années ne s'évapore. Je pense avoir enfin réussi à trouver un équilibre entre ce que je veux être et ce que le monde attend de moi. C'est-à-dire rester dans mon coin à sauver autant de chevaux que je le peux, sans pour autant m'investir de trop dans des relations qui sont souvent source de déception.

Mon esprit divague souvent lorsque je ne suis pas chez moi. Les chevaux m'apportent une stabilité, une routine qui me conforte. Quand je ne suis pas avec eux, c'est différent, je ne sais pas quoi faire de mon esprit encombré. Je pourrai lui dire de se taire, mais chaque moment de silence laisserait place à des pensées plus sombres et il est préférable d'éviter que ça arrive. J'en ai fait les frais à de nombreuses reprises et j'espère que ça n'arrivera plus.

Lorsque j'ai adressé la parole à Elena pour la première fois, elle m'a semblé timide, mais c'était avant d'avoir passé tout l'après-midi de cours assise à côté d'elle. Ses longs cheveux ondulés, aussi noirs que ces yeux ne cessaient de s'agiter alors qu'elle me décrivait les merveilles de son île. Je voyais bien dans la manière dont elle avait de me raconter comment elle occupait ses après-midi au pied du volcan à plonger dans les eaux turquoises avec tous ses amis, que la France métropolitaine n'était pas une destination de choix. Je lui avais alors demandé comment elle était arrivée ici, dans notre campagne perdue en Bretagne.

Elle n'avait pas eu le choix, voilà tout. Sur le moment, je n'avais pas trop compris comment un père de famille pouvait pousser sa femme et ses enfants à quitter tout ce qu'ils avaient pour aller s'installer à l'autre bout du monde. Sa mission durait deux ans, il aurait pu partir seul, non ?

Ce n'est que lorsque mon père est décédé deux ans plus tard que j'ai compris. Un père ne laisserait sa famille derrière lui pour rien au monde.

Ma famille à moi, ce sont mes chevaux désormais et jamais je ne partirai de la Bretagne dans laquelle j'ai grandi, car c'est là qu'est ma famille et celle-là je ne pourrais jamais l'emmener à l'autre bout du monde avec moi.

Pendant quelque temps, après le départ de mon père, il était clair pour moi que je n'avais plus de famille. Ma mère étant décédée avant même que je ne sache ce que c'est que d'avoir une maman.

Pas de grands-parents, pas d'oncles ou de tantes. Plus personne en ce monde ne partageait avec moi un lien de sang assez fort pour que je puisse la considérer de ma famille.

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