Chapitre 17

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Comme à son habitude, la petite Lasya longeait prudemment la rivière qui coulait derrière son village. C'était une fillette aux cheveux gris et à la peau si pâle que n'importe quel Hylien penserait qu'elle couverait une grave maladie. Et pourtant, ces traits physiques n'avaient rien d'anormaux ici. Tout le monde naissait ainsi depuis des siècles et des siècles. Lasya avait hérité des yeux couleur ambre de son père. Pour une fille de onze ans, elle possédait une taille moyenne conformément à son âge et une longue chevelure qu'elle tressait chaque matin pour ne pas la gêner quand elle travaillait dans les champs. Ce matin-là, Lasya vérifiait que l'étrange substance rougeâtre n'avait pas progressé sur la rive. Apparemment, elle existait bien avant la naissance de sa grand-mère et ne cessait de gagner du terrain peu à peu, surtout ces trois dernières années. Hélas, personne ne parvenait à la retirer car la chose, comme ils l'appelaient, brûlait les chairs, rongeait jusqu'aux os. Les quelques malheureux qui étaient tombés entièrement dedans avaient fini par devenir fou et dangereux pour le reste du village. Leur exécution survenait sans délai pour protéger tous les autres.

   Pourtant, cette substance n'était pas ce qui effrayait le plus la fillette. Non... Il s'agissait de l'eau de la rivière. Selon les vieilles histoires, les esprits qui l'habiteraient voleraient l'essence même de celui ou celle qui aurait l'idée d'en boire une gorgée pour se désaltérer. La personne devenait une coquille vide sans histoire pour une durée variable. Dans la majorité des cas, elle finissait tuée par les nombreux prédateurs de la région car, la mémoire lui faisant défaut, elle oubliait tous les dangers et errait sans but précis. C'est pourquoi Lasya prenait soin de garder une bonne dizaine de mètres entre elle et la rivière. Hors de question qu'elle glisse et chute dans l'eau. Qui s'occuperait d'Omi dans ce cas ? Cette dernière cherchait justement quelques morceaux de racines sèches pour alimenter le feu dans leur cabane en pierre.

   La fillette plissa les yeux quand une silhouette se dessina face à elle, une trentaine de mètres plus loin. À cause du manque perpétuel de lumière, il aurait été difficile pour un Hylien d'y voir grand-chose. Mais le peuple de Lasya avait fini par s'adapter et développer une meilleure vision nocturne, si bien que la lumière des gemmes nox et des quelques plantes luminescentes leur suffisait. Avec méfiance, l'enfant s'empara d'un long bâton près d'elle puis s'approcha de la forme inconnue. Peu à peu, elle discerna une chevelure d'une couleur anormale ainsi que deux bras et deux jambes reliées au reste du corps. À priori, il s'agissait d'un être humain. Mais que faisait-il sur la rive, à moitié dans l'eau ? La fillette déglutit et toucha l'étranger du bout de son morceau de bois. En plus, la chose se trouvait à moins d'un mètre, alors dégager le corps pouvait être dangereux.

- Omi ! s'écria l'enfant qui recula d'un bond. J'ai trouvé un truc !

   Celle qui répondait à cette appellation releva la tête puis regarda en direction de Lasya. La vieille dame soupira ; elle laissa son bois de côté pour rejoindre sa petite-fille sans se presser. Elle lui montrerait encore des débris ou bien un poisson échoué. C'était toujours ainsi. La dénommée Omi se déplaçait courbée et sans canne malgré son âge avancée. Elle n'avait aucune idée du nombre d'années qu'elle pouvait avoir. Ici, personne ne s'en souciait car rien ne pouvait définir correctement l'écoulement du temps.

- Qu'y a-t-il ? s'exaspéra la vieille femme quand elle fut assez proche.

- Regarde !

   Lorsqu'elle vit le corps couché sur le ventre, Omi retint un hoquet de surprise et d'effroi. Bon sang, mais il fallait le dire plus tôt qu'une pauvre malheureuse était tombée dans la rivière ! Elle ne prêta pas tout de suite attention à la couleur de ses cheveux. La vieille femme demanda à Lasya de tirer l'inconnue en dehors de l'eau, vers un endroit assez éloigné et sécure. Ce n'était pas la première fois qu'on trouvait quelqu'un à cet endroit précis, emporté par les flots et sauvé par la rive au même niveau que la rivière.

Les ruines des tourmentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant