Chapitre 27

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Il n'était pas rare qu'Iris rêve de sa cabane à Écaraille ainsi que de son ancienne vie auprès de sa grand-mère. Et cela depuis qu'elle avait intégré la forteresse d'Akkala pour devenir soldate. Au début, ses motivations avaient été guidées par son envie de gagner de l'argent pour mener une vie correcte, par la suite, à la citadelle. Et savoir que l'on faisait partie des premières femmes de l'armée, il y avait de quoi flatter l'égo. Iris rêvait justement du jour où elle reviendrait dans son village et qu'elle montrerait son uniforme de soldat à la seule personne qui se souciait vraiment d'elle. Le sourire de sa grand-mère voulait tout dire à ses yeux, elle constatait sa fierté à travers son regard creusé par ses rides.

- Iris, si tu m'entends, ne... ne bouge surtout pas ! s'exclama une voix dans un chuchotement.

Dans son rêve, la jeune fille haussa les sourcils et tourna la tête vers un amas de cocotiers. Mais il n'y avait personne.

- Quelque chose ne va pas ? lui demanda sa grand-mère. Tu as l'air inquiète.

- J'ai cru entendre quelqu'un me parler. Une connaissance, je crois.

La vieille femme ne dit rien. Pendant ce temps, un vent chaud, presque trop réaliste, passa sur son visage et fit grimacer la châtaine. Il transportait une odeur nauséabonde peu ordinaire à Écaraille.

- Je crois qu'il est temps que tu te réveilles, déclara sa grand-mère avec gravité. Tu vois bien qu'il se passe quelque chose d'anormal.

- Comment ça ?

Un nouveau souffle d'air chaud lui balaya le visage et la fit frémir inexorablement. Son subconscient l'alertait aussi.

- Sur... Surtout, n'ouvre pas les yeux... poursuivit le chuchotement précédent. Je sais que tu m'entends alors... fais... fais ce que je te dis et ne bouge pas...

N'était-ce pas la voix de Thomas qu'elle entendait à travers son rêve ? Pourquoi lui parler pendant son sommeil ? Dorénavant, Iris était réveillée bien qu'elle gardait les yeux fermés, trop fatiguée pour les ouvrir. Pourtant, un détail attira son attention : ce même souffle sur ses joues, accompagné d'une odeur putride qui lui retourna l'estomac. Elle percevait même un vague grondement étouffé jusque-là inconnu. Par instinct de survie, la lancière souleva ses paupières avec lenteur puis discerna, malgré la pénombre, une forme noire au-dessus de son visage. D'abord floue, elle devint de plus en plus nette et dévoila un visage déformé par les cicatrices, sans yeux mais possédant tout de même une bouche ouverte d'où on pouvait apercevoir des dents noires et pourries. Les longs cheveux noirs de crasse tombaient sur le côté et lui effleuraient les joues par moments. Face à cette vision d'horreur, le sang d'Iris se glaça tandis que son cœur ratait un battement et entraînait le saisissement de tous ses muscles. Sa poitrine se bloqua tant qu'elle ne parvint plus à respirer ni même à émettre le moindre son.

- Iris, reste calme ! la supplia Thomas dans un murmure. Si tu restes immobile, tout... tout se passera bien.

La jeune fille se mit à trembler d'épouvante en dépit des supplications de son camarade. Par les saintes déesses, quelle était cette chose ?! Le Krassen approcha davantage son visage du sien, tant et si bien qu'il lui frôla le nez et lui provoqua une nausée qui força Iris à fermer les yeux avec force. Son heure était venue, elle en avait l'intime conviction. À cause de l'haleine insoutenable du Krassen, le ventre de la châtaine se contracta de façon involontaire et la fit tousser avec force. La créature perçut son mouvement brusque, elle rugit en plein visage de la jeune fille qui poussa un hurlement de terreur. Son avant-bras fut attrapé avec fermeté puis la bête la tira violemment pour l'emmener avec lui.

- Non !! hurla Thomas qui se releva d'un coup.

Les cris des deux apprentis réveillèrent en sursaut les autres voyageurs, dont Astrid qui devait, normalement, monter la garde. Thomas voulut se précipiter vers sa camarade pour l'aider mais une main apparut d'un coup sur le côté, s'écrasa sur son torse puis le plaqua avec force contre le sol, lui arrachant une plainte rauque de douleur. Son souffle se coupa net. Le deuxième Krassen, qui le bloquait, entoura son visage de sa main afin d'avoir une autre emprise sur lui et l'aveugler. Pris de panique, le brun se débattit en donnant des coups de pieds vains dans le vide. Les ongles de la bête tentaient de percer la peau de ses joues pour en faire écouler le sang.

Les ruines des tourmentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant