Chapitre 7

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Chapitre 7

La pièce devient trop petite et j'ai l'impression de m'étouffer.
Awa me regarde ne comprenant pas ce que je suis en train de faire.
Les mots sont en train de s'entrechoquer dans ma tête, je ne sais pas quoi penser.

-Azizatou, tu pleures, dit Awa. Je me rendais même pas compte que mes larmes coulaient.

Avant que je ne puisse lui dire quoi que ce soit. Je l'entends appeler sa mère.
Je ne veux pas que Sokhna me voit ainsi. J'essaie de me calmer mais c'est comme si j'avais reçu un poignard en plein cœur et jusqu'à ce que je l'enlève, je n'irai pas bien.

-Azizatou, que se passe-t-il ? Demande Sokhna.

Mes larmes coulent de plus belles. Que dois-je lui dire ? Que je sortais avec le mari de l'une de ses amis et que sa fille vient de me révéler maladroitement qu'il était marié.
Pourquoi Aziz ne m'a-t-il jamais rien dit ?

-Azizatou, répète-t-elle.

Je prends une profonde respiration en essayant toujours de me calmer sans résultat.
Quand je lève la tête, je vois que son mari est là. Nos 4 yeux se sont croisés en une fraction de seconde. Et là, je me suis demandée de nouveau si Aziz lui avait dit qu'on sortait ensemble ? Est-il possible qu'il comprenne que je suis dans cet état car j'ai su que son ami était marié ?

-Azizatou, tu commences réellement à m'inquiéter. Que se passe-t-il ?

J'essuie mes larmes sachant que Sokhna doit avoir une réponse.
La seule chose pouvant justifier à juste titre ces pleurs est un décès.

-On vient de m'annoncer la perte d'un parent. Ça m'a vraiment touché.

Les mots sortent difficilement mais au moins Sokhna m'a entendu.

-Mes condoléances ma chérie, commence-t-elle. Je suis vraiment désolée.
-C'est mieux qu'elle rentre, dit son mari entrant pour la première fois dans la conversation.
-Oui c'est mieux.
-Les enfants, parvenais-je à dire.
-Je m'occuperai d'eux, dit Ibra.

Je n'ai pas besoin d'en entendre davantage pour prendre mon sac et de quitter cette maison.
Je n'ai même pas dit au revoir.
J'ose espérer qu'ils me comprendront.
Je marche en me posant la même question après chaque pas que je pose. « Pourquoi ?»
Je m'étonne à m'en vouloir moi-même d'être allé à la maison culturelle en ce jour fatidique.
Aziz n'aurait été que mon prof, ce qui serait totalement suffisant.
Si je l'avais connu en tant que mon professeur jamais je n'aurais développé ces sentiments à son égard.
Mais la plus grande question reste : Pourquoi Abdoul Aziz ne m'a-t-il jamais dit qu'il était marié ?
La réponse coule de source mais je refuse de voir mais finalement à quoi ça me servirait de refuser de voir la réalité.
Pour lui je n'étais qu'un jeu et l'idiote naïve que je suis est tombée dans le panneau comme personne.
Quand je repense qu'il s'agit de ma première expérience amoureuse.
J'ai toujours su que cette voix dans ma tête qui me demandait d'éviter les garçons avait raison.
Aziz n'est pas une distraction, il est bien pire que ça.
On se connait depuis 3 mois. 3 mois qu'on se fréquente. Même si cette relation a toujours été anticonformiste, elle n'en était pas moins une.
Je ne devais pas apprendre que c'était un homme marié de la bouche d'une fillette.
J'ai l'impression d'avoir le poids du monde sur mes frêles épaules.
Je me sens tellement lourde, tellement chargée.
Alors c'est à ça que ça ressemble, d'avoir le cœur brisé.
Certains me diront que j'en fais trop. Après tout je n'ai que 17 ans, j'ai encore la vie devant moi. Je pense que l'amour n'a pas d'âge. 17 ans, 20 ans ou 50 ans, être déçu par l'être chéri fait toujours aussi mal.
Aziz s'est bien foutu de ma gueule. S'il y a une chose dont je suis sûre c'est que je ne veux plus le revoir.
Et c'est le moment où encore je regrette qu'il soit mon prof.
Je ne peux pas fuir le reste des cours de français. Je serai obligée de la revoir.
Je ne veux pas le voir demain. Je n'ai aucune envie de pleurer devant lui. Pleurer pour un homme c'est une chose mais que le responsable de ses larmes te voit te tordre de douleur à cause de lui en est une autre.
Il faut que je trouve une idée mais c'est sûr que je ne ferai pas français demain.
La sonnerie de mon portable me fait sursauter, j'étais tellement perdue dans mes pensées qu'on pouvait voir facilement que je me trouvais dans une autre dimension.
Je regarde et c'est son nom qui est affiché.
J'imagine qu'Ibra a dû lui écrire.
Je laisse sonner.
Je n'ai aucune de lui parler et même pour lui dire quoi ?
Je meurs d'envie de le traiter de connard, de salop et de n'importe quel nom d'imbécile qui peut me venir à l'esprit mais à quoi ça me servirait.
Je préfère juste l'éviter et je sais que c'est le mieux que j'ai à faire.
Quand j'arrive chez moi, tout le monde est surpris de me voir arriver aussitôt.
J'ai essayé tant bien que mal de sécher mes larmes, de me calmer. Mais c'est difficile de se retenir quand son cœur saigne.

-Azizatou, tu es arrivée tôt. J'espère que ce n'est rien.
-Tu as une sale mine, remarque ma sœur juste après que grand-mère m'ait parlé.
-Non ce n'est rien grand-mère. C'est juste qu'ils ont eu un imprévu. J'y repars demain.

Je reçois de nouveau un appel d'Aziz. D'habitude dès que j'entre je mets le portable en mode silencieux mais là j'ai complètement oublié.
Je laisse sonner.

-C'est qui ? Demande Grand-mère.
-Un numéro que je ne connais pas.
-Un numéro que tu ne connais pas, dit-elle pas très convaincue par ma réponse.
-Oui, tu sais, il y a des gens qui t'appellent quand tu réponds ils t'appellent par un autre prénom te montrant qu'ils se sont trompés.
-Il semblerait que ce sont toujours les peuls qui font ça, sourit Oumy.

D'habitude je l'aurais charrié mais actuellement je n'ai pas le cœur à ça.
J'éteins le portable et je monte me coucher sur le lit.

-Et tu oses te coucher ?
-Ah, grand-mère s'il te plait. Demain c'est la reprise et j'ai un peu mal à la tête.

Au moins, elle a la délicatesse de ne rien dire de plus.
Je suis couchée, je leurs ai toutes tourné le dos.
J'essaie de ne pas pleurer mais il suffit que je pense à Abdoul Aziz et mes yeux sont dignes d'un robinet.
Le pire est que je suis en train de me détester. Un homme ne mérite pas toutes ces larmes et encore moins un menteur comme Abdoul Aziz.

*******

Si ça ne dépendait que de moi, j'allais pas bouger de la maison aujourd'hui mais sans excuse valable, grand-mère ne m'aurait jamais laissé faire.
Une chose est sûre, je rentre à midi. Le cours de français sera sans moi.
Quand j'arrive en classe, je vois que je suis la dernière arrivée de ma bande. C'est rare mais depuis hier j'arrive pas à marcher vite.
Comme j'avais dit je me sentais lourde et ça ne s'est pas amélioré après juste une nuit.
Malgré qu'il ne soit que 8h et qu'on attend le prof, c'est la reprise et ça parle de partout.
Chacun avec son mot à dire.
Le prof est là, le cours peut enfin commencer.

******
A la pause de 10h aucune de nous 4 est sortie.
Les 3 sont sur leurs téléphones quant à moi, depuis que j'ai éteint le mien hier, je ne l'ai pas rallumé.

-Hun, Ziza ça va ? Demande Hawa.
-Oui ça va, soupiré-je.
-Non, ça n'a pas l'air d'aller, dit Fatima en posant son portable.
-Pourtant ça va.
-Ziza, je te connais mieux que ça, dit Hawa. Depuis ce matin à part « bonjour », tu n'as dit rien d'autres. Je suis sûre qu'il a dû se passer quelque chose durant ces vacances.
-Elle a raison. Là vraiment, tu as une sale tête, intervient Val.
-Si je te connaissais avec un petit ami, j'aurai dit que tu t'es fait trahir. Mais puisque c'est toi, tu dois surement couvrir quelque chose, dit Fatima sur un ton moqueur.
-Il se trouve que j'en ai eu un et je viens d'apprendre qu'il est marié.

J'ai dit cette phrase avant de me rappeler que le type en question était notre prof à toutes les 4 et qu'elles le connaissaient.
Les filles étaient toutes choquées mais sauvée par le gong, le prof du cours de 10H vient juste d'entrer.

******

Durant tout le cours, j'étais en train de me demander ce que je venais juste de faire et comment ai-je pu dire une telle chose aux filles.
Elles ne vont pas me lâcher jusqu'à ce que je crache le morceau.
Si on était assis à un banc assez éloigné du prof, c'est sûr que Fatima n'aurait pas attendu midi pour me poser des questions.
Là par contre, elle peut pas surtout que ce prof déteste les bavardages.
Quand je regarde qu'il est bientôt midi, je peux voir que toutes les 3 étaient en train de compter les minutes. Elles sont toutes très curieuses.
Dès que le prof nous a signalé la fin du cours, Fatima a commencé.

-Jeune fille, viens nous donner les détails. Ziza depuis quand tu fréquentes des hommes mariés ?
-Je pense que ce que Fatima essaie de dire maladroitement est : depuis quand tu es en couple, s'étrangle Hawa.
-Moi je suis choquée, dit Val alors que je cherche mes mots.
-Est-ce qu'on ne devrait pas aller chercher quelque chose à manger ?

Nous sortons toutes de la salle de classe pour aller à la cantine.
J'avais prévu de fuir le cours de français mais je pense qu'après la bombe que je viens de lâcher, je peux tout aussi écrire sur le tableau « l'homme en question est monsieur Diaw ».
Je ne veux pas le voir mais je suis obligée de prendre sur moi.
Dans les escaliers les filles ont recommencé et j'esquivais. Je ne pourrais pas le faire indéfiniment. Il faut au minimum que je leur donne un os pour s'accrocher.
Je me donne des baffes virtuelles. Ziza, qu'est-ce qui a pu te passer par la tête quand tu disais ça ?
Après avoir acheté à manger, on s'est mis à notre place habituelle dans la cour du lycée.
Cette fois-ci je me résigne. Je ne peux pas les fuir donc mieux vaut en finir.

-On s'est mis ensemble et je ne savais pas qu'il était marié. Arrêtez de me demander des détails. Je ne saurais pas quoi vous dire de plus.
-Ah, non. Ce serait bien trop facile. Ici quand il se passe quelque chose à l'une d'entre nous, la concernée vient et nous raconte tout. On te demande pas de nous donner le nom du gars, s'il est marié ce la veut dire qu'il est pas au lycée et que nous ne le connaissons pas mais au moins dis-nous comment vous êtes rencontrés. Où et quand ? Comment tu as fait avec ta grand-mère car c'est sûr qu'elle n'a pas dû te laisser sortir ?

Fatima fini avec ses questions et je réfléchis. Je vais juste taire de qui s'agit. Elle dit qu'elle est sûre de ne pas le connaitre, si seulement elle savait.

-On s'est rencontré quand j'étais en ville.

En disant ça, je me rappelle que j'avais complètement délaissé ce projet de quitter le pays. Mais qu'est-ce qui m'était passé par la tête ?

-Quand ? Demande Hawa me faisant sortir de mes pensées. Vous avais-je dit que ces filles étaient pires que la police.
-Juste avant la rentrée.
-Donc depuis octobre, tu le fréquentes et c'est maintenant que tu apprends qu'il est marié. Hey les hommes ! Dit Val.
-Elle a appris 3 mois après mais tu sais que pour d'autres c'est bien pire. Certains hommes mariés refusent d'assumer.
-Tu l'as su comment ? Demande Hawa encore.

Je prends le temps de réfléchir. Dire la vérité n'est certainement pas une option. La vérité ne sera rien d'autre qu'une réponse entrainant d'autres questions.
Je finis par leur dire que c'est l'homme lui-même qui me l'a dit.

-Il a pris son temps mais finalement il a avoué.

Je ne réponds pas à Val. Que dire après ça ?
Si ce n'était qu'Aziz, je ne l'aurais peut-être jamais su.

-Tu vas le quitter ? Demande Fatima. Je sens que cette question brulait ses lèvres.
-Je pense pas que c'est une question qui se pose.
-Donc c'est oui ? Elle insiste pour avoir une réponse.
-Evidemment. Qu'est-ce que tu veux que je fasse avec un homme marié ?
-Je ne savais pas que tu avais un problème avec un homme marié.
-Peut-être parce qu'on en a jamais parlé. De toute façon, tu dois me connaitre assez pour savoir que je ne fais jamais à quelqu'un ce que je veux pas qu'on me fasse. Je tiens à lui c'est vrai, mais je n'ai pas envie de vivre ça. De toutes les façons, ceci doit me servir de leçon. Les garçons, je les laisse au placard et je me concentre sur le bac.
-C'est juillet, je te rappelle.
-Et alors ? Le bac se prépare toute l'année, pas en juin. Si m'enterrer dans les cahiers peut m'aider à ne plus penser à ce type, crois sur parole je ne ferai que ça les mois qui viendront.
-Je vois que t'es déter... Je te souhaite bonne chance.

Val se lève et nous imitons son geste.
Il est bientôt 13h et je vais voir le sujet de cette conversation sans oublier que je ne dois rien laisser paraître devant les filles.

******

Une fois en classe en attendant l'arrivée de Monsieur Diaw, Fatima me dit :

-Tu ne nous as pas dit comment tu faisais pour le voir malgré ta grand-mère.
-Tu étais mon excuse, répondis-je sincèrement.
-Quoi ? Rit-elle.
-Non mais à ton avis ? Tu pensais que j'allais voir ma grand-mère pour lui dire « mamie y a un garçon qui m'a invité à diner, j'y vais ». Absolument pas. Je disais toujours que j'allais te voir en espérant que tu n'ailles jamais chez moi.
-T'as vraiment eu de la chance que durant ces 3 derniers mois, je sois pas allée aux alentours de chez toi car si je l'avais fait t'aurais été dans la merde.
-On ne sortait pas tout le temps aussi.
-Ziza, je ne sais pas ce que tu ressens pour ce type et encore moins à quel point tu lui en veux d'être marié sans te le dire mais réfléchis bien avant de le quitter. Le fait qu'il soit marié n'est peut-être pas un problème. Je suis sûre que tu n'as aucune envie de te marier. Je me trompe ?
-Non. Je réponds en toute franchise.
-C'est ce que je pensais, t'as 17 ans j'ai un an de plus que toi et même moi je n'y pense pas.
-Fatima, où veux-tu en venir ?
-Je veux dire...

Elle commence et on entend bonsoir de la part de vous savez qui.
Fatima ne termine pas sa phrase et peut-être que c'est pas une mauvaise chose.

******

En le voyant le nœud à l'intérieur de mon estomac n'a cessé de grandir.
Vous connaissez cette sensation qui est telle qu'une main invisible qui est dans notre corps est nous broie nos organes.
Je n'ai jamais signé pour ça et j'en avais vraiment pas besoin.
Je suis en train de souffrir à cause de lui et monsieur fait son cours comme si de rien était.
Si je dis écouter juste un mot, ce serait un énorme mensonge.
2H de cours n'a jamais paru aussi long de ma vie.

*******

Quand on rentrait avec les filles, Hawa parlait des signes qui montrent qu'on sort avec un homme marié mais malheureusement nous autres les filles refusons toujours de les voir.
Elle a parlé du fait qu'il trouve toujours une excuse pour que vous ne vous voyez pas le week-end. Quand il t'appelle, tu remarques toujours qu'il est dehors. Et ne compte jamais sur lui pour qu'il t'amène chez lui.
Pour le dernier point ça va de soi. Faut vraiment être suicidaire pour amener ta maîtresse chez toi.
Après ma pause d'hier, je vais pas mieux. Vous devez vous en doutez ce n'est pas le genre de choses qui s'effacent en 24heures j'aurais aimé mais non. Je pense que ce qui me fait le plus de peine actuellement est l'impassibilité d'Aziz durant ce cours.
Mais bon, j'étais juste un jeu. Ce sera facile pour lui de se trouver une autre gamine bête et naïve.
Je suis arrivée, je salue Sokhna qui me dit qu'elle a essayé de m'appeler mais que c'était pour savoir comment j'allais.
Je me suis souvenue que mon portable était toujours éteint. C'était pas très malin de ma part.
Je lui dis que ça fait mal mais on s'accroche.
Elle pense toujours que j'ai un décès.
Je vais voir les enfants.

******

De la même façon qu'avec mes cours d'aujourd'hui j'ai pas plus de concentration qu'une mouche.
Il m'est impossible d'enchainer 5mn sans penser à Aziz.
Je ne sais pas si c'est la souffrance qui m'oblige à penser à lui ou tout simplement la déception.
Comment a-t-il pu ?
Les enfants ont dû me secouer plus d'une fois. J'espère qu'ils vont rien dire à leurs parents.
J'en veux à Aziz mais j'ai besoin d'argent. Certainement plus que je lui en veux.
Il est 20H même si je sais que ces 2 heures n'ont pas très lucratives pour les enfants, je dois rentrer.
Demain est un autre jour. J'espère que je pourrais me lever du bon pied.

******

Je vais au salon pour dire au revoir quand je vois Abdoul Aziz qui discute avec Ibra.
Mon cœur a fait un salto arrière.
Qu'est-ce qu'il fiche ici ? Me demandé-je avant de me rappeler que j'étais chez son ami et qu'il ne doit pas avoir de sens interdit ici.
Mon pire défaut est que je ne suis pas bonne comédienne. Mais même si je l'étais, je pense que c'est toujours difficile de sourire à quelqu'un qu'on a envie d'étrangler.
Je réussis quand même à dire « bonsoir » surtout que je n'avais pas vu Ibra quand j'arrivais.
Aziz fait savoir à ses hôtes, qu'il est temps qu'il rentre et que je devais profiter de sa voiture pour qu'il me dépose chez moi afin que je ne marche pas.
Que devais-je faire ?
Lui déballer tout ce que je pense devant Sokhna et son mari ?
Je pense que non je n'ai rien dit et je l'ai suivi.
La discussion aura lieu dans sa voiture et je vous promets que je ne vais pas le rater.

Ce que la morale interdit (T1 et T2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant