Chapitre 10

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Chapitre 10


*****Ziza*****

Quand je me suis retournée pour voir la tête de Hawa, j'ai eu la peur de ma vie.
Automatiquement J'essaie de penser à une excuse sachant que j'ai un temps très limité c'est Hawa.

-Attends, tu ne vas pas me dire que l'homme marié dont tu parlais est lui ?
-Non. Je pouvais entendre ma voix craquer. Il fallait que je réagisse au plus vite.
-Hun, fait-elle en me scrutant. J'espère que tu dis la vérité car sortir avec son prof je pense que c'est la dernière des dernières choses à faire.

Je me reprends du mieux que je pouvais.

-Non, bien sûr que non. Comment peux-tu penser un truc pareil ?
-Je ne sais pas. Tu nous parles de ta relation avec un homme marié et quelques jours plus tard je te vois descendre de la voiture d'un de nos professeurs. J'avoue que...
-Rien du tout, je la coupe.
-Ça ne dit pas ce que tu faisais dans sa voiture.
-Par le plus grand des hasards le type chez qui je travaille est un de ses amis, il y était et à proposer de me déposer en m'épargnant ainsi de marcher plusieurs minutes.
-Ah ok.
-Raconte ça à Fatima, elle rira bien de toi.

J'essaie de changer de sujet en ayant peur que raconter un mensonge de plus pourrait bien me trahir.

-Oui, sourit-elle. Tu connais comment j'aime les « cas ».
-Tu ne feras pas de « cas » avec celui-là.
-Oui j'avoue que te connaissant je suis allée un peu trop loin.
-Que veux-tu dire par là ?
-Tu es vraiment la dernière fille de la classe pour ne pas dire du lycée à s'embarquer dans une love story prof-élève.
Je ne sais pas si je dois me sentir flattée ou vexée. Je la laisse continuer.

-T'es bien trop prude pour ça.
-C'est bon à savoir, dis-je en coupant court à cette conversation qui commence sérieusement à m'énerver.
-Ne le prends pas mal. Je le dis juste comme ça.
-Bref. Que fais-tu ici ?
-Chez moi, ils ont fait du mbakhalou saloum comme diner et j'aime pas ça. Me voilà ici pour me trouver un truc à manger. Je ne pensais pas te voir ici.
-Je suis juste passée dire bonjour à mes anciens collègues puisque j'ai pas marché mon trajet était plus rapide.
-Je vois.
-On entre ou tu préfères rester dehors ?
-On y va.

******

Hier soir j'ai vraiment eu de la chance. Quand je pense qu'Aziz voulait un bisou. Hiiii !!! On se serait embrassé et Hawa aurait été au premier rang pour tout voir. Merci Seigneur. Je ne sais pas comment je m'en serais sortie.
De toutes les façons, aucune excuse n'aura été assez bonne pour faire croire à Hawa qu'Abdoul Aziz n'était pas plus qu'un prof pour moi si on s'était embrassé.
Un bisou, ça change tout.
Même si c'était une simple bise, j'aurais pas pu m'en sortir.
Heureusement que j'ai refusé pensant aux gens de mon quartier oubliant que mes camarades de classe fréquentent aussi ce fast-food.
Je pense que Hawa m'a cru. Au lieu de dire je pense, je devrais dire que j'en suis sûre. Elle a dit et je la cite : « tu es bien trop prude pour ça. » Prude ? C'est comme ça que les gens me voient ?
Je sais que je suis assez coincée sur certaines choses mais de là à dire que je suis prude.
Je sais même pas pourquoi cette reproche me touche.
Être prude n'est peut-être pas une si mauvaise chose.
Fatima a apporté son ordi aujourd'hui et je la vois très concentrée sur ce qu'elle est en train de faire.
Je jette un coup d'œil pour voir le logo de campusfrance.
Ça me rappelle que c'était peut-être c'est encore mon objectif d'aller faire mes études en France.

-Val, t'as finalisé ton inscription ? Demande-elle. Fatima, je savais depuis l'année passée mais pas Val.
-Non. Ça a bloqué sur un truc. Je dois voir mon cousin demain après-midi il me donnera un coup de main.
-Fais vite, la date limite est le 31 janvier. Si tu le fais pas avant tout se compliquera.
-Il y a des possibilités de bourses ? Je demande à Fatima. A part une bourse qui me vient du Ciel, je n'ai pas les moyens de m'y rendre.
-Bien sûr. Ma cousine est boursière mais c'est pas la bourse d'excellence. Elle se plaint en disant que c'est peu. La vie coûte chère à Paris et tout.
-La bourse d'excellence est juste ce qu'il faut.
-C'est sûr mais il ne la donne même pas à 1% d'entre nous et en plus il semblerait que ça ne soit destiné qu'aux étudiants de prépa. Quand on décide d'aller à la fac, on oublie.
-Pourquoi il faut toujours que tout soit compliqué dans ce pays ?
-Parce que c'est un pays où les gens n'aiment pas quand les choses sont simples.
-Que comptes-tu faire ?
-D'abord il faut que je sois acceptée dans une université parisienne. Paris étant le seul endroit où je connais quelqu'un. Je serais hébergée par ma cousine mais juste le temps d'avoir mon logement et après je me trouverai un job étudiant. Papa peut me dépanner les premiers mois mais c'est sûr qu'il ne pourra pas le faire toute l'année.
-Job étudiant ?
-Ma cousine m'a expliqué que c'est comme ce que tu faisais au fast-food. Toi par exemple tu auras plus de chance d'être recrutée que nous tu as déjà une expérience. Personnellement je ne compte pas sur les bourses. Je veux juste me débrouiller pour partir.
-J'avoue que les bourses ça craint mais on a pas tous un père sur qui compter.

Un sentiment douloureux me fait grimacer, je ne sais même pas ce que le mien est devenu.
Fatima ne dit rien et je sais que ma réplique l'a gênée et je regrette d'avoir dit ça.

-Je te souhaite bonne chance. Moi sans bourse, je ne pourrais pas quitter Dakar.
-Tu sais que même si tu as une bourse avec ce pays tout est toujours décalé. Je veux dire que tu auras besoin d'argent pour les frais et le billet d'avion. La bourse tu l'auras une fois en France pas avant.
-Comment ça ?
-Ce que font certains, j'ai une amie elle est boursière. Ce n'est pas la bourse de l'Etat mais celle de l'université. Elle est actuellement en master physique à l'Université Paris-Saclay. Seules 2 personnes ont été sélectionnée. Son père a fait un prêt pour tous les frais même son logement elle a dû le payer en avance. Une fois en France, elle a reçu la bourse et elle a envoyé à son père l'argent.
-Pour moi c'est compliqué. Grand-mère ne peut pas faire de prêt et je ne peux pas compter sur mon oncle.
-Mais avec un peu de chance, tu peux faire comme cette amie. Tu as 3 ans pour aller faire PC. Tu te débrouilles. Tu économises comme tu peux et après si tu as la bourse tu auras assez économisé.
-Tu penses que je peux économiser quoi que ce soit avec mes sœurs sans oublier mon oncle qui exige que j'achète certaines choses puisque je travaille.
-C'est compliqué.
-Peut-être que la France n'est finalement pas pour moi.
-Tu peux toujours te marier avec un Francenabé et partir le rejoindre.

Elle rigole alors que je lui jette un regard noir.

-C'est un moyen comme un autre. En passant, Hawa m'a dit qu'elle t'a vu avec le prof de français hier.

Je lève les yeux au ciel.
Hawa est pire qu'une moucharde.

-Et je ne sais pas pourquoi elle a senti le besoin de t'en parler.

Je m'exprime en regardant Hawa. Elle sait bien que c'est un reproche.

-Tu nous caches des choses maintenant ?
-Fatima y a rien à cacher ici. Il m'a juste déposé. Je ne sais même pas pourquoi tu veux en parler.
-Si tu t'emportes aussi facilement quand on en parle chérie c'est parce qu'il n'a pas fait que te déposer.

Il me faut toute la force du monde pour me calmer. Si je pouvais étrangler Hawa je l'aurais fait.

-Non, je ne suis pas en train de m'emporter. Je pensais en avoir fini avec cette histoire dès que j'ai expliqué les raisons à Hawa mais je vois bien que non.
-Si c'est pas lui l'homme marié en question, montre nous une photo de ce type.

Et il fallait bien que Val s'en mêle aussi.
J'ai l'impression qu'elles sont en train de me faire un procès et je n'ai aucune idée de comment faire pour m'en sortir.
Je me rappelle que ma toute première bêtise est de leur avoir dit que j'avais un copain.
Si elle pensait que j'en avais pas, jamais je n'aurais vécu ce moment.

-Je n'ai pas besoin de vous prouver quoi que ce soit. Je sais que c'est pas lui et si vous vous avez envie de vous faire des films, ne vous gênez surtout pas. Je vais aux toilettes.

La seule chose que j'ai trouvé pour pouvoir sortir d'ici.
Les filles sont chiantes quand elles s'y mettent.
J'ai voulu m'éclipser mais je sais que d'une façon ou d'une autre je ne pourrais pas sortir de ce merdier.
Le fait d'être sortie, de fuir ne fera que confirmer leur soupçon.
Celui qui ne doit rien, ne craint rien, dit-on.
Mes craintes ont dû se voir, ont dû se sentir.
Pourquoi il a fallu que Hawa l'ouvre ?
Je savais que c'était trop beau pour espérer qu'une pipette comme Hawa ne dise rien.
Il faut que je trouve un moyen de m'en sortir. Il faut surtout que j'en parle à Aziz, appréhendant déjà sa réaction.

*****

J'ai envoyé un message à Aziz hier après la « discussion » avec les filles. J'avais besoin de lui parler de ça et je pense qu'il préfère savoir.
Je pense n'avoir jamais rien fait en classe qui pourrait trahir cette relation. J'évite de le regarder. D'ailleurs j'évite toujours de regarder les profs. Avec Abdoul Aziz c'est pire. Même quand il fait l'appel je dis « présente » tête baissée. Il m'a une fois nargué avec ça, j'ai préféré l'ignorer. Lui mieux que quiconque sait pourquoi j'agis ainsi. En revanche, le plaisantin qu'il est préfère ignorer cela.
Je lui ai envoyé un message au lieu de l'appeler parce que depuis que j'ai su que monsieur était marié, je préfère éviter les appels.
Dieu seul sait où je pourrais me mettre si je l'appelais et que je tombais sur son épouse.
Une situation gênante que je préférais éviter.
Sans oublier que j'ai tout intérêt à ce que cela ne s'ébruite pas.
Sokhna est l'amie de son épouse, je doute si elle sait la relation que j'entretiens avec Aziz, qu'elle me garde comme aide-devoir et j'ai besoin de ce boulot qui m'arrange bien plus que celui du fast-food.
Aziz m'a invité à déjeuner ce mercredi après-midi. D'ailleurs plusieurs de nos rencontres ont eu lieu mercredi après-midi.
J'imagine que c'est normal. Je sais que son épouse travaille et que sans doute les mercredis elle les passe au bureau en ayant aucune idée de ce son homme est en train de faire.
Je m'étonne d'autant penser à sa femme. Une personne que je n'ai vue qu'une fois et par le plus grand des hasards. Je serais arrivée plutôt ce jour-là, je l'aurais manqué. Peut-être que j'aurais dû la manquer. Rien ne m'attache émotionnellement à cette dame et pourtant je ne peux m'empêcher de penser à elle.
C'est normal, vous me direz après tout le mec que j'accompagne au restaurant n'est plus ni moins que son mari.
Les choses auraient été tellement plus simples s'il était pas marié.

-De quoi voulais-tu parles ?

Il me fait sortir de mes pensées.

-Des filles.
-De tes amies qui t'avaient demandé de ne plus me voir.
-Si elles me l'avaient demandé peut-être que je ne serais pas assise aujourd'hui avec toi.
-Je ne te connaissais pas aussi influençable. Tu veux dire que je dois les remercier.
-Je ne t'ai pas dit ça.
-C'est un peu tout comme.
-En fait Hawa nous a vu lundi soir.
-Et ?

Il me dit ça d'une façon tellement détachée que je suis en train de me donner des baffes virtuelles pour avoir autant stressée.
Attendez, moi je ne suis qu'une élève. C'est lui le professeur, c'est lui qui a le plus à perdre dans cette histoire.

-C'est tout ce que ça te fait ?
-Non mais... Tu m'a dit que Hawa nous a vu lundi. Si mes souvenirs sont bons, je n'ai fait que te déposer avant de partir. En quoi le fait qu'elle nous ait vu doit être problématique ?
-En fait j'ai essayé de la convaincre que je travaillais chez un tes amis.
-Chose qui est vrai.
-Qu'on s'est croisé hasardeusement et que tu as proposé gentiment de me déposer.
-Tu vas me dire maintenant en quoi cette histoire te stresse parce que j'ai du mal à suivre.
-Ça me stresse parce que j'ai l'impression que les filles ont compris.
-Elles te l'ont dit ?
-Non mais quand Val m'a demandé de montrer une photo de l'homme marié en question, donc...
-La pire erreur que t'as commise a été d'avoir parlé de ça avec tes amies.
-S'il te plait. Ne me fais pas me sentir plus mal à cause de cette histoire. J'avais besoin d'un avis externe. Je devenais folle à cause de cette histoire.
-Je comprends mais bon. Ce qui est fait est fait. Si Hawa nous avait vu en train de manger dans un restaurant, là peut-être y aura de quoi t'inquiéter. Si c'est juste ce qu'elle nous a vu faire, y a pas de quoi être stressé. Tu continueras à démentir et on fera plus attention sur les lieux qu'on fréquente.
-Tu as raison.
-Je suis professeur, chérie. C'est mon job d'avoir toujours raison.
-Je vois que tu es toujours dotée de cette incroyable modestie.

Il rigole à ma remarque avant de me demander où j'en étais avec l'exposé sur l'Etranger.
Je lui parler des dernières choses que j'ai ajouté mais que c'était sur l'ordinateur de Fatima.
On passe lundi prochain. Et comme chaque fois que j'ai eu droit à un exposé, je suis très stressée.

******

Quand j'arrive chez moi, je suis surprise de voir ma mère avant de me rappeler que demain était le mariage d'une de mes cousines.
Je compte pas y aller, raison pour laquelle j'ai oublié.
Je pensais pas que ma mère allait venir de Saint-Louis juste pour ça.
Elle est avec mon petit frère, mon demi-frère plutôt. Il est âgé de 3 ans. Il a un grand frère. Maman n'a pas dû l'amener peut-être parce qu'il doit aller à l'école.
Je vois ma sœur Leïla qui joue au bébé sous le regard accusateur de Oumy.
Leïla refuse de grandir.
J'allais lui faire un reproche avant de finalement me dire qu'elle reste celle que le divorce de nos parents a le plus affecté.
Elle était la plus jeune des 3 et il est pas impossible qu'elle n'y ait aucun souvenir d'une famille unie.
Et ma mère n'a fait que 2 ans ici avant de se remarier nous laissant derrière elle, toutes les 3.
Elle allait dans une maison familiale et sans doute 3 enfants avec soi aurait été compliqué.
Je m'en fous de moi mais elle aurait pu au moins amener Leïla avec elle.

-Que comptes-tu porter demain ? Questionne maman.
-Porter pour aller où ?
-Au mariage bien sûr.
-Maman, tu sais bien que j'ai cours et je compte pas y aller.
-Tu finis à 17h non ?
-Oui mais pour aller bosser ensuite.
-J'ai tendance à oublier que tu travailles et c'est normal. Depuis que tu as commencé même pas un 10000 je n'ai eu venant de toi.

Ma mère est et sera toujours un cas à part.

-Peut-être que si tu ne reçois pas un 10000. C'est parce que depuis un bon moment, à chaque fois qu'une de tes 3 filles a besoin d'un stylo de 100Frs c'est de ma poche que l'argent sort. Sans oublier que je paie le déjeuner de midi pour chacune de nous les vêtements et autre frais. Je me demande même comment on fait pour nous démerder avec 50milles.
-Azizatou, tu as vu comment tu parles à ta mère, me réprimande grand-mère. De toute façon, elle est plus ma mère que cette femme.

Ma grand-mère reprend.

-Thioro, elle a quand même raison. « Si tu ne peux pas donner l'aumône à un aveugle, laisse-la avec ce qu'il a ». Même moi quand j'ai besoin de certaines choses et que ton frère me dit qu'il ne peut pas m'aider c'est vers elle que je me tourne. Je te comprends, tu ne travailles pas et tu as besoin de certaines choses mais Azizatou en a déjà assez sur ses épaules.
-Si vous le dîtes. C'était juste une remarque. Et même quand comptes-tu te trouver un mari ? Soukey (Celle qui se marie demain) n'a que quelques mois de plus que toi.

Finalement ma mère est très bien à Saint-Louis. Cette femme est folle.

Ce que la morale interdit (T1 et T2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant