𝗍𝗋𝖺𝗃𝖾𝖼𝗍𝗈𝗂𝗋𝖾 ; 𝐭𝐨𝐦𝐞 𝐭𝐫𝐨𝐢𝐬

trente-cinq

emma ;

Je marche pour sortir du couloir et emprunter les escaliers afin de me rendre au rez de chaussée, puis je souffle en me rendant compte que je suis partagée.

Je ne sais pas si je suis contente ou pas.

Il est huit heures du matin et je viens d'apprendre que ma prof d'anglais est absente, alors je suis libre pendant deux bonnes heures.
C'est Zack qui avait raison, il m'avait prévenu que lui, ne viendrait pas, sachant qu'on devait avoir contrôle pendant ce cours-là.

J'aurais dû l'écouter, comme ça j'aurais profité d'un peu de sommeil.

Mais le côté positif c'est que je vais pouvoir me rendre à la bibliothèque afin de réviser, car les épreuves arrivent à grand pas.

Et même si je ne suis pas du tout motivée pour me plonger dans mes cours si tôt, je continue tout de même mon chemin, alors que les gens de ma classe eux, sont pratiquement tous reparti chez eux pour sécher la journée entière, du coup.

Je plisse mes yeux et souris intérieurement quand je perçois Noé assis sur le banc du couloir principal, près des casiers.
Je m'avance, désormais définitivement heureuse de m'être écouté, car sans ça, je ne l'aurais peut-être pas croisé.

Pourtant plus je m'approche, plus mon cœur se serre, surtout lorsque Noé tourne sa tête vers moi et me regarde sans réagir.

Rien.

Sans que je ne contrôle quoi que ce soit, mes pas deviennent bien moins assurés, et ralentissent la cadence.
Ce qui ne m'empêche pas de poursuivre malgré tout mon avancé vers la bibliothèque, donc vers lui.

Et quand je me retrouve à quelques mètres de lui et que je ne le vois toujours pas réagir, je tente de lui sourire.

Sans avoir de retour de sa part.

D'un coup, je sens l'infime confiance en moi se faire la malle, j'ai l'impression d'avoir l'enveloppe charnelle de Noé face à moi, mais pas son âme.

Son regard est vide, un peu comme mon cœur à présent.

Pourtant j'avance encore, en essayant de détourner le regard, en vain. Et arrivée à quelques mètres de lui, il se lève et se tourne vers ses amis avant que j'entende sa voix résonner :

- Venez, on y va

Inconsciemment je m'arrête et fronce les sourcils alors que lui, prend le chemin menant à la cour. À l'opposé de moi.

Un nœud se forme dans ma gorge, m'empêchant de déglutir sans douleur, et au lieu de me rendre à la bibliothèque, je me précipite jusqu'aux toilettes pour appuyer mon bassin contre les lavabos, le regard perdu et le cœur désormais en lambeau.

Je me retourne pour faire face à mon reflet, mes yeux se ferment brièvement, le temps pour moi d'inspirer profondément.

Il me fait monter tellement haut, descendre tellement bas...

Je crois que j'ai jamais eu aussi mal, je crois que ce que j'ai lu dans son regard me détruit.
Je ne suis pas sûre de ce que je ressens, de ce que cette scène me procure.

La porte du toilettes derrière moi s'ouvre et je soupire quand Kelly en sort, avant de me sourire.

Je fais semblant de me laver les mains et baisse la tête alors qu'elle s'approche jusqu'à être à côté de moi.

- Bah alors Emma, tu t'es perdu ?

Je plisse les yeux.

- Bah... nan ?

- Ah oui... c'est vrai... toi et les toilettes, une grande histoire !

Je relève mon visage pour ancrer mes yeux dans les siens alors qu'elle poursuit :

- Oh ça va fait pas la choquée...tu crois que j'y ai cru moi à ton mytho ? t'as pris ton pied dans les toilettes ça va... c'est pas dramatique...

- Je-

- J'aurais juste crû que t'aurais fait ça avec quelqu'un d'autre que Seb quoi... genre... Noé

Je fronce les sourcils.

- Bah oui Emma... tout le monde le sait que tu le kiffe...

- Mais n'importe quoi...

- Quoi ? Qu'est-ce qui est n'importe quoi ? Sébastien ? Noé ? Non parce-que j'avoue qu'il faut te suivre finalement toi... d'ailleurs ton père il dit rien vis à vis de ça ? J'veux dire le comportement d'Esma... toi qui butine chez le fils de son ami, en embrassant parallèlement le fils d'un autre...

Je reste bouche bée face à sa tirade et le visage de mon père apparaît dans ma tête, et mon sang ne fait qu'un tour après ça.

Je ne suis pas Esma, je n'aime pas les problèmes, les conflits, les engueulades.

Mais mon père m'a toujours ordonné de ne jamais me laisser faire.

- En fait t'es jalouse, hein ?

La prononciation de cette phrase me demande énormément de courage, parce que je mens en tout point.

D'une, car je ne crois pas qu'elle soit jalouse de moi.

Y'a qu'à la voir à côté de moi.

Et de deux, je ne suis pas aussi confiante pour poser cette question en toute sérénité.

Donc je joue celle qui n'est pas atteinte, comme à mon habitude.

Alors que sa réponse me foudroie :

- Mais attends tu rigoles là... tu t'es vu, Emma ?

Je souris alors que j'ai envie de pleurer.

- Oui, je me suis vu, et crois-moi, je suis en accord avec moi-même. C'est l'essentiel, si toi tu penses que je suis ce genre de fille, grand bien te fasse, venant de toi, ça m'est égal !

Elle hausse les sourcils.

- Et parle plus jamais d'mon père, ni d'ma sœur d'ailleurs

- Ah oui ? Et sinon quoi ?

Je réuni le peu d'énergie que j'ai moi, pour articuler les derniers mots que je suis capable de lui adresser :

- Moi Kelly contrairement à toi je ne parle pas. Je te conseil juste en te disant ça, tu en fais ce que tu veux

Elle s'apprête à répliquer mais je lui en empêche :

- Et si l'histoire des toilettes t'inspire et t'excite autant, saute le pas et fais-le, comme ça tu pourras me le dire, si ça détend ou pas !

Je bloque ma respiration et lui tourne le dos pour m'enfuir de la pièce alors qu'elle ne dit pas un mot.

En longeant le couloir pour enfin retrouver la bibliothèque, je sèche rageusement mes larmes que je ne contrôle pas.

Je n'ai qu'une envie : c'est de rentrer chez moi.