quatre-vingt-deux

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emma ;
un an avant.

Assise face à mon père qui a les yeux rivés sur l'ordinateur, je soupire et baisse les miens pour regarder mes mains qui tremblent.

- C'est bon c'est maintenu pour demain, tu peux partir

J'hoche la tête, soulagée.

- Et tu peux toujours venir avec moi, hein ?

Il sourit et baisse l'écran en me répondant :

- Ouais, t'inquiète

J'acquiesce.

- Tu devrais aller voir ta sœur...

- Oui...

Je tente de sourire et me lève de ma chaise avant de quitter la pièce et de rejoindre notre chambre où Esma s'y enferme depuis plusieurs jours.
La tromperie de Noé n'a toujours pas été digérée de son côté, alors que du miens j'ai encore du mal à assimiler tout ce que ce dernier m'a confié.

Et comme depuis ce jour, lorsque je me retrouve face à Esma, je n'arrive pas à la regarder dans les yeux.

Je me sens mal et honteuse, mais en même temps je me sens incapable de lui dire que celui qu'elle pleure est amoureux de moi.

Quelque part j'aurais aimé ne jamais le savoir.

J'ai beau retourner la situation dans tous les sens et même si je ne peux nier le fait que Noé a bien dû souffrir de cette situation, je n'arrive pas à voir la suite autrement.

J'aime Zack.

Je suis amoureuse de lui.

Car il est, et restera toujours celui que je choisirai.

Mais la situation est bien trop compliquée et risque de nous bouffer si jamais je ferme les yeux sur ce qu'il vient de se passer.

- Esma ?

- Mh

Je dégluti avec difficulté et m'abaisse pour être proche de son lit, et d'elle

- Je pars demain

- J'm'en fou

Je ferme les yeux et profite du fait qu'elle soit dos à moi pour grimacer, à cause du pincement au cœur que je ressens.

Esma prend mon départ pour de l'abandon alors que pour moi il s'agit seulement de la seule issue que j'ai trouvée, combiné aux opportunités que la sortie du projet de Ken m'a ouvert.

Car s'il y a bien une part de lumière dans cette ambiance bien trop sombre, c'est qu'au-delà de fait que le projet est bon, il est celui qui met un point final à la carrière incroyable qu'est celle de Ken, alors il a fait du bruit jusqu'à me faire connaître, c'est minime mais ça m'a poussée à me diriger vers l'intendance du lycée afin de leur déposer ma lettre de démission avant de rejoindre mon père qui depuis le début m'accompagne et me guide dans ce nouveau monde que je ne connais absolument pas.

Je ne pars pas de façon définitive et en soit je ne pars pas vraiment, je prends juste du temps pour moi et pour ma passion, tout en revenant de temps en temps ici.

Au moins deux fois par mois, c'est sûr, car je ne supporterai jamais d'être loin de mes parents, de ma sœur et de mon frère trop longtemps.

Je le sais, je n'en suis pas capable.

Tout comme je ne suis pas capable de continuer ma vie qui ne me convient plus et que j'ai envie de prendre en mains.

Mais Esma m'en veut de la délaisser alors qu'elle ne s'en est toujours pas remise, et je m'en veux autant qu'elle, pourtant je sais que si elle avait connaissance de ma position, elle me comprendrait.

Car l'entendre pleurer est insurmontable pour moi et l'atmosphère est bien trop lourde pour que je puisse évoluer sainement.

Ma mère m'a conseillé de partir, mon père m'a conseillé de rester.

Avant qu'ils se rendent tous les deux à l'évidence, il faut que je parte en restant tout de même ici.

Alors toutes mes affaires ne seront pas déménagées et mon père reste avec moi la première semaine, le temps que je prenne mes marques.

- On pourra s'appeler tous les jours puis en plus je reviens dans deux semaines... Esma je ne t'abandonne pas mais voilà... je tiens peut-être quelque chose là...

Je l'entends soupirer avant de la voir se tourner vers moi, et malgré elle, elle sourit.

- À qui je vais parler...? Toi tu pars, dans quelques mois Maëva aussi...

- Maëva part à la rentrée prochaine, t'as le temps et d'ici là je serais sûrement revenue. Esma je vais faire le plus d'allers retours possible et de toutes façons pendant les vacances toi, tu vas me rejoindre... pas vrai ?

Elle hoche la tête et me tend son petit doigt pour que j'imbrique le mien.

- Toi en attendant tu vas prendre soin de toi, et tu vas m'éblouir la prochaine fois que je te revois...

Je l'entends rire, puis elle redevient sérieuse avant de me demander :

- Et Zack...?

Je souris tristement, ayant déjà fait le tour de la question en amont.

- Si ce n'est pas maintenant, ça sera peut-être plus tard...

Esma acquiesce avec lenteur en ne me quittant pas des yeux.
Puis je m'allonge à ses côtés après avoir réuni la totalité de mes affaires pour mon départ, pour au final m'endormir en pleine discussion avec ma jumelle qui s'efforce de me raconter tout et n'importe quoi.

Ça lui occupe l'esprit, ça occupe le mien.

Et ça me permet pour une fois de m'endormir sans être trop peinée.

Car Esma me rappelle une époque très lointaine, où j'étais petite et heureuse, une époque où j'avais encore ma grand-mère.

Je suis sûre que si elle avait été là, j'aurais pu tout lui dire et je suis aussi sûre qu'elle aurait su me réconforter.

Mais elle n'est plus là, et je mentirais si je disais que ma famille ne me suffit pas pour ça.

Parce que c'est fou à quel point ils sont là pour moi.

Quand je me réveille quelques heures plus tard, je prends le temps d'observer ma sœur dormir avant d'embrasser son front une multitude de fois, en lui murmurant que je l'aime et qu'elle va me manquer, avant de me lever et de me diriger dans la salle de bain pour en sortir l'heure d'après, prête à partir du foyer.

Je rejoins mon père qui m'attend en bas, et qui est accompagné de ma mère qui s'est réveillée bien plus tôt que d'habitude pour me dire au revoir.

Dans les bras de celle qui m'a mise au monde, je laisse une larme couler sur ma joue, ne pouvant m'empêcher de me répéter qu'elle va terriblement me manquer.

Mais je me détache d'elle pour suivre mon père qui lui aussi, a pris le temps de dire au revoir à ma mère pendant que moi je les regarde avec admiration.

Ils sont toujours autant l'objectif que je souhaite atteindre.

Et mon cœur se serre quand le visage de celui avec qui j'espère le réaliser, s'affiche sous mes paupières lorsque je ferme brièvement les yeux.

Ce même visage qui ne me quitte pas pendant des heures et des heures, jusqu'à ce que je quitte la ville, le département, puis le pays.

Pour en retrouver un pas si loin de celui dans lequel je vis, et qui va m'accueillir pour peut-être me voir éclore dans le monde de la musique.

Parce que mon père me l'a répété un milliard de fois, à Londres, ça va beaucoup trop vite.

 𝗍𝗋𝖺𝗃𝖾𝖼𝗍𝗈𝗂𝗋𝖾 ; 𝐭𝐨𝐦𝐞 𝐭𝐫𝐨𝐢𝐬Où les histoires vivent. Découvrez maintenant