Héra ne savait quoi penser de Janus. Il venait presque chaque jour la voir pour lui apporter à manger. Ce n'était pas un festin mais ça lui permettait de reprendre petit à petit des forces. Le jeune homme ne semblait pas s'offusquer du fait qu'elle parlait peu. Il était de toute façon bien assez bavard pour deux. Elle avait réussi à tirer quelques informations de ses babillages incessants. Agé d'une vingtaine d'année, il était né à Lygia et y résidait toujours. Sans surprise il s'agissait d'une ville portuaire où il exerçait le métier de pécheur. Il vivait seul avec sa mère et sa sœur. C'était plus qu'évident qu'il tenait énormément à sa famille. Chaque fois que son visage s'éclairait à la mention des deux femmes de sa vie, Hera éprouvait une jalousie irrépressible et une nostalgie certaine. Elle ne pouvait qu'imaginer l'effroi du mortel si elle lui parlait de sa propre famille. Si elle lui expliquait que sa mère avait dû la cacher pendant des années de son père qui voulait la dévorer.
Le soleil était haut dans le ciel. Il ne viendrait pas aujourd'hui. Elle sauta du rocher où elle avait pris l'habitude de l'attendre pour rejoindre la forêt. Son ventre gargouilla en signe de protestation comme s'il avait compris qu'aujourd'hui il n'y aurait ni poisson grillé, ni patate douce. Elle l'ignora consciencieusement, se dirigeant vers la clairière où Janus lui avait construit un abri de fortune. Elle attrape l'une des vieilles robes qu'il lui avait apportées et entreprit une longue marche vers la plage suivant les indications du jeune homme. Elle frissonna de plaisir en imaginant l'eau caresser sa peau pour la débarrasser de toute la crasse accumulée. Ses nymphes lui manquaient. Elle payerait cher pour un bain chaud au lait d'ânesse. Elle chassa rapidement cette idée de son esprit, refusant de penser au passé. Ces privilèges étaient ceux d'Hera, reine des dieux, pas ceux de...
- Rahé !
Elle se tourna et posa les yeux sur le jeune homme qui reprenait son souffle, les paumes sur ses genoux, le tronc baissé comme si la station debout lui était difficile. Il avait dû courir comme un dératé vu le temps que cela lui prit de retrouver une respiration normale. La déesse n'esquissa pas le moindre mouvement, attendant presque patiemment. Il se redressa un sourire idiot aux lèvres.
- Tu ne m'as pas attendu, lui reprocha-t-il sans animosité.
Elle ne répondit pas, reprenant sa marche, sachant pertinemment qu'il la suivrait. Pourquoi lui reprochait-il de ne pas avoir attendu ? Il était celui qui lui avait expliqué qu'il ne pouvait venir que les jours de tempêtes puisqu'il ne pouvait pas prendre la mer. Il réduisit la distance entre eux, calant son pas sur le sien.
- Tu vas à la plage ?
Encore une fois, ses lèvres demeurèrent closes. Il était celui qui lui avait expliqué comme s'y rendre et devait reconnaitre le trajet. Sans compter qu'elle se souvenait de la honte cuisante qu'elle avait ressenti lorsqu'il lui avait dit qu'elle pourrait se laver si elle y allait. Elle aurait voulu lui dire qu'elle n'était pas sale par choix. Qu'elle faisait de son mieux face à une situation inédite à laquelle rien ne l'avait préparé.
- Je peux venir ?
Elle ne voyait pas l'intérêt de répondre. Il la suivait déjà, pourquoi lui demander l'autorisation. Sa compagnie l'agaçait sans pour autant lui être complètement repoussante. Il était comme une mouche qu'elle s'était lassée de chasser.
- J'ai quelque chose pour toi ! ajouta-t-il sur un ton conspirateur.
Cette fois elle tourna la tête vers lui baissant par automatisme les yeux vers le sac de son interlocuteur. Elle espérait qu'il avait apporté les galettes de fromage que sa mère avait fait la dernière fois. Ou peut-être des figues, elle adorait les figues. Il sembla trouver sa réaction amusante puisqu'un rire s'échappa de sa bouche. Elle ne se braqua pas, ne trouvant pas ce son désagréable. Elle le vit sortir une sorte de coquillage.
- Ma sœur l'a retravaillé. Elle est douée avec ses mains. Tu pourras te coiffer comme ça.
Il l'avait déjà dit un nombre incalculable de fois. Ne se lassait-il donc jamais de la couvrir d'éloges ? Était-elle si extraordinaire que cela ? Elle aussi pouvait se vanter de ses sœurs. Il était vrai qu'Hestia était d'une banalité effarante mais nul doute que Demeter battait à plate couture sa sœur pour ce qui était du talent ! Elle se saisit néanmoins de l'objet, n'ayant aucun contrôle. Chaque fois qu'il lui donnait quelque chose elle se retrouvait à l'accepter alors même qu'elle voulait refuser. Après lui avoir conseillé de se décrasser, voilà qu'il lui disait qu'elle n'était pas coiffée. Ce garçon n'avait aucun tact. Elle continua de fixer le sac avec insistance lui signifiant qu'elle voulait le reste.
- Pas si tu ne me dis rien, argua-t-il, ses yeux rieurs brillants d'une lueur amusée.
- Je n'ai rien à dire, rétorqua-t-elle.
- Pas même un petit merci ?
- Je ne t'ai rien demandé, s'agaça-t-elle.
- Alors je n'ai rien de plus pour toi.
Elle claqua sa langue en signe d'agacement, tendant la main pour fouiller elle-même dans le sac mais il s'écarta. La jolie rousse tenta de nouveau le coup sans succès. Elle sentit ses pouvoirs se manifester, la terre trembla légèrement sous eux avant de cesser pour ne tourner que pour elle. Elle posa la main sur son front, étourdie. Janus s'approcha inquiet.
- Rahé ? Est-ce que ça va ?
Elle attrapa le sac d'accras de morue qu'il avait apporté en affichant une expression triomphante. Stupide mortel. Elle savait qu'utiliser même une infime partie de ses pouvoirs l'affaiblirait. Il était tombé dans le piège la tête la première oubliant tout à l'idée qu'elle se soit sentie mal. Elle enfourna tous les accras dans sa bouche de peur qu'il ne les lui reprenne. Loin de s'énerver pour sa défaite, il éclata d'un rire tonitruant. Elle se remit en route, mâchant avec appétit, serrant le peigne dans sa paume.
Elle ne s'arrêta qu'une fois arrivée à destination. Ses orteils rencontrèrent le sable chaud avec bonheur. Une fois Janus dos à elle, elle se débarrassa de ses guenilles avec impatience sans prendre la peine de vérifier qu'il n'en profitait pas pour la reluquer. De toute façon, vu la vitesse avec laquelle elle plongea dans les eaux salées, il n'aurait pas eu beaucoup de temps pour voir quoi que ce soit. Elle resta au fond de l'eau un moment avant de se souvenir que l'air ne lui était plus aussi indispensable qu'autrefois. Elle frotta son visage avant de donner un coup de pied sur le sol sablonneux pour remonter à la surface, rejetant ses cheveux en arrière, elle glissa le peigne dans ses cheveux de feu, les démêlant consciencieusement. Elle sentait le soleil la couvrir de ses rayons, réchauffer son être et faire briller les gouttes d'eau qui perlaient comme un millier de cristaux sur sa peau.
Alors qu'elle se délectait de cette sensation, elle ressentit soudain un afflux d'énergie comme lorsqu'elle se sustentait. Était-ce les accras de morue qui faisaient encore effet ? Non. C'était différent, familier, plus complexe. Elle tourna les yeux vers la plage où Janus était encore planté. Il avait comme toujours un air idiot avec ses yeux ronds et sa bouche entrouverte. Il détourna les yeux et la sensation s'atténua sans pour autant complètement disparaitre. Elle entrevoyait ce que cela pouvait être sans pour autant en avoir la certitude. Se pouvait-il que l'espace d'une seconde, le mortel l'ait inconsciemment adulé ? Était-elle encore capable de susciter ce genre de sentiment ? Elle n'était pas certaine de vouloir le savoir. Elle ne voulait pas dépendre d'eux, ni de qui que ce soit. Elle plongea de nouveau, bien décidé à mettre autant de distance que possible entre elle et celui sur qui elle ne s'était déjà que trop reposée.
***
N'oubliez pas d'aller soutenir l'artiste sur Instagram et de participer, si vous le pouvez, à la cagnotte pour financer le webtoon grâce aux liens sur mon profil !
À bientôt pour un nouveau chapitre !
VOUS LISEZ
Oh My Goddess!
ParanormalSi vous aviez une chance de tout reprendre à zéro, qu'est ce que vous changeriez ? C'est un choix que se voit offrir Hera, la reine des dieux. Peut-on échapper à son destin ? Et surtout à quel prix ?