Chapitre 18

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Devoir crapahuter seule sur un chemin sombre, sinueux et rocheux poussa Héra à regretter sa dispute avec Hadès. Elle aurait dû envoyer paître le dieu seulement après avoir quitté les Enfers. Peut-être que cela lui aurait épargné de devoir caresser Cerbère des heures pour que ses crocs acérés cessent de lacérer les pans de sa toge. La créature refusait de la laisser partir et s'était agrippée à elle avec toute la force de son désespoir. Le chien à trois têtes la suivait d'ailleurs toujours tandis qu'elle grimpait vers une sortie qui existait – elle l'espérait – déjà. Elle ne put s'empêcher de sourire en voyant enfin les rayons du soleil. Il lui fallut encore quelques heures de marches avant d'atteindre l'air libre et elle se laisse choir au milieu du champ de fleurs sauvages. L'une des truffes humides du gardien des Enfers se posa sur sa joue, suivi d'un coup de langue dont elle se serait bien passée.

- Tu dois rentrer... soupira-t-elle vidée de ses forces.

Elle fut gratifiée de gémissements plaintifs. Une part d'elle était tentée de le garder mais elle doutait qu'il y ait suffisamment de place dans la cahute de Janus. Sans compter qu'il faudrait expliquer au mortel l'existence et la présence de la bête.

- Je reviendrais te voir, mentit-elle sans ouvrir les yeux.

Il y avait très peu de chance qu'elle remette les pieds dans les Enfers. Premièrement, elle doutait d'être la bienvenue après en avoir insulté son propriétaire. Deuxièmement, le trajet de retour était bien trop ardu pour qu'elle retente l'expérience de sitôt. Elle ne devait pas être très convaincante puisque Cerbère ne faisait pas mine de rebrousser chemin. Bien au contraire, il s'allongea à ses côtés, éternuant assez fort pour créer une tempête de pétales autour d'eux. Elle ne put retenir davantage son amusement et son rire éclata finalement.

- Jolie.

Héra ouvrit les yeux et au-dessus d'elle se tenait une enfant ravissante à la peau sombre et aux yeux d'un brun rosé. Les cheveux de la fillette formaient un amas de boucles aussi sauvage que la nature qui les entourait. Elle n'était pas mortelle.

- Jolie, répéta l'inconnue qui n'en était pas vraiment une en pointant cette fois le chien du doigt.

- Tu as toujours eu des goûts étranges à ce que je vois Kore, soupira Héra.

- Maman.

- Je lui ressemble mais je ne suis pas ta mère, répondit-elle, son cœur se serrant à la pensée de ne plus avoir l'occasion d'entendre ce mot dans la bouche de ses propres enfants.

- Triste.

- Un peu...

La petite déesse réduisit l'espace entre elles et entoura son cou de ses bras frais et potelés. Héra écarquilla les yeux, surprise par l'inattendue démonstration d'affection. De tous les enfants illégitimes de Zeus, Kore avait été la seule à se frayer un chemin dans le cœur de la reine des dieux. Peut-être était-ce parce qu'elle n'avait pas immédiatement su qu'il s'agissait de la progéniture de son mari. Pendant des centaines d'années elle n'avait été que sa nièce adorée. Jusqu'au jour où elle avait été « enlevé ». Demeter dans sa rage et son désespoir était venue implorer Zeus de lui ramener sa fille. Ce dernier semblait peu décidé à intervenir et ne pas vouloir entrer en conflit avec son frère des mondes souterrains. Héra se souviendrait toujours de ce qui avait suivi. Assise sur son trône d'or, elle avait croisé le regard de sa sœur. Ces yeux étaient emplis de honte et semblaient implorer son pardon.

- Demeter, avait grondé Zeus comme pour la mettre en garde.

- Comment peux-tu laisser ce crime impuni ! Kore est ta fille !

Héra avait lâché un rire incrédule avant de lancer un regard à son mari qui comme d'habitude ne nia pas. Furieux, ses éclairs strièrent le ciel. Les regards de pitié et moqueurs des membres de la Cour des dieux se posèrent sur elle et la suivirent tandis qu'elle avait couru se réfugier dans ses appartements. Elle avait pleuré si longtemps. De toutes les trahisons, celle-ci avait été la plus douloureuse. Ce n'était pas la première fois que Zeus lui brisait le cœur mais elle n'avait jamais pensé que Demeter se joindrait à la partie pour piétiner ce qui en restait.

La déesse avait été une mère pour elle dans le monde froid et sans vie des entrailles de leur père. Elle avait été sa sœur. Son amie. Sa confidente. Celle avec qui elle avait tout partagé... même son mari apparemment.

Héra ne se rendit compte qu'elle s'était mise à pleurer que lorsque la petite fille entreprit de recueillir ses larmes. Elle glissa une main dans le cou de la fillette. La tentation de le briser était si forte...

- Maman, répéta l'enfant la tirant sans le vouloir de la spirale du passé dans laquelle était plongée la déesse.

Elle n'était pas l'épouse de Zeus. Dans cette vie, il ne l'avait pas trompé. Il était libre de copuler avec Demeter si cela lui faisait plaisir. Il n'y avait ni trahison, ni déception, ni humiliation. Héra se leva et prit la main de l'enfant.

- Allons chercher ta mère, elle doit se faire un sang d'encre.

- Chien ? demanda la fillette en faisant un trois avec ses doigts.

- Il s'appelle Cerbère.

- Cerf.

- Presque, pouffa la déesse.

- Triste.

- Si tu lui promets de revenir un jour, il ne sera plus aussi triste.

- Promis.

Contrairement à elle, l'enfant ne mentait pas. Le gardien des Enfers semblait satisfait et glissa dans la crevasse menant au Royaume sur lequel Kore... ou plutôt Perséphone régnerait un jour. Elles s'éloignèrent main dans la main sans un regard en arrière, abandonnant pour un temps, l'une son passé et l'autre son futur. Seul le présent importait.

- Kore, s'exclama Demeter en tendant les bras vers sa fille qui la gratifia d'un sourire espiègle avant de se réfugier dans l'étreinte maternelle offerte à elle. Mais où étais-tu passé ! Je t'ai dit de rester avec les nymphes !

- Maman, répondit la déesse en désignant sa tante.

- Héra... murmura Demeter, les larmes emplissant ses yeux.

Elle tendit un bras vers elle et la déesse n'hésita pas. Dans cette vie, Demeter était sa mère, sa sœur, son amie, sa confidente. Celle qui ne l'avait jamais trahi. Zeus ne se dressait pas entre elles. Rien ne l'empêchait de courir comme Kore, pour se blottir contre son cœur. Elle ne resterait certes pas éternellement... Mais elle ne se refuserait pas plus longtemps ce bonheur, aussi éphémère soit-il.

***

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À bientôt pour un nouveau chapitre !

Oh My Goddess!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant