Chapitre 30

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Héra écarquilla les yeux d'horreur, murmurant un « non » imperceptible pour les dieux et déesses qui se trouvaient à quelques pas mais parfaitement audible pour le jeune roi donc le visage se tordit en une expression d'une telle tristesse qu'elle aurait pu la croire authentique. Elle ne savait que trop bien l'émotion qui suivait celle-ci : la colère. Il lui fallait désamorcer le conflit.

- C'est un honneur... commença-t-elle immédiatement interrompue.

- Ça n'a pas l'air.

- Je...

- Si je puis me permettre... intervint Poséidon en avançant vers eux, s'arrêtant net en croisant le regard de son frère.

- Non, gronda Zeus, le tonnerre éclatant dans le ciel qui s'assombrissait à l'image de son humeur.

- Ce n'est un secret pour personne qu'il me... tenta Héra en vain.

- Courtise ? termina-t-il pour elle avec une pointe d'amusement notable dans la voix. Je ne pense pas que tu sois celle qui détienne son cœur.

- Si, elle... répondit Poséidon, son regard se posant malheureusement une seconde à peine sur une déesse aux yeux gris perçant de sagesse.

Une seconde que n'avait manqué ni Zeus, ni Héra.

- Alors tu ne verras pas de problème à prêter serment. À jurer sur le Styx que jamais tu n'approcheras celle pour qui je te soupçonne des sentiments ?

Héra était perdue. Poséidon et Athéna avaient toujours été de farouches ennemis. Tout était sujet à conflit entre eux. Un temple, une ville, un simple mortel au destin de héros. Ils n'étaient jamais d'accord, leurs querelles à peine moins sanglantes que celles de leur souverain. Son frère n'avait jamais été doté d'un grand sentimentalisme. Au mieux, il désirait la déesse. Il ne s'agissait que d'une passade. Rien qui ne puisse concurrencer ce qu'Héra lui promettait. S'il la prenait pour épouse, elle qui n'avait prêté nul serment, il pourrait libérer son propre royaume du joug de Zeus. Le pouvoir l'emportait toujours sur l'amour. C'était une leçon qu'elle avait douloureusement apprise. Pourtant, le jeune homme recula, baissant la tête en signe de reddition.

- Poséidon, murmura-t-elle presque suppliante mais le dieu évita soigneusement son regard.

Elle ressentit la morsure de la cuisante humiliation sur ses joues écarlates. Ses doigts crépitèrent de ses pouvoirs fraichement acquis. Elle restait moins puissante que Zeus et n'égalisait qu'à peine Poséidon... mais pour ce qui était d'Athéna, elle pouvait la réduire en cendres d'un simple geste. Ce n'est pas comme si elle n'avait jamais rêvé de tuer celle-ci... Peut-être un peu moins que les autres bâtards de son ex-époux. Cela s'expliquait par le fait que bien que n'étant pas sa fille, Athéna avait été conçue avant même son mariage avec Zeus. Elle n'était pas le fruit d'un adultère, seulement un rappel constant qu'Héra n'était pas la première reine du dieu du tonnerre... Un message d'espoir pour les suivantes. Pour celles qui convoitaient sa place. Elle posa les yeux sur la déesse qui n'avait d'yeux que pour Poséidon. Quelque chose dans son regard la fit hésiter. Cette lueur n'était pas nouvelle. Héra ne l'avait jamais décelé auparavant car elle ne l'avait jamais expérimenté. Aujourd'hui, dans cette vie, ce n'était pas le cas. Tout comme elle, Athéna avait toujours lutté contre ses propres sentiments.

Cela expliquait que la déesse la plus clémente du Panthéon ait puni si cruellement une mortelle... Certains l'avaient dite jalouse de la beauté de Méduse mais ce n'était pas dans sa nature d'éprouver ce genre de chose. Elle n'était pas Aphrodite. Héra ne pouvait qu'imaginer ce que la jeune femme avait demandé à Athéna alors même qu'elle était poursuivie par les avances non sollicitées d'un certain dieu. Pourtant la déesse, loin d'offrir protection et réconfort dans son temple où la pauvre victime s'était réfugiée, avait décidé de transformer la belle mortelle en une affreuse Gorgone. Cela avait eu le mérite d'éloigner le dieu mais ça ne ressemblait pas à la divinité éprise de justice et d'équité qu'elle était.

Héra se souvenait d'avoir trouvé l'affaire étrange quand celle-ci lui avait été rapporté mais elle s'était contentée de l'utiliser pour nuire à l'image parfaite de la fille préférée de son époux. Arès était peut-être cruel mais contrairement à Athéna, il ne s'en cachait pas. Mieux valait un ennemi déclaré qu'un ennemi dissimulé. La balance avait, pour la première fois, penchée en faveur de l'un de ses enfants. La reine des dieux avait même fait d'une pierre deux coups en répandant la rumeur qu'Athéna n'avait puni la jeune femme qu'une fois celle-ci souillée par le désir du dieu. Poséidon s'était trouvé acoquiné d'une rumeur de viol et les femmes s'étaient mise à craindre Athéna qui ne semblait pas les porter dans son cœur et les punissait pour un crime dont elles n'étaient que les victimes.

- Je ne veux pas te forcer la main...

Héra détourna les yeux de l'objet de ses pensées pour les poser sur l'objet de ses tourments. Elle retint difficilement un éclat de rire sarcastique. C'était exactement ce qu'il faisait en cet instant. Sans compter que grâce à lui, elle passait encore une fois pour celle qui avait été trompée devant la Cour des dieux et déesse. La seule raison pour laquelle elle n'était pas déjà la cible des brimades et autres sourires moqueurs était que le roi des dieux était intéressé par elle. Ce qui compensait la tromperie de Poséidon.

- Laisse-moi te convaincre... je te ferais oublier les autres.

Elle était perdue. S'il n'avait rien dit de plus, elle n'aurait pas eu d'autres choix que d'accepter... mais il lui offrait une échappatoire. Était-il stupide ? N'avait-il pas compris qu'il avait l'avantage. Si elle avait refusé, elle aurait été l'idiote qui avait cru posséder l'amour de Poséidon et qui avait refusé un trône généreusement offert par Zeus. Héra aurait eu toutes les difficultés du monde à se faire obéir d'une Cour qui la méprise, la pense faible, indésirable et dotée de peu de jugeote. Mais il avait ajouté cette ridicule phrase qui réorganisait l'équilibre des pouvoirs. Soudain, elle était désirable. Poséidon n'avait pas été capable de l'apprécier à sa juste valeur mais « les autres » qu'il avait mentionné semblaient être une foule de prétendants se battant pour elle et il déclarait officiellement en faire partie. Il n'était pas simplement le roi des dieux offrant un contrat à sa sœur mais un amoureux éperdu souhaitant gagner son cœur. Il était celui qui comme un idiot s'était épris d'une déesse dont l'amour était pour le moment tourné vers un dieu qui ne la méritait pas et qui pouvait, si elle le désirait, prétendre à n'importe qui et même au souverain absolu de leur monde.

Elle hocha la tête en signe d'assentiment, après tout, il lui suffisait désormais de résister. Tout comme Athéna, elle n'oublierait jamais que la personne face à elle était un ennemi qu'elle ne devrait jamais aimer. Il posa un genou à terre et s'empara de sa main, y déposant un délicat baiser comme une promesse...

Comme une menace.

***

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