Chapitre 23

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La paix intérieure qu'elle était parvenue à atteindre après sa résurrection disparue comme neige au soleil. Elle avait pourtant été si résolue à être différente cette fois. Elle avait tout fait pour garder ses distances, pour ne pas céder à la tentation de venger sa propre mort. Elle avait écarté un à un les plans pour détruire Zeus, se répétant inlassablement que ça n'en valait pas la peine. Que dans cette vie rien de tout cela n'était arrivé.

Il ne l'avait pas séduite.
Il ne l'avait pas épousé.
Il ne l'avait pas trompé.
Il ne l'avait pas destitué au profit d'une autre.
Il ne l'avait pas emprisonnée.
Il ne l'avait pas fait assassiner.

Héra s'était convaincue qu'elle ne pouvait pas gâcher cette nouvelle chance. Qu'elle devait faire mieux. Mais comme toujours, il avait tout gâché. Comme toujours, il avait piétiné ses rêves, ses espoirs. Elle aurait dû se douter qu'il ne la laisserait pas tranquille. Il avait toujours eu un penchant pour l'interdit. Cette soif impossible à étancher de posséder le monde et chaque chose qui le composait. Si elle avait été plus maligne, elle ne se serait pas enfuie après avoir été extraite des entrailles de Kronos. Elle aurait dû se contenter d'être aussi insipide qu'Hestia car après tout, elle était la seule à qui il avait épargné ses avances.

Argos avait tenté de la dissuader sans succès. Elle ne se laisserait plus faire. Elle ne prendrait pas le risque de perdre quelqu'un qu'elle aime. Elle refusait d'attendre les bras ballants, le sort que lui réservait le cruel dieu du tonnerre. La facilité avec laquelle elle bascula de nouveau dans ses vieux penchants la conforta dans l'idée qu'elle n'avait finalement jamais changée. Elle avait toujours été bien trop douée pour les complots, pour les couteaux dans le dos...

Alors qu'elle se préparait, Argos s'appliquant à tresser sa chevelure, son reflet lui renvoya une image qui la fit tressaillir. Ses yeux étaient froids, cruels, dénués d'humanité. Ses traits impassibles ne laissaient aucun doute sur son incapacité à la compassion ou à l'amour. Son sourire était tout aussi absent. Elle ne dégageait aucune chaleur, une belle coquille vide en somme. Les géants avaient toujours été des artisans dans l'âme et les bijoux que lui avait confectionnés Argos étaient dignes d'une reine. Drapée dans une toge au tissu si fin qu'on pouvait deviner chacune de ses courbes. Ses seins étaient ronds, sa taille de guêpe, ses hanches généreuses et ses chevilles fines.

Elle était divine.

- Comment tu me trouves ? demanda-t-elle en virevoltant devant son compagnon.

- Une déesse de beauté.

- Attention à tes paroles. Tu vas nous attirer les foudres d'Aphrodite.

- Aphrodite ?

- Elle n'existe pas encore ?

- Si mais... Elle n'est pas la déesse de la beauté.

- De l'amour alors ?

- On ne lui connaît pas d'amants, ni d'époux. C'est une déesse de saisons.

Tous ces changements étaient ce qui inquiétait le plus Héra. Bien connaître son environnement, les liens, les rôles de chacun donnaient un avantage certain qu'elle ne possédait nullement en cet instant. Il lui faudrait du temps avant d'obtenir suffisamment d'informations pour agir sans risquer d'être découverte ou trahie. Non pas qu'elle ait la moindre intention de faire confiance à ses futurs alliés. Elle fit de nouveau appel au griffon avant de se raviser. Elle avait besoin de quelque chose de bien plus impressionnant. Quelque chose de mémorable. Les Olympiens aimaient la nouveauté, l'extraordinaire. Tout comme les mortels, ils voulaient aduler et adorer.

Elle congédia le griffon qui s'en alla, vexé se voir écarter au profit de trois... dragons. Le premier était celui de Ladon. Il possédait une centaine de tête et ses écailles étaient aussi vertes que les feuilles des jardins dont il avait autrefois eu la garde. Le second était le dragon de Colchide, au corps anguleux et aux yeux aussi dorés que l'or de la Toison qu'on lui avait confiée. Le dernier était le dragon de Thèbes, sa cuirasse noire était teintée de sang et semblait rouge, comme un éloge silencieux aux couleurs de celui qui ne serait pas son maître dans cette vie : Arès.

Elle grimpa sur le dos du second, décollant vers Olympe. Elle sentit les yeux d'Argos la suivre tandis qu'elle s'éloignait. Elle ne pouvait pas l'emmener là-bas. Elle ne voulait pas qu'il subisse les brimades des autres divinités qui avaient peu de respect pour les géants et autres créatures descendant des Titans. Comme si elle n'était pas elle-même une fille de Titans... Le jeune homme aurait été une présence rassurante mais aussi une faiblesse. Il n'était pas fait pour le poison de la cour des Cieux.

Elle se sentait plus forte à mesure qu'elle approchait de sa destination. Elle n'aurait su dire si cela venait du fait qu'un grand nombre de divinités se trouvait réuni là ou si la terreur et les prières des mortels qui la voyaient survoler leur foyer avec trois créatures mythiques lui conférait davantage de pouvoir. Elle opterait plutôt pour la seconde explication à mesure que les suppliques se faisaient plus pressantes.

- Puissante déesse, mère des monstres, épargnes nous le courroux de tes créatures.

Le dragon de Thèbes faisait disparaitre le soleil et Nyx remplaçait Hélios l'espace d'un battement d'ailes. Les cent gueules béantes du dragon de Ladon n'avaient de cesse de déverser un torrent de flammes qui faisaient pâlir d'envie les volcans des cyclopes. Sans compter sa monture, le dragon de Colchide. Il était si long et imposant qu'il aurait pu entourer le monde... ou l'avaler.

La panique s'empara des dieux qui s'éparpillèrent lorsqu'elle se posa sur la place centrale aux pieds du palais de Zeus. Le mont Olympe trembla sous le poids des colosses. Son entrée était réussie. Elle posa un pied sur le marbre blanc et lissa les pans de sa toge avec une indifférence feinte.

- La rumeur dit que Zeus me cherche, dit-elle en s'éventant délicatement. Me voilà.

Elle leva les yeux vers le balcon où venait d'apparaitre le souverain des dieux. Il afficha d'abord une expression de surprise avant de sourire comme si on venait de lui annoncer la meilleure nouvelle de sa vie. Elle se retint de juste ordonner aux dragons de le tuer. Ils n'étaient pas de taille et elle se réservait ce plaisir.

Elle tuerait personnellement Zeus.

***

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