Chapitre 17

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Le lendemain matin – tout du moins Héra supposait que c'était le matin puisque le Royaume des Enfers était éternellement plongé dans les ténèbres privées de la lumière d'Hélios – elle rejoignit le dieu de la mort dans la bibliothèque. Le souverain du monde souterrain congédia la Kèr qui l'avait conduite jusque-là. La déesse prit soin de s'écarter du chemin de la divinité infernale. L'ancienne reine des dieux avait bien conscience que contrairement aux mortels, elle ne servirait pas de repas sanglant à la créature et qu'il y avait peu de chances qu'elle soit frappée de cécité ou de vieillesse à leur contact mais leur apparence lui était répugnante... Une manucure ne ferait pas de mal à ses ongles acérés et noircis du sang coagulé des guerriers dont elle avait dû s'abreuver sur le champ de bataille. Elle se souvenait avoir dit à Arès de leur fournir des toges moins souillées et en lambeaux que les longs manteaux qu'elles arborait mais il avait refusé puisqu'il aurait fallu le faire bien trop souvent vu l'appétit des créatures.

- Tu as bien dormi ? lui demanda son frère avec douceur.

- Comme une morte, lui répondit-elle refusant de se montrer agréable avec lui malgré les efforts qu'il faisait.

- Je ne suis pas ton ennemi Héra.

- Il me semble qu'on a un rendez-vous, soupira-t-elle en l'ignorant délibérément.

Elle refusa sa main et avança à ses côtés abandonnant le Palais de la Nuit pour rejoindre le Palais des Songes où les Moires résident. Elle ne pouvait s'empêcher d'avoir peur. Les trois sœurs tisseuses n'étaient pas connues pour leur clémence. Clotho, l'enfant fileuse, ne semblait pas avoir cessée de tisser le fil de sa vie. Peut-être qu'elle n'avait pas besoin de le faire d'ailleurs comme elle partait de ce qui existait déjà. Lachésis, la répartitrice, n'avait pas l'air contrarié de dérouler le fil de nouveau. Peut-être qu'elle n'avait pas remarqué qu'il s'agissait de la seconde fois, sûrement parce que sa nouvelle vie n'avait plus rien de semblable à la précédente. Celle qui inquiétait Héra était la vieille Atropos, l'inflexible. Elle craignait que celle-ci ne coupe immédiatement le fil lorsqu'elle se présenterait à elle.

- C'est seulement pour chercher des réponses, la rassura Hadès ayant probablement perçu sa peur.

- Je n'ai pas besoin de réponses, mentit-elle.

Le dieu n'insista pas, poussant les doubles portes donnant sur un escalier en colimaçon. Ce dernier menait en haut de la tour des trois divinités du destin. Elles ne s'inclinèrent pas devant leur roi puisqu'elles ne pouvaient interrompre leur tâche. Clotho se laissa un peu distraire et coupa par mégarde un fil avant d'avoir pu le donner à Lachésis. Héra ressentit un pincement au cœur. Elle savait que quelque part, un bébé venait de ne pas naître et qu'une mère le pleurait surement. Elle savait aussi que rien n'était vraiment une erreur. Elle n'était de toute façon plus la déesse de la famille, ni celle des femmes, ni celle de la fécondité.

- Bonjour... commença Clotho, sa voix n'imitant que bien mal les accents enfantins dont elle arborait pourtant les traits.

- ... Hadès..., poursuivit Lachésis sans lever les yeux de son ouvrage.

- ...Roi des Enfers, termina Atropos.

- Et Héra, ajouta Clotho en souriant d'un air espiègle.

- Pose ta question, intervint Lachésis.

- Nous tâcherons d'y répondre, précisa Atropos.

- Héra ici présente... affirme être morte.

- Elle semble... commença la plus jeune des tisseuses.

- ... plutôt vivante ... poursuivit la seconde.

- ... pour une morte, termina la plus âgée.

- Elle dit être réincarnée, reprit le dieu avec une patience qu'Héra trouva admirable.

- Peut-être.

- Sûrement.

- Probablement.

- Quelle est la cause de cette altération du cycle du temps ?

- L'amour.

- La colère.

- Le regret.

- N'est-ce pas un problème qu'elle connaisse son futur ?

- Elle connaît...

- ... son passé...

- ... pas son futur.

- Est-ce qu'elle ne change pas... ce qui devait être ?

- Le changement...

- ... est ce qui devait être.

Atropos ne se prononça pas cette fois. Héra avait l'impression qu'elle se réservait le droit de couper court à son existence pour peu qu'elle mette en péril ce qui devait être. Elle claqua même ses ciseaux comme pour ponctuer sa menace tacite. Hadès sembla le remarquer.

- Atropos.

- Oui mon seigneur.

- Je t'interdis de trancher le fil d'Héra une seconde fois.

- Je ne peux interrompre que la vie des mortels.

C'était une habile pirouette et un message. Si Héra n'utilisait pas à bon escient cette seconde chance. Si par malheur ses pas la conduisaient au même dénouement, elle mourrait de nouveau. Et rien ne lui garantissait que la prochaine fois les tisseuses lui offrent une autre renaissance.

- Non. Même mortelle, je te l'interdis.

- Tu n'as pas le pouvoir de m'ordonner quoi que ce soit. Nous obéissons au dieu du temps.

- Tu iras le rejoindre, gronda le souverain à la mention peu subtile de son père.

- Si c'est ce qui doit être alors ainsi soit-il, répondit-elle avec un sourire triste.

Héra soupira. Elle n'avait pas besoin de lui. Comme la première fois, il ne pouvait rien faire pour elle. Il avait été trop faible pour s'opposer à Zeus. Elle n'osait même pas imaginer son impuissance face à Kronos.

- Je ne vois pas l'intérêt de poursuivre cette conversation.

- Mais... commença-t-il.

- Tu as eu ce que tu voulais. Je ne suis pas un défaut ni une erreur. Cela devait se passer ainsi. Pour le reste, ça ne te concerne pas.

- Tu pourrais mourir de nouveau.

- C'est mon affaire. Je te l'ai déjà dit. Je ne commettrais pas les mêmes erreurs. Laisse-moi partir.

- Je pourrais t'aider... si tu me laissais...

- Non, le coupa-t-elle sèchement. Tu ne me connais pas mais moi je te connais Hadès. Tes faiblesses, tes défauts. Je t'ai connu pendant des millénaires. Tu ne peux pas m'aider. Tu n'as jamais pu m'aider. Tu es faible. Tu ne peux même pas te faire obéir d'elles, se moqua-t-elle cruellement en désignant les Moires qui les ignoraient consciencieusement.

Elle le vit tressaillir sous ses paroles, son visage se déformant de colère, de honte et de tristesse.

- Va, soupira-t-il, son intonation lasse.

En l'entendant prononcer cette ultime syllabe, elle se rendit compte qu'elle avait espéré malgré tout qu'il se battrait pour elle cette fois. Elle lâcha un rire désabusé. Stupide. Elle avait été stupide de penser qu'il pouvait changer. Il avait toujours été le premier à baisser les bras. Il n'avait jamais essayé de sortir du ventre de leur père. Il n'avait pas bronché lorsque Zeus l'avait exilé ici. Il ne s'était pas battu pour Perséphone. La déesse du printemps était celle qui avait tout fait pour rendre leur amour possible. Et il ne s'était pas battu pour elle. Un dieu de la mort qui ne peut même pas empêcher la mort de sa propre sœur.

- Merci pour ton hospitalité, dit-elle amèrement.

***

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À bientôt pour un nouveau chapitre !

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