Chapitre 2

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Il fait chaud dans l'habitacle. Le soleil frappe fort en ce jour du mois de mai, il faut dire que la pollution humaine n'aide pas. J'imagine bien mes camarades tirer la langue allongés à l'ombre d'un grand arbre sous leur forme animale. Une chose que je leur envie.

Mon regard dérive vers ma compagne de route assis confortablement près de moi. Madyson semble avoir repris quelques couleurs depuis qu'elle est sortie de l'infirmerie. Ses cheveux flamboient sous les rayons du soleil, une vraie flamme dansante au gré du vent qui la balaie. Une comparaison plutôt charmante.

Elle me donne aussi chaud qu'une éruption volcanique.

Malgré son teint pâle, ses petits cernes sous les yeux et son corps amaigri, impossible de nier l'évidence : Madyson est une femme séduisante. Ses yeux clairs et son attitude de fille innocente attendrissent l'animal en moi, un animal d'habitude sauvage, fougueux et enragé par ce que nous avons eu à subir par le passé. Je ne pensais pas qu'un jour, il finirait par se montrer docile, mais Madyson est bien la première personne dont il ne se méfie pas.

Un constat très intriguant.

Madyson remonte la vitre à l'aide de l'interrupteur puis se tourne vers moi, ses lèvres toujours étirées en un fin sourire. Elle n'a pas cessé un seul instant de garder sa bonne humeur. Une chose que je ne comprends pas. Elle vient de perdre ses souvenirs des sept derniers mois, en plus d'écoper de plusieurs blessures qui laisseront de sévères cicatrices. Comment peut-elle garder le sourire après ça ?

Madyson est une femme bien plus forte qu'elle ne le laisse penser.

-Juliane, les métamorphes - c'est un sujet un peu nouveau pour moi maintenant - est-ce qu'ils se transforment à la pleine lune comme les loups-garous folkloriques ?

Je plisse le front, les yeux rivés sur la route. Je trouve cette question tellement stupide, mais une partie raisonnable de moi me rappelle d'être patient. Alors je soupire.

-Non, ils peuvent se métamorphoser à leur guise, à n'importe quel moment. Oublie toutes les bêtises que tu as pu voir, rien est vrai.

Elle hoche la tête en signe de compréhension, puis se mord la lèvre inférieure.

-Et toi, tu es un métamorphe... ?

Mes mains se resserrent autour du volant. Ma mâchoire se contracte comme par automatisme alors que Madyson engage un sujet tabou. Je me force à inspirer calmement, fais en sorte qu'elle ne voit rien de la réaction que sa question à provoquer. Je desserre ma prise sur le volant et essaie de paraître détendu.

-Mon animal est un loup. je m'entends lui répondre avec difficulté.

J'aimerais que cette discussion s'achève. Je sais que cette question va en soulever d'autres, et qu'elles seront toutes dures à entendre, et presque impossible pour moi d'y répondre. Je ne souhaite pas lui avouer. Je hais mon handicap. Et je hais encore plus de voir la pitié dans les yeux des gens lorsqu'ils l'apprennent.

Le sourire de Madyson s'élargit, il rayonne. Ses yeux semblent pétiller en contraste des miens, emplis de souffrance.

-J'adore les loups.

Finalement, elle ne pose pas d'autres questions. Puis elle se rassit confortablement sur son siège, le regard rivé sur le paysage qui défile autour de nous.

Je souffle discrètement, le corps moins tendu.

J'espère qu'elle ne remettra pas le couvert de si tôt.

Bientôt, nous arrivons à destination du Havre, une ville portuaire au nord de la France. Le visage de la rousse s'illumine, heureuse de se retrouver chez elle.

-On va passer à l'hôtel en premier pour y déposer nos affaires. j'annonce alors que le feu passe au vert.

Madyson fronce les sourcils.

-À l'hôtel ? Pourquoi pas chez moi ?

Je grimace.

-Aux dernières nouvelles, tu as rendu les clés au propriétaire il y a des mois.

-Oh.

Elle se rassit au fond de son siège, une lueur de tristesse au fond du regard. Elle croise les bras contre son buste et se met de nouveau à regarder le paysage par la fenêtre.

-Et si on allait voir une de mes amies ? Je suis sûre qu'elle acceptera de me loger temporairement.

-Nous avons déjà une chambre réservée et je ne suis pas sûr que...

-S'il te plaît ! me coupe t-elle en me fixant de ses yeux bleus un peu trop jolis à mon goût.

-Je...

Je soupire, vaincu.

-C'est d'accord. Où est-ce qu'elle habite ?

Madyson, ravie d'avoir gagné ce combat, me montre le chemin. Au bout de quelques minutes, pourtant, je la sens hésitante.

-Tu es sûre que c'est par là ?

-Je, oui, je crois que oui.

Je grimace alors que les paroles de Léo et du médecin me reviennent à l'esprit.

" Elle aura tendance à perdre la notion du temps et de l'espace. "

Ça s'annonce bien.

Madyson s'exclame alors que je tourne dans une autre rue.

-Oui, c'est ici, je me souviens !

Elle me désigne une maison à la façade blanche. Je gare la voiture sur le côté. Madyson se jette sur la portière et descend du véhicule en deux temps trois mouvements. Je me dépêche de retirer ma ceinture pour la rejoindre au cas où elle trébucherait. Elle sonne à l'instant où j'arrive à hauteur. Elle trépigne d'impatience à l'idée de retrouver son amie, une chose que je ne peux pas comprendre étant donné que je n'en ai pour ainsi dire jamais eu.

La sociabilité est quelque chose qui me dépasse.

-C'est qui, au juste, cette amie ?

-C'est Charline, elle est humaine. Elle et moi, on se connaît depuis qu'on est toute petite ! m'explique t-elle en démontrant un petit écart entre ses mains.

La porte s'ouvre enfin, mais au lieu de la jeune femme auquel je m'attendais, c'est une dame âgée qui nous ouvre.

-Je peux vous aider ?

Je jette un coup d'œil à Madyson qui semble plus blanche que tout à l'heure.

-Euh, je suis désolée... Ce n'est pas la maison de Charline Nurvé ?

-Ah non, ma p'tite, moi, c'est Agathe. Ça fait un bout de temps que j'habite ici.

-Oh. Désolée pour le dérangement.

Madyson repart, déboussolée. Je salue d'un signe de tête la vieille femme avant de la rejoindre près de la voiture.

-J'étais sûre que c'était ici.

-Ce n'est rien. Jordan a dit que tu allais te sentir un peu perdue ces prochains jours. Tout ira mieux avec le temps. Maintenant, on file à l'hôtel.

Elle hoche la tête, très déçue, et s'engouffre dans la voiture. Alors que j'y monte moi aussi, j'entends Madyson renifler. En tournant la tête, j'aperçois ses yeux larmoyants qu'elle s'empresse de me cacher.

-Je te promets qu'on la retrouvera demain. je tente de la rassurer.

-C'est pas ça... J'arrive pas à comprendre. J'adorais ma vie ici, c'était cool, mais du jour au lendemain, je suis partie pour me joindre à votre meute en délaissant toutes les personnes qui me sont chères, et je ne comprends pas pourquoi ! J'aimerais me le rappeler, mais j'ai beau forcer ma mémoire, je ne m'en souviens pas ! Je veux savoir... J'aimerais...

Elle prend sa tête entre ses mains et grimace en geignant.

-Ça ne va pas ?

-J'ai mal à la tête. Et je suis fatiguée. soupire t-elle.

-On va à l'hôtel, tu pourras te reposer.

Elle acquiesce et se redresse pour attacher sa ceinture pendant que je démarre le moteur.

ConvoitiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant