Chapitre 2

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La journée promettait d'être longue, encore une fois. Le réveil avait sonné à 05 h 00, comme tous les matins, et comme tous les matins, elle avait eu un mal fou à admettre qu'il était déjà l'heure de faire le deuil de sa nuit. Elle n'avait pas le choix, elle le savait, alors elle rassemblait tout son courage et parvenait à se mettre en route par la seule force de son mental. Elle suivait ensuite presque à la seconde son rituel matinal, s'habillait confortablement et chaudement, attachait ses cheveux châtains en une queue de cheval stricte, avalait un petit déjeuner sur le pouce, avant d'embrasser Milo et de claquer la porte. C'était une routine millimétrée, quasi-militaire. Elle n'avait pas de temps à gaspiller, alors chaque action, chaque tâche, était optimisée. Comme à chaque fois qu'elle claquait cette porte, avec son fils à l'intérieur, elle sentait son cœur se comprimer et son ventre se tordre. Mais elle devait mettre un pied devant l'autre, et avancer. Il fallait toujours avancer. Si elle n'avançait pas et ne se battait pas, ils courraient tous les deux à leur perte, et c'était tout bonnement inenvisageable.

Elle s'engouffrait dans les rues parisiennes, emmitouflée dans les vêtements les plus chauds qu'elle avait en sa possession, les mains au fond des poches de son manteau, et son écharpe enroulée autour de son cou. A cette heure-ci, on était bien loin de l'agitation qu'il pouvait y avoir dans la capitale, et elle appréciait grandement de ne pas avoir à batailler pour marcher sereinement sur un bout de trottoir. Jouer des coudes pour avancer vers sa destination, se faire marcher sur les pieds et bousculer par des passants pressés et de mauvaise humeur, c'était vraiment la dernière chose qu'elle souhaitait pour entamer sa journée. Elle essayait de positiver, pour oublier combien elle rêvait de dormir des heures et des heures, loin de la réalité, alors elle tâchait de se convaincre que marcher tôt dans les rues presque désertes de la capitale, même dans le froid, était une bonne chose.

La première étape de sa journée, c'était Madame Michel. 

Cette vieille dame venait de célébrer ses quatre-vingt-deux ans, avait une pêche d'enfer, un humour décapant, mais son corps ne suivait plus. Ses enfants avaient insisté pour payer quelqu'un pour l'entretien de son logement, ce qui ne l'avait pas du tout enchantée au départ. C'est pour cette raison que la jeune femme avait mis les pieds quelques mois plus tôt dans cet immense appartement Haussmannien. Lors de ses premières visites, elles avaient eu réellement du mal à s'apprivoiser. Madame Michel était une femme avec un fort caractère, un peu aigrie parfois, et surtout vexée comme un pou de voir quelqu'un mettre son nez dans ses affaires à cause de son impotence. Il lui était quasiment insupportable de devoir se faire entretenir. Si elle avait eu du personnel de maison par le passé, ça avait toujours été par choix, et non par obligation. Et puis cette jeune femme, que ses enfants avaient embauchée sans prendre la peine de la concerter, n'avait pas été des plus souriantes au premier abord. Madame Michel avait trouvé cette demoiselle froide et distante, son air triste lui filait le bourdon, et elle avait dû se faire violence pour ne pas lui dire de déguerpir en vitesse au bout de seulement quelques minutes.

Les jours étaient passés, et elles avaient finalement trouvé un sujet de discussion. Puis elles en avaient trouvé un second, puis encore un autre. Elles avaient peu de points commun, n'appartenaient pas au même monde, deux générations les séparaient, mais tout compte fait, le courant passait plutôt bien. 

Désormais, elles échangeaient avec passion sur tout un tas de choses, et ça pouvait durer des heures, quand elles avaient un peu de temps devant elles. C'était d'ailleurs une des rares personnes avec qui la jeune femme prenait plaisir à discuter. Il y avait en cette vieille dame quelque chose de presque fascinant, qui attisait la curiosité. Elle était cultivée, avait un vécu chargé et riche, avait parcouru le monde, et par dessus tout, Madame Michel avait une éloquence hors du commun. La jeune femme appréciait l'entendre parler de ses exploits, son vocabulaire et son accent de Parisienne un peu bourgeoise donnant à ses récits une saveur particulière qui l'amusait et la captivait.

SOLEIL DE DÉCEMBRE [PLK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant