Chapitre 23

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S'ils savaient que le temps perdu n'avait aucune chance d'être rattrapé, ils agissaient en revanche comme s'ils essayaient tout de même de le défier. Les jours défilaient, et chaque argument était bon pour justifier le fait qu'ils faussaient compagnie à leur entourage et à leurs obligation aussi souvent que possible. Cette bulle d'insouciance était si précieuse et désormais si indispensable à leur vie, qu'ils n'avaient jamais réussi à se résoudre à parler de leurs retrouvailles. Pour le moment, Madame Michel était la seule à être dans la confidence, par la force des choses. Mais il fallait avouer que la discrétion n'était pas leur fort et qu'au fil du temps, Aïssa et Milo avaient commencé à se douter de quelque chose. C'était en réalité flagrant, mais ils ne s'en rendaient pas compte. Ils avaient une attitude d'adolescents, le nez scotché à leur téléphone, et se faisant la malle dès qu'ils le pouvaient avec des excuses toutes plus improbables les unes que les autres. Jusqu'à présent, il n'avait pas vraiment pris le temps de réfléchir ou de discuter de comment ils allaient bien pouvoir annoncer qu'ils s'étaient retrouvés et qu'ils se laissaient une nouvelle chance. Ils préféraient se focaliser sur eux-mêmes, privilégiant le moment présent, et s'interdisant presque de se projeter sur le long terme. Ils revenaient de si loin, qu'ils voulaient attendre d'avoir des certitudes quant à leur avenir pour partager avec leurs proches cette nouvelle ère de leur relation.

Ils avaient soigneusement évité les questions insistantes de leurs proches, et même Françoise, qui avait également remarqué la sérénité nouvelle de son petit-fils, n'avait pas réussi à obtenir des informations. Comme Milo et Aïssa, elle n'était pas dupe, et elle se doutait bien que derrière son sourire retrouvé, se cachait probablement un secret bien gardé nommé Léo. Il était bien trop détendu pour que rien de nouveau ne se soit passé. A chaque fois qu'elle avait l'opportunité de voir la tignasse décolorée de sa progéniture franchir le pas de sa porte, elle prenait un malin plaisir à lui faire subir un véritable interrogatoire, certaine de finir par le faire flancher. Et Françoise était quelqu'un de particulièrement persévérant, pour elle ce n'était qu'une question de jours.

Ce soir-là, ils avaient à nouveau trouvé refuge dans l'appartement du jeune homme, à l'abri des regards. Léo avait prétexté devoir se rendre sur son lieu de stage de nuit,  pour que son fils ne s'étonne pas de la voir partir en début de soirée, et Mathieu avait prétexté vouloir se reposer avant d'attaquer une petite série de show-cases. Ils avaient, comme ils en avaient pris l'habitude, commandé leur repas, avec la ferme volonté de l'engloutir sous les draps, après avoir profité de leurs proximité. C'était redevenu si simple entre eux. Leur complicité n'avait pas tardé à renaître et s'ils n'oubliaient rien de ce qui était arrivé ces derniers mois, ils parvenaient à en faire abstraction pour ne rien gâcher de ces instants. Quand ils ne faisaient pas l'amour passionnément, ils riaient, parlaient, jouaient, chahutaient. Ils avaient retrouvé le naturel et la légèreté, et c'était tellement bon. Quand ils n'étaient pas ensemble, ils gardaient sur le visage un sourire apaisé, comme si enfin leur calvaire avait pris fin.

******

- Mathieu ? l'interpellait Léo, après avoir dévoré une première bouchée de son tacos.

- Hum ?

- Tu voudrais pas qu'on parte en week-end ?

La proposition de Léo obligeait le jeune homme à relever la tête, surpris. En réalité, il n'était pas juste surpris. Il se demandait carrément s'il avait bien entendu. Durant ce qu'il appelait la première phase de leur relation, il avait systématiquement été à l'origine de tous leurs projets, même les plus minimes. Il se souvenait de leur altercation lorsqu'il lui avait simplement proposé d'aller à Barcelone avec Milo. La jeune femme, rongée par son quotidien et son manque de confiance en elle, n'avait jamais vraiment été capable de faire ce genre de proposition. Désormais, elle était libérée de tant de contraintes, qu'elle n'avait qu'une envie : croquer la vie à pleine dents, et remplir le disque dur de sa mémoire de souvenirs heureux. Et qu'est-ce qui pouvait plus la rendre heureuse que des moments privilégiés avec l'homme de sa vie ? Elle ne proposait pas un voyage un bout du monde, elle voulait juste pouvoir sortir dans la rue sans risquer de se faire griller par ses proches.

SOLEIL DE DÉCEMBRE [PLK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant