Epilogue

2.5K 132 130
                                    

Vous l'aurez compris sans que je vous le dise, je crois. L'arrivée de Mathieu dans nos vies ne nous a pas assuré une grande tranquillité au départ, mais je peux vous assurer qu'il nous a bien sortis de la merde, et qu'il a transformé nos existences pour toujours. Et en bien. Vraiment en bien. En fait, c'était carrément inespéré. Il est tombé du ciel comme un ange, se moquant de la taille de mon cartable, et il n'est jamais ressorti de nos vies. Je me souviens très bien de cette époque. Je me souviens de la première fois où je l'ai croisé dans les escaliers. Il avait l'air cool, et moi j'étais seul en attendant que ma mère rentre du travail. Enfant déjà, je n'étais pas de nature timide. Il m'a accosté, j'ai bravé l'interdit en lui répondant, et avec le recul, et après avoir pris quelques années d'expérience, je réalise combien j'ai bien fait. Pourtant, c'était pas gagné.

J'étais trop petit quand tout à commencé pour vraiment comprendre ce qui se passait entre eux. L'innocence de l'enfance. Ils étaient amoureux, mais j'étais trop jeune pour vraiment comprendre ce que ça impliquait. Pourtant, j'ai cherché des indices, j'ai écouté aux portes, j'ai surveillé leur comportement, mais ils ont toujours été très discrets. Discrets dans le sens où je n'ai jamais été témoin de choses que je n'étais pas censé voir. Je crois que ça a ajouté un côté mystérieux, presque mystique à leur histoire. J'ai littéralement idolâtré Mathieu dès notre rencontre, et le savoir amoureux de ma mère, celle que j'ai toujours considéré comme une déesse, c'était carrément fou.

Puis il y a eu le déchirement de notre séparation, la perte de repères de ma mère, l'arrachement. Je me rappelle de l'odeur qui flottait dans l'avion qui nous a enlevé à Paris. J'ai des flashs très précis de ce jour-là, parce que ça a été particulièrement traumatisant. Je n'en ai jamais voulu à ma mère, mais me remettre d'un tel évènement m'a vraiment pris des années. Des années à douter de chaque mot prononcé par un adulte, et des années à ne pas pouvoir accorder ma confiance sans que ça ne se transforme en véritable chaos dans mon esprit. J'ai vu ma mère au fond du gouffre, j'ai compris à quel point elle avait mal, et quand enfin on est rentrés à Paris, j'ai attendu qu'on le retrouve. Je n'attendait que ça. Ca a pris du temps, et au départ, je suis le seul à l'avoir retrouvé. Ca a mis des mois et des mois avant que Mathieu n'accepte de pardonner maman, et qu'enfin on puisse reformer une vraie famille. Il a mis du temps, mais il l'a fait, et c'est tout ce qui compte, finalement.

Mathieu, c'est mon père. Quoi qu'en disent les gens, quoi qu'en dise mon nom sur ma carte d'identité, quoi qu'en dise mon ADN, je suis son fils. Et il est mon père. Il ne m'a pas transmis son patrimoine génétique comme il a pu le faire avec Klaudia, mais ça, c'est secondaire, ou presque. C'est vraiment secondaire, quand on tient compte de tout ce qu'il nous a apporté, pendant toutes ces années. Je n'ai jamais eu le courage de l'appeler Papa. Ou peut-être juste que c'est inutile. Il sait que je le considère comme mon père, quand je parle de Mathieu et ma mère, je les appelle mes parents, et parfois, pour les gens qui ne me connaissent pas, je le présente comme mon père pour ne pas avoir à rentrer dans les détails. "Mon père va venir me chercher", "Mon père m'attend", "Mon père m'a acheté le dernier Iphone pour Noël".

C'est lui qui m'a appris à jouer au foot, sur le terrain défoncé du quartier dans lequel il vivait avec Françoise. C'est lui qui m'a consolé quand je me suis fait larguer pour la première fois. C'est lui qui m'a regardé avec une fierté incommensurable quand j'ai eu mon bac avec mention. C'est lui qui m'a fait monter sur scène un soir d'été pour montrer au monde entier que j'existais. C'est lui qui a payé mes études, payé mes cours de batterie, payé mon appartement, payé mes séjours linguistiques. C'est lui qui s'est disputé avec mon prof d'Espagnol parce qu'il m'avait manqué de respect. C'est lui qui m'a promis, les yeux dans les yeux, que l'arrivée de Klaudia ne changerait rien à l'amour que mes parents me portaient. C'est lui qui a redonné le sourire à ma mère, quand elle était au bord de l'abandon. C'est lui qui venait me chercher quand j'avais trop bu en soirée, et qui m'a couvert quand il a trouvé un pochon d'herbe dans ma chambre. C'est lui qui m'a jeté une boîte de capotes sur le lit après m'avoir fait un grand discours sur combien c'était la merde si je mettais une fille en cloque ou si je chopais une MST. C'est lui qui m'a hurlé dessus comme un fou un jour où, excédé par une dispute avec ma mère, j'ai juré qu'elle était la pire mère de la terre entière. C'est lui aussi qui a bien failli laisser sa main s'abattre sur ma joue parce qu'il a découvert que pour me faire un peu d'argent, et surtout pour ressentir le goût du danger, j'avais vendu quelques grammes de shit à mes camarades de classe. Il l'aurait fait si ma mère n'avait pas pris ma défense et ne s'était pas interposée. S'en est suivie une énorme dispute entre eux deux, d'ailleurs, mais là n'est pas le sujet. C'est lui. C'est lui mon père.

SOLEIL DE DÉCEMBRE [PLK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant