Chapitre 36

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J'arrive en avance devant le lycée alors j'ai le temps d'aller m'assoir sur mon muret et réviser pour l'exposé de littérature avec Noah. J'allume ma clope alors que j'entends la voix familière d'un garçon s'approcher. La voix d'un garçon et d'une fille. Noah et Grace. Parfait. Ils s'arrêtent pas très loin d'après ce que j'entends et je remercie le jardinier de ne pas avoir pris le temps de faire son boulot car je réussis à m'enfoncer dans les feuilles derrière pour ne pas me faire remarquer.

" - ... pourquoi elle  ? j'entends Grace murmurer.

- Je fais seulement un exposé avec elle, Grace. Tu peux arrêter de te faire des nœuds au cerveau trente secondes ? Et puis, tu ne t'es pas tapée son mec, il n'y a pas si longtemps que ça ? Tu es vraiment obsédée par Cameron à ce point ? Tu n'as rien à lui envier parce que tu as une putain de vie, Grace. Arrête de la ruiner en essayant de ressembler à quelqu'un que tu n'es pas. Tu n'es pas elle. Tu n'es pas cette fille qui court après des garçons qui sont déjà pris. Tu n'es pas cette fille désespérée. Cameron n'est pas un exemple, loin de là. Elle se ruine toute seule. Et tu n'as aucune raison de faire pareil. Maintenant, arrête de pleurer, Grace. Tu ruines même ton joli visage... souffle Noah."

J'entends des bruits de vêtements - j'imagine qu'il l'a prise dans ses bras. Je ne sais même plus quoi dire, quoi penser, quoi faire. C'est décevant ? Humiliant ? Mérité ? Je les déteste. Je me  déteste. J'enfonce mes ongles profondément dans mes paumes. Jusqu'à ce que des demi-lunes s'ancrent dans ma peau. Jusqu'à ce que mes articulations soient blanches. Jusqu'à ce que je calme un tant soit peu cette colère toujours omniprésente et bouillonnante concentrée en moi. Jusqu'à ce que je calme un tant soit peu cette abominable et irritante haine concentrée en moi. Je sors la feuille de note que j'avais préparé pour l'exposé et la chiffonne, la déchire et la brûle. Je la regarde se consumer sur le goudron, à mes pieds. Une fois que la légère brise réussit à la balayer, je me dirige vers les portes du lycée.

Quand j'entre en classe, le professeur de littérature me fait un clin d'œil - j'imagine qu'il attend de voir notre présentation. Il nous dit de tous nous assoir par binôme pour se préparer avant de passer. Noah vient s'assoir à côté de moi, avec sa feuille de note en main.

" - Hey. Tu as la tienne ? dit-il en agitant le bout de papier.

- Non, je lui dis en souriant.

- Tu as appris par cœur ? Super ! s'enthousiasme-t-il."

Je murmure un "super" ironique, en lui lançant un faux sourire. Il est si hypocrite. Ça me donne la nausée. Quand vient notre tour, avant qu'il se lève, je lui attrape le poignet.

" - Je commence à parler, je dis sur ton qui n'admet aucun réplique."

Je me dirige vers le tableau et me positionne devant la classe, et je sens Noah faire de même à côté de moi. Le professeur me fait un pouce en l'air. Je ricane intérieurement.

" - Notre sujet était "Est-il plus facile de haïr ou d'aimer ?". Eh bien laissez-moi vous dire que cette question est stupide. Le professeur nous a d'abord demandé de classer les gens qu'on aime et les gens qu'on déteste dans un tableau. Sauf que ce matin, en y réfléchissant bien, j'ai compris que l'amour n'existe pas. Ce n'est que des pures conneries. Si vous y réfléchissez vous aussi, vous comprendrez qu'aucune relation amoureuse que vous avez eu, ne vous a jamais amené nul part. Elles vous ont seulement laissé en colère, triste, hargneux, plein de rancœur. L'amour ce n'est pas la rancœur, ce n'est pas la colère. Sauf que ça n'a jamais apporté autre chose que ça, au final. Ça n'a jamais été bénéfique, ça n'a jamais duré. C'est des foutaises. Des putains de conneries. Personne ne vous aimera vraiment.Quelqu'un vous dira peut-être qu'elle vous aime, qu'elle vous chérie, mais là encore, ce sont des conneries parce qu'à la première occasion, elle vous mettra un couteau dans le dos. Personne ne vous aimera pour ce que vous êtes parce que personne ne comprendra jamais qui vous êtes vraiment. La seule personne qui sait qui vous êtes vraiment, c'est vous-même. Mais vous ne vous aimerez jamais vraiment parce que personne ne vous aime, alors vous vous sentirez minable et sans valeur toute votre vie. Vous serez toujours en colère et acerbe envers vous-même. La seule chose qui existe vraiment, c'est la haine, la colère, il est donc naturel qu'il soit plus facile de haïr, pour répondre à la question."

La classe entière reste béate devant moi. Le professeur fronce les sourcils. Noah me regarde comme si je venais de tuer sa famille devant ses yeux.

" - Ce n'était que mon humble avis évidemment. Peut-être que Mr. Smith aimerait exposer son point de vue, je dis pour briser le silence.

- Euh... Oui... Euh... bégaye Noah. Alors, figurez-vous que j'avais un tout autre avis sur la question, dit-il en rigolant. A vrai dire, au début je partageais le même point de vue que Miss Miller."

Il me lance un regard meurtrier et range sa feuille de note dans sa poche.

" - Néanmoins, quelqu'un qui était cher à mon cœur, m'a montré qu'il n'y avait pas de réelle réponse à cette question. Pour reprendre ses mots, "pour haïr, il faut avoir aimer". Et pour aimer, il faut apprendre à connaître la personne. On ne peut pas haïr une personne que l'on ne connait pas vraiment. Et contrairement à Miss Miller, je pense que c'est possible de vraiment connaître quelqu'un et de vraiment aimer quelqu'un. On peut aimer une personne, seulement si elle nous laisse l'aimer, si elle ne nous rejette pas, si elle nous ouvre son cœur. L'amour est certainement bénéfique et nous mène là où on souhaite aller, nous mène au bonheur et peut durer très longtemps si on le veut, et si cet amour est réel. Donc pour répondre à la question, mon humble avis est que si l'amour vient avant la haine, il est plus difficile de haïr quelqu'un. En effet, avant de pouvoir haïr, on doit passer par plusieurs étapes : apprendre à connaître l'autre, l'aimer réellement, que ce soit un amour amical ou romantique, et, ensuite, il faut un évènement assez déclencheur pour franchir la ligne et haïr. De plus, l'évènement doit être assez catalyseur pour franchir cette ligne car parfois quoi qu'il arrive, quoi que cette personne ait fait, on ne peut même pas se résoudre à la haïr."

C'est seulement là, que le professeur applaudit, souriant seulement à Noah.



Cameron 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant