CXXIX. Une Limace Efficace

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Ce fut finalement à l'aide du troisième exposé – le moins construit et le plus brouillon – que je dû remplir la fiche de questions, ayant été trop dans la lune les deux précédents.

Mes affaires déjà rangées et ma serviette bouclée, j'attendais que l'heure du déjeuner soit annoncée, trépignant d'impatience à l'idée d'entendre la proposition de mon voisin.

Je sautai de ma chaise à la seconde où la sonnerie retentit. Mais mes efforts furent réduits à néant quand je vis que Nikolas prenait son temps pour sortir de la classe. Il s'était certainement aperçu de ma fébrilité. Et peut-être même de sa raison.

Cette dernière pensée me fit m'arrêter net sur le pas de la porte. Me retournant, j'avisai la limace télékinésiste. J'étais curieuse de savoir ce dont il voulait me parler... mais s'il pensait que j'avais oublié, peut-être me l'annoncerait-il plus tôt.

Je soupirai. Pourquoi étais-je obligée d'en arriver à de tels stratagèmes pour lui soutirer une petite information ? Je ressemblais plus à un lapin attiré par une carotte qu'autre chose...

Il était penché sur son sac et y glissait ses feuilles et son stylo. Je le regardai et pour la première fois, je me demandai s'il n'y avait pas une raison derrière cette volonté de tout me cacher. J'étais de moins en moins sûre qu'il n'était que sadique.

Mais cette raison, je pouvais en être bien sûre, il ne me la dirait pour rien au monde.

Dès qu'il eut terminé, nous nous rendîmes au réfectoire, courant plus que marchant car il faisait vraiment froid à l'extérieur.

Fort heureusement, il n'y avait pas grand monde encore et nous pûmes rapidement nous attabler.

Cependant, nous ne restâmes pas seuls tous les deux bien longtemps. Alors que mangeais tranquillement mon poulet et mes chips goût ketchup, savourant la douce alliance de ces saveurs dans ma bouche, mes papilles papillonnant de plaisir ; ma délectation fût interrompue par Zella et sa clique, composée de Sin, Joia la manipulée, une blonde, une fausse blonde et un brun à lunettes.

A la tête de cette ribambelle, elle s'avança vers nous et, tenant son plateau en équilibre sur l'extrémité de la table, plongea ses yeux ambre dans les miens avec un grand sourire :

Salut Kafée ! On vient vous tenir compagnie !

Pas besoin ni envie de ta compagnie, ma chère. Je répondis sur le même ton enjoué :

Génial ! Installe-toi, je t'en prie !

Si Nikolas avait l'intention de me parler ce midi, ce n'était désormais plus possible.

Je la regardai, un faux sourire coincé sur les lèvres, pousser Sin et s'installer à côté de Nikolas. Je n'avais jamais ressenti une telle répulsion envers quelqu'un. A part sa douce mère. Elle dégageait quelque chose de malsain, de méchant et de vicieux. Une noirceur qui semblait s'être imprimé sur ces cheveux magnifiques. Elle était belle, mais c'était la beauté du mal.

Ce détestable sentiment qui se renforçait à chaque fois que j'avais la grâce de la voir et l'idée que je n'entendrais pas Nikolas, me firent me décider.

Après quelques minutes de bavardages et exclamations futiles, je donnai un coup de pied sous la table à Nikolas, attablé en face de moi.

Surpris, il leva la tête.

Chokola, va ranger mon plateau et aide-moi à me lever, ordonnai-je, la voix sourde, je suis malade.

Etant devant témoins, il s'obtempéra plus vite que son ombre.

Me tournant vers Zella, je lui dis d'un ton que je pris plaisir à rendre le plus souffrant possible :

Désolée, je vais devoir écourter ce sympathique déjeuner, je crois que je ne digère pas le ketchup, mon estomac me fait mal.

D'un geste théâtral, je portais la main à mon ventre tandis que mon humble chien prenait l'autre pour me lever. J'enfilai rapidement mon manteau sous les adieux apitoyés de Zella. Un rapide regard dans sa direction me confirma qu'elle n'avait aucun soupçon quant à la véracité de mes dires.

Jetant mon bras gauche sur l'épaule de Nikolas, nous sortîmes de la cantine, clopin-clopant.

Le froid me saisit aussitôt que la porte se referma, supprimant la bienheureuse chaleur du réfectoire.

Toujours silencieux, nous nous éloignâmes un peu. Ce fût moi qui brisa la glace. Pour rester dans le contexte.

Il faut croire que Zella a vraiment quelque chose contre le fait que l'on mange.

Nikolas, les mains dans les poches, eut un petit rire, et un nuage s'échappa de ses lèvres entrouvertes.

Il ne me demanda pas pourquoi j'avais menti. C'était évident.

Je m'arrêtai brusquement dans la neige. Sans nous concerter, nous nous dirigions vers le bâtiment des Nyfødt, mais je venais d'avoir une autre idée.

Et si nous allions à la bibliothèque pour chercher quelques informations ? proposai-je innocemment.

J'espérais qu'il profite de cette occasion pour me parler. Il hocha la tête.

Ensemble cette fois-ci, précisai-je, non sans ironie.

Il sourit à demi, comprenant très bien de quoi je parlais.

Nos pieds crissants dans l'étendue blanche vierge de toute trace de pas, nous nous dirigeâmes alors vers notre nouvelle destination, lui muet comme une carpe, et moi, un sourire flottant sur les lèvres.

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant