CXXXIX. Lait Trahi (Mais Finalement Ce N'Est Pas Si Mal)

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Le roux du duo voisin me fixait sans même plus essayer d'être subtil. Je baissai les yeux sur la pierre. Elle était rouge foncé, presque de la couleur du sang, et de petites veines couleur rubis couraient sous ses aspérités grossières.

Je saisis la chaîne entre mes doigts, pour éviter de toucher la pierre qui -je le sentais à quelques millimètres- était brûlante, et glissai le tout entre mon T-shirt et mon sweat.

Nikolas avait suivi tout le processus attentivement. Son impression était indifférente. En apparence tout du moins. Le trouble qu'il avait laissé échapper tout à l'heure ne pouvait s'être calmé en quelques minutes.

Il ne m'avait d'ailleurs toujours pas dit ce qu'était ce collier, Vidua Lacrimam. Mme Desmond, la bibliothèque et lui étaient les seuls de qui je pouvais obtenir l'information.

Nikolas était parfois un peu stupide. Me cacher des choses ne faisait qu'aiguiser ma curiosité et ma soif de savoir, au lieu de l'endormir comme il le voudrait.

Pourquoi tenait-il tant à me faire rester dans l'ignorance ? C'était la question du siècle. Le temps et toute la patience du monde -et Dieu seul sait combien il en faut- y répondront.

***

Nikolas n'était définitivement pas dans son assiette aujourd'hui. Ou plutôt il était un peu trop concentré dessus.

Depuis son aimable « range ton collier », il n'avait pas prononcé un seul mot et était actuellement occupé à couper sa viande, du sanglier qui avait mijoté si longtemps qu'on pouvait le manger à la petite cuillère. Obélix le renierait s'il était au courant de toutes ses manières.

Quand il était pensif ou occupé par quelque chose, j'avais remarqué qu'il pianotait légèrement de la main gauche -ce qu'il était en train de faire, bien qu'il tienne des couverts.

De temps en temps, il me jetait un regard, mais toujours sans rien dire.

Tant et si bien que lorsque j'aperçus Kathryx avancer dans notre direction, je lui fis signe de venir manger avec nous.

Le dîner fut assez silencieux, mais moins que si Kathryx n'avait pas été là.

***

Je saisis rapidement ma serviette et mon manteau et sortit de ma chambre en coup de vent. J'étais en retard.

Dévalant les escaliers, je croisais les doigts pour que Nikolas soit au réfectoire.

A l'extérieur, j'avisais d'un coup d'œil circulaire qu'il n'y avait aucune trace de professeur, puis je coupai par la pelouse, mes pieds s'enfonçant dans l'épaisse couche de neige.

Au réfectoire, je cherchai Nikolas des yeux, alors que je demandai un croissant et mon thé habituel à la cuisinière de service.

Il n'était pas là.

Deux croissants supplémentaires s'il vous plaît, demandai-je.

A l'aide d'un plateau, j'amenai les deux petits-déjeuners sur une table près d'une des grandes fenêtres, pour pouvoir le voir arriver et le prévenir que son repas était prêt, qu'il ne perde pas davantage de temps.

Il ne tarda pas à apparaître, marchant à grands pas dans la nuit, ombre noire sur le sol blanc. Il me vit lui faire signe et comprit.

Quand il tira sa chaise, je finissais mon croissant.

Bonjour, souffla-t-il avec un sourire en coin.

Je hochai la tête, en réponse à cette remarquable preuve de politesse de sa part.

Nous sommes en retard, fis-je, je t'attends, (action parfaitement intéressée : je ne savais plus où se situait la salle de Monsieur Dreven) Voici.

Je lui montrai dans un geste théâtral la nourriture.

Voici tes croissants et...

Je réalisai que j'avais oublié son lait. Son sacro-saint lait. Je tournai la tête pour constater que le service était fermé.

... pas de lait. Mais tu peux prendre la fin de mon thé, j'ai terminé, ajoutai-je malicieusement, sachant sciemment qu'il ne s'agissait là que d'une maigre consolation pour le fan inconditionnel de lait qu'il était.

Cependant il ne s'embarrassa pas de cérémonie. Il tendit la main vers ma tasse encore chaude et la porta à sa bouche -posant ses lèvres au même endroit que moi, quelques instants plus tôt...

Je secouai la tête. A quoi est-ce que je pensais. D'où me venaient ces pensées...

Nikolas haussa le(s) sourcil(s) en s'apercevant que je le fixai. Je détournai immédiatement le regard, comme s'il pouvait comprendre la teneur de mes pensées.

Il mangea rapidement, et nous réussîmes à arriver exactement à l'heure au cours de Monsieur Dreven. Après la dissertation de trois heures et la course dans la neige, je me demandais ce qu'il nous réservait.

Cette fois-ci, il n'était ni bavard, ni fatigué, ni énervé. Il était simplement ennuyé de faire cours. Glissant un vieux marque-page dans l'énorme livre qu'il était en train de lire, il sauta de sa chaise et nous distribua des dossiers de feuilles agrafées, alors que nous asseyions. C'était mauvais signe.

Bonjour enfants. Voici un devoir portant principalement sur des notions que nous avons abordées ces dernières semaines ou des bases de la télépathie. Le reste est une sorte de bonus pour les plus curieux et doués d'entre vous, à propos de notions simplement évoquées ou de quelques petites choses que nous n'avons pas démontré ici.

Tâtonnant, il saisit une paire de lunettes ronde sur son bureau avant de lancer :

Vous avez la matinée, vous avez le droit de le faire à plusieurs. Et surtout, (il se retourna pour nous faire face) ne craignez pas d'inscrire toutes vos hypothèses, même si elles vous semblent farfelues. Rien n'est farfelu à côté de l'existence même de la télépathie. 

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant