CXXV. Une Franche Glissade

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Atchoum !

La classe sursauta et tout le monde releva la tête en direction de Monsieur Dreven.

Ce dernier était endormi quand la sonnerie avait retenti et ne s'était pas réveillé quand nous avions discrètement rejoint nos places en classe. La poussière des nombreux et énormes livres qui encombraient son bureau avait eu raison de son sommeil de plomb.

Le petit vieil homme sautilla jusqu'à son siège et grimpa dessus.

Bonjour enfants.

Bonjour Professeeeeeeuur.

Aujourd'hui je vais vous parler d'une chose amusante qui peut arriver aux plus doués d'entre vous. Il s'agit de certains rêves de télépathes. Voyez-vous, il est interdit pour quiconque, professeur ou élève, d'entrer de force dans la tête de quelqu'un d'autre, de manière consciente. Quand on parle de rêves, c'est différent, puisque c'est de manière inconsciente. Cela donne de joyeux mélanges le plus souvent, mais cela peut aussi seulement être une émotion, une idée, une ambiance... qui peut vous sauver la vie comme vous la détruire. Vous avez deux heures, dissertez sur la question suivante : « Les rêves télépathiques inconscients peuvent-ils avoir une conséquence sur nos actes conscients ? ».

A priori, il n'y avait pas tant besoin que ça de connaissances en télépathie pour comprendre l'exercice.

Echauffant mes mains en vue des deux prochaines heures, je soupirai et tournai la tête vers Nikolas. Ce dernier me fit un franc sourire devant mon ennui visible et se pencha sur sa copie.

Un franc sourire ? Je ne comprenais pas. Ce n'était pas Nikolas à côté de moi. Pas possible.

Un franc sourire ? Pourquoi ? Jamais il ne m'avait sorti un sourire comme ça : franc, clair, vrai, chaleureux.

Soudain je compris.

L'infirmerie. Odd avait dû lui donner une substance pas nette pour le mettre dans cet état.

Tentons d'éviter ce Nikolas humain pour le moment...

« Les rêves télépathiques inconscients peuvent-ils avoir une conséquence sur nos actes conscients ? »

Je penchai ma feuille du côté opposé à Nikolas, qui était assis à ma droite, pour ne pas être distraite par son état aimable.

***

L'eau glacée coulait entre mes doigts, endoloris par les mots alignés durant le cours de l'après-midi.

J'avais réussi à ne pas trop entrer en contact visuel ou social avec Nikolas durant le reste de la journée et le dîner.

C'était puéril. Vraiment ridicule. Mais il me faisait presque... peur. C'était tellement plus simple quand il est froid. Je n'attends rien de lui, il n'attend rien de moi et c'était parfait comme ça.

Je secouai ma tête.

La dissertation qui avait duré trois heures au lieu de deux car le professeur s'était endormi les yeux ouverts, et ce fameux sourire n'allaient pas m'aider à m'endormir.

Aussi, je sortis ma valise de dessous mon lit et glissais ma main entre le fond de la valise et le tissu le recouvrant. J'en tirai des vêtements noirs, que j'enfilai avec hâte.

Je fermai ma porte à clef et ouvris mon store, faisant rentrer un froid glacial dans la petite pièce, déjà pas très chauffée.

Je pestai en franchissant rapidement façon télékinésiste la fenêtre. Après l'avoir bloquée, j'escaladai le toit pour m'asseoir sur son arrête.

Avec sous les yeux une grande partie de l'établissement de télépathie, j'avais moins cette impression tenace de ne plus contrôler quelque chose.

L'immensité du ciel, très noir et presque sans nuage, me donnait un sentiment de liberté. Je ne comprenais pas pourquoi je ne me sentais justement pas totalement libre, dans ce cadre immense et infini, avec en plus les révélations de la matinée, qui m'avait pour le moins éclairé l'avenir.

Un poids insidieux s'était déposé dans mon cœur.

Je parcourais du regard les bâtiments, les grandes perches de spots et les longs toits de l'école quand je vis une ombre, dans la même position que moi, à l'autre bout du même toit où j'étais perchée. Sur le dortoir des garçons.

Nikolas ?

L'ombre me vit.

Ce ne pouvait être que lui. Aucun télépathe ne serait assez fou pour monter sur des ardoises, à plusieurs dizaines de mètres du sol.

La silhouette de Nikolas se dessina tandis que ce dernier s'avançait vers moi, marchant comme un funambule.

Sortie ? me lança-t-il, quand il fut à ma hauteur.

Je me mis debout et hochai la tête en rétorquant :

Et toi ? Pas d'entraînement ce soir, je...

Oui.

Il se retourna légèrement pour enfiler son bandeau, qu'il tira de la poche de sa veste noire.

Il s'était probablement trop avancé vers le bord. Ou bien il avait marché sur une tuile cassée.

Soudain, il tituba et glissa sur les ardoises, en décrochant plusieurs violemment.

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant