CXLI. Obsidiennes (in)volontairement Séductrices

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Jamais sacs ne furent bouclés aussi rapidement. Aussitôt que Mme Desmond se fut assurée que chacun avait -plus ou moins bien- rangé le fameux programme, elle nous demanda d'écarter les tables, en les soulevant précisa-t-elle.

Apprendre la valse semblait plaire à beaucoup, ce qui ne me surprenait qu'à moitié. Dans cette école, il n'y avait pas beaucoup d'occasion de s'amuser. Tant et si bien que danser devenait, même pour ceux pour qui on ne l'aurait jamais pensé, un véritable divertissement.

Une petite partie de la classe, la même qui n'avait pas été surprise de l'humeur enjouée de Mme Desmond, savait comment danser la valse. Aussi, la professeure ne nous fit pas de longue explication confuse mais désigna plutôt un garçon et une fille comme modèles.

Ceux-ci s'avancèrent et se mirent en place quand tout à coup, un horrible crissement déchira la pièce.

Nous nous tournâmes tous en direction du bureau, où Mme Desmond était consciencieusement en train de tourner -au hasard- chaque bouton d'un transistor ancestral. L'antiquité, inutilisée depuis des lustres, était bloquée pendant ce temps sur une tonalité affreuse.

Evidemment, le bouton son fut le dernier à être tourné. Quand un élève charitable eut réglé le problème, nous pûmes de nouveau nous concentrer sur le couple, sur un léger fond de valse.

Ceux-ci étaient sans aucun doute très doués. Avec grâce et aisance, ils se mouvaient comme un seul corps, si bien qu'on ne parvenait pas à deviner qui menait. Quand les dernières notes de la célébrissime valse no.2 de Dmitri Chostakovitch se firent entendre, il eut un petit moment de silence puis tout le monde applaudit et se mit en place en attendant la prochaine valse, impatients de danser.

Une main frôlant mon dos me fit sursauter. Etonnée d'avoir été ainsi prise de court, je levai les yeux vers le propriétaire, et croisai son regard d'obsidienne.

Probablement très fier de m'avoir surprise, il me fixait, moqueur. Mais moi, immobile, je ne parvenais à détacher mon regard du sien, hypnotisée.

C'était comme si, dans l'obscurité insondable de son œil, je pouvais soudain voir tous les secrets qu'il avait. Comme si ces derniers avaient teinté son iris de la couleur la plus ténébreuse et la plus profonde qui soit, le noir. Son œil était si sombre qu'il ne reflétait même pas la lumière, aspirant dans son abysse toute les couleurs.

Je clignai des yeux, brisant ce lien étrange et m'absorbai dans la contemplation du sol.

C'était différent des autres fois. Là, j'étais tout à fait consciente, je n'avais pas été emportée. C'en était presque plus bizarre.

Je ne savais pas si Nikolas avait remarqué mon égarement, aussi quand il saisit ma main pour la poser sur son épaule, je n'opposai aucune résistance, veillant seulement soigneusement à ne pas croiser son regard.

Il prit mon autre main et nous étions prêts. La musique débuta l'instant suivant. Dans la valse, il était de coutume que ce soit le cavalier le meneur ; ne connaissant pas les pas, je m'en référais sans aucun regret à Nikolas.

La professeure vivait sans aucun doute le plus beau moment de sa vie et ne se gênait pas de nous lancer de temps à autre quelques directives :

Veillez à occuper tout l'espace de la salle, celle-ci est assez grande... regardez-vous dans les yeux... ne soyez pas si saccadés dans vos mouvements voyons... restez c...

Nous passions devant elle, je fus obligée de lever la tête vers lui. Il ne m'avait pas quittée des yeux. Sans rien dire, il accentua sa pression sur mon dos, réduisant la distance entre nous de telle manière que je sentais son souffle.

Mon cœur battait si fort que j'en avais -bêtement- peur qu'il l'entende.

Il sentait le cèdre et le santal. Quelque chose de velouté et d'envoûtant, presque chaleureux.

C'était la première fois que je le remarquais, probablement parce que d'autres odeurs comme celle de la mer avaient empêché jusqu'à maintenant cette perception.

Cela me perturbait au plus haut point. Indéchiffrable, son regard ne me laissait pourtant pas deviner s'il ressentait la même chose.

Ce ne fut que quand je sentis sa main sur mon dos se crisper que je compris qu'il éprouvait le même trouble. Qu'il avait lui-même provoqué, ceci-dit.

Je ne pus m'empêcher d'esquisser un léger sourire devant la situation. Sourire que je regrettai immédiatement en le voyant faire de même.

J'étais trop proche. J'évitai son regard tant bien que mal en fixant un autre point de son visage, mais maintenant qu'il souriait l'imbécile, je n'avais d'autre choix que de le regarder dans les yeux.

C'était pire que tout à l'heure. Mille fois pire.

Mon cœur s'accéléra quand, dans un mouvement un peu plus brusque, ses cheveux ébènes se soulevèrent, et que deux yeux noirs comme la nuit, qui semblaient contenir tous les secrets du monde, me transpercèrent.

***

[ Nda : Alors, que pensez-vous de ce rapprochement ? :) ]

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant