CXXXIII. Agression, Mélancolie Et Contemplation

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Acquiesçant, je souris tout à fait tandis qu'il s'éloignait. Il n'y avait pas une minute à perdre. Ce que j'attendais -malgré moi- depuis ce matin allait m'être enfin révélé.

Tentant de garder un pas mesuré, tant pour ne pas passer pour une folle-dingue exaltée courant vers sa chambre et son lit que pour garder contenance devant Nikolas, si celui-ci venait à se retourner. Il avait compris qu'il avait piqué ma curiosité mais je tenais tout de même à conserver un minimum d'amour-propre.

Je pris probablement une des plus rapides douches de ma vie, puis enfilai mes habits de nuit : haut noir, bas noir, chaussures noires, regard noir. Mention spéciale à Nikolas pour ce dernier élément.

La main sur la poignée de la fenêtre, je pris appui sur mon lit et m'élançai aérokinésistement.

Sans grande surprise j'étais la première. Un regard sur le toit du bâtiment des garçons me confirma l'absence d'une silhouette semblable à la mienne.

Je sentis soudain quelque chose frôler mon bras. Brusquement, je me retournai, prête à attaquer. C'était lui.

Hilarant, Nikolas, commentai-je, sentant redescendre les effets -inutiles- de la décharge d'adrénaline qu'avait provoqué sa soudaine apparition.

Tu allais m'agresser ! fit-il avec un air outré.

Levant la tête pour lui expliquer qu'il n'avait toujours pas de talent pour l'humour, je notai qu'il avait mis son bandeau.

Je ne suis pas sûre que tu sois la victime dans cette affaire, Nikolas, rétorquai-je, plongeant mes yeux dans le sien.

Il me tenait toujours le bras.

Avisant cela, je lui demandai quelque peu moqueuse :

Allons-nous quelque part, monsieur ?

Refaire des petits serpents et des portraits de soi dans les nuages par exemple ? Quelle incroyable proposition, vraiment.

Son œil rit.

Tout à fait, gente dame.

Je pris son autre bras, nos énergies se fondèrent et nous nous élevâmes à une vitesse vertigineuse de plusieurs dizaines de mètres au-dessus des tuiles.

Quand les nuages nous séparèrent du champ de vision des caméras, nous ralentîmes et nous arrêtâmes.

Monsieur Falsi levait la tête vers la voute céleste, la parcourant du regard. Dans le silence infini et impressionnant du ciel, il prit la parole :

Je cherche la lune.

A ces mots, une soudaine et violente mélancolie venue du fond des âges m'envahit. Ma gorge se noua et mes mains perdirent de leur force.

Nikolas, sentant la différence de pression de mes doigts sur ses bras, quitta les étoiles pour m'aviser.

J'avais les yeux baissés, toute à l'inextinguible nostalgie qui me submergeait. Mon cœur était serré à m'en faire mal et j'avais de plus en plus de difficulté à rester en lévitation.

Nikolas, curieux ou inquiet, effleura mon menton de ses doigts pour le lever vers lui.

Selena ?

Nos regards se croisèrent. Son œil onyx, d'un noir si profond et si beau me capta. Aussitôt, je sentis cette tristesse qui n'était pas la mienne s'envoler.

Quelques secondes passèrent, à la croisée des temps. Deux infinis se rencontraient : celui de l'ancienne mélancolie et celui de son regard indéfinissable.

Clignant des yeux, je repris mes esprits. Me détachant de sa prunelle sombre, je respirai un bon coup avant de déclarer :

Je... je vais bien. J'ai juste eu un moment... d'absence.

Il fronça légèrement les sourcils, ou plutôt celui que je pouvais voir et sa main quitta mon visage.

Je te suis, fis-je, changeant maladroitement de sujet.

Et comme pour l'assurer de mon état, mes mains s'affirmèrent sur ses bras.

Un sourire fugace passa sur ses lèvres avant qu'il ne m'entraîne. Il avait trouvé la lune pour s'orienter, et nous dirigeait, à l'horizontale, le plus rapidement possible pour que le froid ne nous assaille.

Peu à peu, nous perdîmes de l'altitude et je vis, au loin, se dessiner un grand lac. Tandis que nous nous approchions peu à peu, le paysage se révélait, de magnifique à sublime. Le firmament se mirait dans l'onde calme et sans ride. Rien ne troublait le calme silence qui régnait, à part, de temps à autres, le léger bruissement des aiguilles des hauts sapins entourant l'eau. Un rocher solitaire trônait sur la berge. Nous nous posâmes sur sa surface grise.

Cet endroit reste le même la moitié de l'année, murmura Nikolas.

Je hochai la tête, ravie par cette vision qui semblait tout droit sortie d'un conte de fée.

Libérant une de ses mains, il la dirigea vers l'eau. Puis, d'un petit coup du poignet, il fit surgir de sa paume une boule électrique tremblotante, qu'il lança sur l'eau.

L'énergie bleue rebondit lentement et sans bruit sur la surface, laissant derrière elle des traits lumineux. Elle atteint la moitié du lac et mourut, s'enfonçant dans l'essaim glacé de l'onde.

C'était magnifique.

Je tendis la main qu'il avait libérée vers lui :

Est-ce que tu peux m'en faire une, s'il te plaît...

C'est ce qu'il fit. Vibrante, la sphère passa dans le cocon de mes doigts. Comme avec les serpents, elle pâlit et grossit légèrement.

Gardant en tête mon record en ricochets, sept, j'utilisai ma technique secrète : mettre le poignet légèrement en biais. Je tirai.

La boule ricocha une, deux fois, neuf fois, elle n'avait pas fini sa course que d'autres sphères la rejoignirent, lancées par Nikolas.

Bientôt, tout le lac fut recouvert de lumières éclatantes, qui bondissaient infiniment, se reflétant sur l'eau, formant des arcs bleus et blancs désordonnés dans une danse magique.

M'arrachant à ma contemplation, je demandai tout bas :

Quel est le nom de cet endroit ?

Il descendit sa prise sur mon bras jusqu'à ma main, qu'il saisit.

Il n'en a pas.

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant