CXXXIV. On S'andor ?

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Nous restâmes encore un moment, assis au bord du lac-sans-nom, comme hypnotisés par cette beauté qui nous dépassait.

Mes paupières s'alourdirent, ma tête pencha, et je finis par m'endormir sur l'épaule de Nikolas...

***

Je m'extirpai de mon lit d'excellente humeur, ne prêtant aucune sorte d'attention à l'eau froide, à la lumière aveuglante des projecteurs, ou même à l'heure qui me semblait plus matinale que d'habitude à cause de notre sortie pour le moins tardive de la veille. Rien ne parvenait à ternir ma bonne humeur.

Sur le rocher, je ne m'étais pas rendue compte que je m'assoupissais tranquillement contre Nikolas. Je ne saurais pas non plus évaluer combien de temps était passé ainsi.

Nikolas avait fini par me réveiller et nous avions décidé de partir pour rejoindre nos chambres, car il se faisait très tard. Au retour, malgré les brumes du sommeil qui troublaient mes souvenirs, j'avais fait attention au chemin emprunté.

Alors que je saisissais ma serviette sur la commode, je fis tomber une interrogation de la veille. Celle-ci était datée du 20 décembre.

Je réalisai soudain avec un étrange sentiment qu'aujourd'hui était le jour de mon anniversaire. Alors qu'il y a quelques années encore je comptais les jours avant cette date -d'autant plus qu'elle était proche de Noël- je m'y retrouvais sans l'avoir vu venir.

21 décembre.

C'était mon premier anniversaire sans papa et maman. A cette pensée, ma gorge se noua.

Mais je ne laissai pas plus de cinq secondes à la mélancolie qui me gagnait. Comme j'en avais pris l'habitude, je passais au-dessus du souvenir triste en fermant mon cœur, rangeant mes parents et l'amour que je leur portais bien au fond.

Je ramassai l'évaluation et la rangeai.

Au réfectoire, je rejoignis un Nikolas légèrement plus joyeux que d'ordinaire, soit pas aussi muet qu'une tombe et légèrement plus aimable qu'une porte de prison.

Alors qu'il se servait en lait, car ce monsieur prend du lait chaque matin comme un chat, je lançai en souriant, ayant parfaitement conscience que j'avais l'air d'une gamine le jour de ses cinq ans :

Aujourd'hui, c'est mon anniversaire.

Nikolas quitta son lait pour visser son regard sur moi.

Le 21 décembre ?

Je hochai la tête, étonnée qu'il n'ait pas fait une réflexion ironique.

Il eut un petit sourire en coin avant de souffler, l'air de rien :

C'est aussi le jour de mon anniversaire.

Je sentis mes sourcils se lever de surprise. Immédiatement, j'eus un reflexe idiot, la petite fille en moi ne m'ayant pas tout à fait quittée :

A quelle heure es-tu né ?

Cette question le surprit plus que de savoir que nous étions nés le même jour, mais quand il comprit que c'était pour savoir lequel était le plus vieux de nous deux, il ne retint pas un sourire.

Aux dernières lueurs du crépuscule.

Je souris à mon tour, croisant mes mains sous le menton.

Respecte ton ainée dans ce cas. Je suis née à l'aube.

Amusé, il fit une petite révérence de la tête, que j'acceptai d'un geste de la main dédaigneux.

***

Bien que la Norvège soit plongée dans la nuit et la neige six mois dans l'année, la froid semblait se durcir le temps passant, et en ce jour du solstice d'hiver, l'air n'avait jamais été aussi glacé.

Peut-être était-ce aussi car nous nous dirigions vers le cours de Mme Sandor. Son ombre cruelle semblait s'étendre sur les étroits couloirs aux murs carmin faiblement éclairés de la lumière jaune et tremblotante de lampes placées dans des alcôves.

Il n'y avait que Nikolas et moi. Seuls nos pas sur les dalles interrompaient le lourd silence, de temps à autre.

Devant moi, il marchait, son long manteau noir se mouvant au gré de ses mouvements tel les ailes d'un corbeau.

Il s'arrêta tout à coup et toute à mes pensées, je me cognai à lui. Il se retourna.

Il faisait si froid que nos souffles formaient des volutes blanches qui s'envolaient vers les fenêtres.

Je lui lançai un regard interrogateur.

Méfions-nous de Mme Sandor, souffla-t-il.

Je reculai d'un pas en acquiesçant.

On ne tente rien. On reste dans la masse. On ne se fait pas remarquer, fis-je, repensant à ses paroles à la sortie d'un cours particulièrement cruel de Mme Sandor.

Il me regarda étrangement, reconnaissant ses propres mots. Je crus voir une lueur désolée passer dans son œil mais il détourna la tête avant que je puisse en être sûre.

Nos camarades attendaient en petits groupes irréguliers devant la classe. Et ce n'était pas juste une impression que de sentir l'air chargé d'une tension anxieuse.

La poignée de la porte tourna et la porte s'ouvrit, découvrant des talons aiguilles, un tailleur or, un menton fin, des lèvres rouges parfaitement dessinées et deux yeux striés d'ambre

Nyfødt. Vous pouvez entrer.

A ces mots, une fille devant moi, qui tournait le dos à Mme Sandor, sursauta. Je croisai son regard.

Terrifié.

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant