CXVIII. Toile Vide

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Nikolas avait l'air d'être moins choqué que moi. Je ne savais trop quoi en penser... Qu'il ait l'habitude de telles choses...je ne sais si ça m'étonnerait vraiment. Même s'il n'est pas -pour sûr- un adepte de la torture !

Il ne disait mot depuis que le cours de Mme Sandor était terminé et que nous marchions dans les couloirs pour aller au réfectoire. Ce cours qui d'ailleurs, m'était tout à fait passé au-dessus de la tête. J'étais en effet incapable de dire ce que nous avions fait (ou étions sensés) durant ces heures matinales.

Ce qui demeurait en mon esprit et mon cœur était ma révolte.

Une colère sourde avait pris le pas sur l'horreur. Une colère qui n'allait pas s'éteindre si facilement, nourrie qu'elle était par la cruauté, la vanité, la manipulation, la tyrannie, l'indifférence...la multitude de tares dont était gangrénée cette école, tout ça à cause de l'appétit du pouvoir.

En effet, j'en prenais réellement conscience maintenant, la frontière entre la télépathie et la manipulation était très mince, et passer de l'un à l'autre était d'une très grande simplicité. D'une trop grande simplicité.

Ce danger, ce piège, beaucoup d'élèves y étaient tombés. Attirés par l'immense pouvoir qu'elle conférait.

Diriger les autres, c'est bien, mais diriger leurs esprits, c'est mieux.

Je me pris les pieds dans une marche et trébuchai. Un bras surgit à la vitesse de l'éclair devant moi, sauveteur.

Je dissimulai un sourire en m'y appuyant. Nikolas n'était donc qu'en apparence dans la lune... A vrai dire, je pense qu'il était surtout plus alerte et attentif à cause de ce matin.

Son esprit guerrier s'était éveillé, et ses cinq sens également, vigilants. La colère possédait parfois des avantages.

Nous étions en train de descendre le petit et sombre escalier en colimaçon, sombre et tortueux (à l'image de l'esprit de Mme Sandor).

Kafée, dit soudain Nikolas, coupant court mes pensées.

Je levai la tête vers lui, tenant d'une main prudente la rampe.

N'y pense même pas, reprit-il, ne pense même pas te dresser devant Mme Sandor. (il me lâcha du regard) Reste cachée au milieu des élèves, sans te faire remarquer. Ce serait la fin sinon.

Quel pessimisme dans sa voix... Je m'étais lourdement trompée.

Aucune âme de combattant ne s'était éveillée en lui, aucune forme de résistance sinon celle de « courage fuyions ! ». Principe qu'il sous-entendait fortement, pour justifier sa lâcheté.

Je secouai la tête. Et me remis du rouge-à-lèvres.

J'étais sévère. Lui ou moi ne pouvions rien faire. Le vrai courage résidait ici dans le retrait. Il avait raison. J'espérai seulement que son raisonnement était le même que moi. Qui sait quelle obscure raison pourrait le pousser à m'empêcher de me révolter ? Quel sombre secret d'état si confidentiel ?

Il me tenait la porte des Nyfødt, neutre dans son attitude. Il était à moins d'un mètre de moi et pourtant j'avais l'impression qu'il en était à des milliers. N'étaient en ce moment en face de moi ni Nikolas ni Chokola. Il ne jouait aucun rôle. Aucune émotion. Comme un tableau vide, sans coup de pinceau, sans couleur, sans sentiment, sans passion. Du néant.

A l'extérieur, il faisait évidemment -et toujours- nuit, et c'était même encore plus sombre que d'habitude car on ne voyait pas la lune. Et on ne la verrait pas non plus se lever en fin d'après-midi, car aujourd'hui c'était la nouvelle lune, le contraire de la pleine lune.

Je crois bien que je ne m'accoutumerai jamais à cette nuit polaire permanente.

Le réfectoire était déjà bien plein, et le menu délicieux. Riz et poulet aux épices en plat. Miam.

Je suivais plus ou moins passivement Nikolas pour s'installer à une table quelconque, quand je vis soudainement Cazimir de loin nous faire signe de venir nous asseoir avec eux. Cependant Nikolas, qui pourtant j'en étais persuadée, l'avait vu, l'ignora sciemment et s'assit sur la première chaise venue, dos au blond survolté, me faisait un rapide signe de me mettre en face de lui, ce que je fis (je préférais son silence pesant aux récits de bagarres extraordinaires).

S'il subsistait un doute, il avait été écrasé : il ne le portait clairement pas dans son cœur. Pourquoi ? Je ne sais pas, je ne sais plus, je ne veux plus essayer de savoir.

Je portais une bouchée de paella à mes lèvres. Elle ne l'avait pas atteinte qu'un éclat de verre brisé retentit bruyamment dans la salle, m'interrompant insolemment.

Je levai la tête de ces -probablement- délicieux grains de riz, dans la direction du bruit.

Je ne fus même pas surprise du tableau qui se présentait à moi :

Zella aux cheveux de corbeau -la fille de la douce Madame Sandor-, et à genoux devant elle, son chien Sin. Ce dernier couvrait sa tête de ses bras mats car Zella et le petit attroupement qui se formait autour d'eux lui jetait du riz, du poulet, et d'autres mets inidentifiables (gros gaspillage au passage).

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant