CXCV. Une Véritable Andouille Mais Riche

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Je retournai en courant vers la salle de M. Dreven, prenant garde à ce que mes pieds ne fassent pas de bruit sur les dalles.

Une fois à l'intérieur, je rangeai à la hâte les derniers livres tout en m'aidant de la télékinésie pour équilibrer les piles d'une hauteur affolante et éteignis la lumière. Dans l'obscurité, je m'assis contre la porte, afin que l'on ne puisse pas me voir à travers les carreaux. Prenant une grande inspiration, je déployai mon esprit autour de moi.

D'abord sourdes comme si elles étaient sous l'eau, des voix se firent entendre et commencèrent à se préciser dans ma tête. Simultanément, une horrible migraine me saisit.

Maintenant ma boîte crânienne entre mes deux mains, je persévérai. Je ne cherchais pas à comprendre ce qui disaient toutes ces voix, mais à retrouver celle de Kathryx : il ne fallait absolument pas que je la croise dans ce bâtiment.

Les pensées des autres, ces voix que j'entendais, n'avaient pas réellement de tonalité comme l'ont les voix produites avec des cordes vocales ; elles possédaient une essence qui leur était propre, empreinte de l'identité de leur propriétaire.

Ce qui rendait l'exercice encore plus difficile, car je n'avais jamais entendu le son des pensées de Kathryx. Cependant j'espérais, comme j'avais entendu il y a quelques minutes sa voix, avoir plus de chance de reconnaître sa voix parmi celles qui avaient envahi ma tête.

La douleur s'intensifia et mes yeux clos me brûlaient. Il ne me restait pas beaucoup de temps.

Le brouhaha s'emmêlait dans mon esprit tel une toile d'araignée. Passer d'une voix à l'autre empirait le phénomène, comme si chacune était un fil de soie collant qui m'enlaçait et m'enserrait.

Enfin, je la trouvai. Ténue. Je ne fus pas surprise de ne pas pouvoir saisir de mots, Kathryx était douée et devait avoir un semblant de bouclier. Malgré cela, je l'avais identifiée. Ses pensées étaient confuses, un mélange de colère et de mépris. Elle était en train de réfléchir, mais ses pensées allaient trop vite pour que je les saisisse.

Petit à petit, le son de sa voix diminua. Elle s'éloignait de moi. J'essayai d'évaluer la distance à laquelle elle était, sans succès. Pour ne pas perdre le son de sa voix, ignorant le sang qui battait violemment à mes tempes, j'élargis mon aura télépathique.

Tout à coup, des centaines de voix surgirent dans mon esprit, tambourinant et tournoyant, chuchotant et sifflant, empirant ma céphalée.

Je m'évanouis.

***

Quelle andouille... fis-je pour la seconde fois de la journée en reprenant conscience.

Pour la seconde fois de la journée, je l'espérais, car je n'avais aucune idée de combien de temps j'avais passé dans les pommes. Je vérifiai immédiatement que mon esprit ne trainait pas dans quelques têtes. Un grand silence régnait, ici et autour de moi. Le réfectoire devait être vide. L'heure du dîner était donc largement passée.

Je me levai difficilement, encore étourdie du choc, et sortis de la salle de M. Dreven. Fort heureusement, je parvins à retourner discrètement à mon dortoir puis dans ma chambre, sans croiser âme qui vive.

Il faut que je quitte cet endroit d'urgence.

Avant que Kathryx ou Mme Desmond ait le temps de faire part de ses soupçons à cette mystérieuse Fédération.

Mon sac – que je lançai sans douceur aucune sur ma commode – fit tomber quelque chose sur le plancher. Je ramassai un petit livret en cuir brun que je n'avais jamais vu, et qui donc, de toute évidence de m'appartenait pas. Ce qui posait la question de comment il était arrivé sur mon meuble.

Nikolas. La nuit dernière. Le petit génie.

Je feuilletai le carnet, intriguée. Les premières pages étaient couvertes de lignes graphiées d'une fine écriture avec à leur extrémité, dans la marge, des chiffres. Il s'agissait d'un livret de compte tenu consciencieusement par un certain « Nikolas Rún ».

J'esquissai un sourire en découvrant pour la première fois son nom de famille – c'était étonnant, après tout ce temps.

Mais ce semblant de sourire s'évanouit rapidement. Je n'étais plus sans le sou, soit. Mais Nikolas était parti définitivement.

En inspectant de plus près les retraits et crédits, je remarquai qu'il y avait deux comptes en banque, dont l'un resté intact – certainement l'héritage de mes parents – et l'autre utilisé pour des dépenses telles que le séjour en bateau, celui au Portugal, les frais de scolarité, etc. Et tout à la fin, un important retrait – bien que minime par rapport au capital total – daté de quelques jours avant le départ de Nikolas.

***

Je pris un solide petit-déjeuner pour rattraper le dîner manqué et prendre des forces pour le cours de Mme Sandor qui allait durer toute la matinée.

Pour une fois, le cours passa en un éclair, et j'appris même une chose très concrète et on ne peut plus à propos : quand un télépathe étire son esprit autour de lui, il peut entendre des voix, que l'on nomme des lyds.

Mais ce fut la seule chose que j'appris, car Mme Sandor n'aborda pas une seule fois la question de la pratique, restant sur de la théorie, car en théorie, personne n'était censé pouvoir étirer son esprit sans perdre connaissance parmi les « Nyfødts ignorants » que nous étions... Je n'eus donc pas d'astuces pour mieux contrôler l'aura, et si la professeure évoqua les maux de tête atroces engendrés par cette pratique, elle ne dit pas – encore une fois – comment les atténuer.

Cette faculté pouvait s'avérer très utile et dangereuse à la fois, car les télépathes peuvent sentir quand on est dans leur tête. Là encore, je ne savais pas chez qui et dans quelles conditions cela était possible. Cela me désolait de devoir quitter cette école qui devait m'apprendre tant de choses.

Nous étions... j'étais tombée sur une période scolaire un peu vide, entre le Bal et les examens d'entrée, les Nyfødts n'avaient pas eu le temps d'apprendre grand-chose (ou de nouveau pour ma part).

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant