CXLV. Le Vieux Maboul Et La Vieille Marchande

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[NdA : grosse mise à jour sur le chapitre précédent, notamment sur le dialogue à propos des sous de Selena]

***

Ses doigts se desserrèrent lorsqu'une brève secousse nous signala que l'embarcation accostait.

Un regard en diagonale me rassura, le vieil homme était occupé à grogner après ceux qui couraient sur le pont flottant qui menait au village. Mais lorsque je descendis du Solveig à mon tour, je ne pus m'empêcher de lui jeter un coup d'œil.

Je croisai son regard bleu acéré, qui semblait avoir le pouvoir de me transpercer, de lire au plus profond de mon âme, de connaître tout ce que je cachais. Il était immobile devant la frêle passerelle.

Une sourde angoisse monta en moi. Mon instinct me dictait de fuir.

Je pressai le pas, me giflant mentalement pour mon audace. En posant un pied sur le bois mousseux et glissant, je le frôlai. J'eus juste le temps d'entendre quelques mots soufflés d'une voix profonde et très grave :

— ... trist mørke.

Un frisson incontrôlable me secoua de la tête aux pieds. Ce type était taré. Complètement maboul. C'était impossible qu'il ait deviné quoi que ce soit chez moi en un laps de temps si court.

Il doit s'amuser à faire peur aux élèves pour passer le temps, pensai-je pour me rassurer, sans y croire vraiment.

Quoiqu'il en soit, ce sentiment désagréable disparut quand nous fûmes dans le village -Månegrend lisai-je sur un panneau enneigé, et que les maisons me dérobèrent à sa vue.

Respirant enfin normalement, je relativisai, un peu vexée d'avoir été si impressionnée.

« trist mørke ». Certainement du norvégien.

Kafée ? m'interpella une voix familière derrière moi.

Nikolas, son habituel et long manteau noir corbeau se gonflant au rythme de ses pas rapides comme seule protection contre le froid, me rejoignait.

Une volute blanche d'échappa de ses lèvres à peine bleuies par le froid lorsqu'il répéta :

Kafée, t'marches trop vite.

En effet, j'apercevais au-dessus de son épaule les cheveux orange de Mme Desmond tourner dans une ruelle illuminée perpendiculaire à celle que j'avais empruntée sans faire attention, suivie par le troupeau disparate de mes camarades.

Nikolas me regardait curieusement.

On est dans la lune ? susurra-t-il.

Je retins un sourire à sa tentative d'humour. Déplorable, comme d'habitude.

Non, je pensais à cette magnifique cravate violette que je vais t'acheter avec ma toute nouvelle fortune, rétorquai-je alors que nous rejoignons illico presto le groupe avant que celui-ci ne change de nouveau de direction pour la rue marchande.

L'unique rue marchande de Månegrend était bien plus animée que les petites ruelles escarpées pour y parvenir. Tous les habitants semblaient s'être rassemblés derrière leurs petits étals et discutaient dans une atmosphère bon enfant. Le norvégien, plus doux que l'allemand et aux consonnances scandinaves se mêlait à des mélodies de Noël provenant de charmantes petites boîtes à musique. Une odeur de vin chaud et de pain d'épice flottait dans l'air, montant jusqu'aux guirlandes lumineuses blanches suspendues entre les enseignes.

On aurait dit que l'on se trouvait dans Peer Gynt d'Edvard Grieg, je m'attendais presqu'à croiser un troll derrière un tonneau ou sous un panier de pommes de pin.

J'eus soudain une folle envie de parcourir toutes les boutiques pour dénicher la plus originale des décorations (Mme Desmond avait dû faire son petit discours à ce propos lorsque j'étais « dans la lune ») et accessoirement, une jolie robe

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J'eus soudain une folle envie de parcourir toutes les boutiques pour dénicher la plus originale des décorations (Mme Desmond avait dû faire son petit discours à ce propos lorsque j'étais « dans la lune ») et accessoirement, une jolie robe.

Bien que je n'aie pas eu le temps -ou le cœur- de m'intéresser à la mode depuis la mort de mes parents, un besoin de légèreté se faisait sentir. J'avais l'angoissant pressentiment que quelque chose allait arriver, que ce traintrain quotidien auquel je m'étais habituée, encore que sous la constante menace de se faire découvrir, était sur le point d'être bouleversé. Peut-être était-ce à cause des yeux d'aigle.

Toujours avec Nikolas, je poussai la porte d'une petite boutique en secouant la tête pour chasser ces pensées déprimantes.

En plus d'être très bien chauffée, c'était une vraie caverne d'Ali Baba. Il y avait une multitudes d'objets folkloriques, de Noël ou norvégiens et des décorations du sol au plafond. Littéralement.

Si je ne trouvais pas la cravate ici, je ne la trouverais nulle part.

Une étagère pleine d'horloges en bois, de pendules sculptés et de coucous colorés attira mon regard. Je fis un pas vers elle mais me sentit retenue par quelque chose qui entravait mon bras.

Je tournai la tête pour constater que ce quelque chose était le bras de Nikolas, que j'avais inconsciemment attrapé je ne sais quand

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Je tournai la tête pour constater que ce quelque chose était le bras de Nikolas, que j'avais inconsciemment attrapé je ne sais quand.

Espérant qu'il ne le remarque pas -ce qui était 100% impossible- je dégageai doucement mon bras de dessous le sien et filai vers les horloges, le laissant devant les petites poupées et les broches.

Tout dans cette échoppe était artisanal et j'admirai la précision avec laquelle tout était parfaitement confectionné, du simple petit pantin à la plus complexe horloge ciselée.

God morgen, fis-je au bonnet de laine verte qui dépassait de ce que j'imaginais être la caisse.

Une vieille dame aux cheveux tressés et aux traits doux, qui devait avoir été très belle par le passé leva la tête et m'adressa un sourire. Elle me fût immédiatement sympathique.

Velkommen. 

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant