CXIV. Nikolas Le Bougon Berné

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J'avais obtenu une réponse. Une réponse mystérieuse et troublante, qui ressemblait plus à une énigme qu'à autre chose, mais c'était toujours ça.

Je coulais un regard discret aux alentours : les élèves commençaient, comme nous, à se diriger vers le réfectoire. Nikolas marchait -ou plutôt se traînait derrière moi, grognon. Rien de bien extraordinaire pour le coup.

On reprenait les bonnes habitudes : j'avais réussi à lui arracher quelques mots, j'avais donc le droit à plusieurs jours de silence.

Sauf si je cherchais par moi-même, à la bibliothèque. Le risque, c'était que Nikolas me surprenne, mais surtout que les caméras de surveillance placées un peu partout filment mes étranges lectures, ce qui reviendraient à placer une grosse flèche en néon vert au-dessus de ma tête.

Si jamais je trouvais quelque chose.

Quelque chose sur le poème en forme d'énigme, quelque chose sur le monde des télépathes et des télékinésistes –même si je doutais de dénicher un quelconque ouvrage objectif à propos de leurs ennemis jurés. Mais sait-on jamais.

A défaut d'être objectifs, espérons qu'ils soient informatifs.

Et puis si un bouquin sur la Tuar ou une autre prophétie pouvait me tomber sous la main...ce serait parfait.

Entrant dans le réfectoire, je ne pus retenir un petit sourire : la joie de lever un coin du mystère qui m'entourait (et de berner Nikolas au passage) me réjouissait tellement qu'elle en surpassait le malaise des révélations de toute à l'heure.

Cela n'avait en effet pas été particulièrement agréable de se rendre compte que j'avais assisté en direct à une manipulation psychologique machiavélique de A à Z, par une fille aussi timbrée et sadique que sa mère, dans un environnement où c'est totalement anodin de se défier en duel d'esprits.

Il faisait beaucoup plus chaud à l'intérieur. Mon sourire s'effaça quand je me rendis compte que mes chaussures faisaient un charmant bruit spongieux sur le beau parquet ciré du réfectoire. Quelle chance.

Je consultai du regard Nikolas mais le sourire moqueur d'usage ne flottait pas sur ses lèvres, qui étaient toujours serrées, dans une moue acariâtre. J'en fus presque déçue.

Malgré cela, le repas fut bon.

***

Le lendemain matin, j'étais déjà réveillée quand la sonnerie stridente hurla. J'avais eu le temps d'établir un stratagème pour me séparer de Nikolas. Rien de bien compliqué. Quelque chose de trop complexe lui mettrait la puce à l'oreille de toute manière.

Il s'agissait simplement de lui suggérer fortement de se sociabiliser avec les autres chiens, tandis que j'irai de mon côté (en réalité à la bibliothèque) vers leurs maîtres.

S'il avait la même humeur de cochon qu'hier, ça passerait comme une lettre à la poste.

Mon pronostic était juste : Nikolas ne pipa mot de tout son petit-déjeuner, excepté un « oui » pas vraiment convaincu à l'annonce de ma proposition.

Il expédia son repas et partit avant même que j'entame mon premier croissant. J'hésitais entre l'hypothèse qu'il soit très motivé par mon idée -mais dans ce cas il n'avait pas compris le terme « sociabiliser » (il n'y a personne dehors à cette heure-ci) ; ou bien il allait dormir.

Quoi qu'il en soit, je n'allais pas laisser passer cette occasion en or. Je mangeai en trois bouchées mon croissant ; bu en six gorgées (ou sept, je n'ai pas compté) mon café, et j'étais partie.

Je n'eus aucun mal à trouver la bibliothèque, car elle était juste à côté de la grande salle à manger, à gauche avant les dortoirs des filles.

Cela dit, je ne m'attendais pas à ça. Ophélia avait omis de mentionner qu'elle était... assez gigantesque.

La bibliothèque était ronde, et en son centre se trouvaient quelques vieux bureaux, légèrement surélevés sur une plateforme circulaire, d'où partaient d'immenses rangées d'étagères, croulant sous les ouvrages, qui grimpaient jusqu'au plafond. Ci et là étaient disposées de hautes échelles, sans lesquelles probablement le tiers des livres serait inaccessible, tant elles montaient haut.

Mais sa véritable particularité résidait dans le fait de posséder un étage. Au-dessus des bureaux, le lointain plafond se fendait en deux demi-lunes, barrées par une passerelle aux barrières en métal ouvragé. On apercevait à peine le plafond du deuxième étage, couvert des peintures encerclées de dorures qui descendaient en colonnes tout le long des murs, jusque tout en bas.

On se sentait un peu petit dans un tel endroit, dont l'architecture extérieure ne laissait en rien deviner un tel palais.

Près de la plateforme des bureaux, où je m'étais arrêtée pour contempler la structure de la bibliothèque, j'aperçus une petite affiche, sur-laquelle était inscrite :

ℬ𝒾𝒷𝓁𝒾ℴ𝓉𝒽ℯ̀𝓆𝓊ℯ

"ℒ𝒶 𝓅ℯ𝓃𝓈ℯ́ℯ 𝓈ℯ 𝒹ℴ𝒾𝓉 𝒹ℯ 𝓈'ℯ́𝓁ℯ𝓋ℯ𝓇 𝓉ℴ𝓊𝒿ℴ𝓊𝓇𝓈 𝓅𝓁𝓊𝓈 𝒽𝒶𝓊𝓉, 𝒹ℯ 𝓈ℯ 𝒽𝒾𝓈𝓈ℯ𝓇 ℊ𝓇𝒶̂𝒸ℯ 𝒶𝓊 𝓈𝒶𝓋ℴ𝒾𝓇 ℯ𝓉 𝒶𝓊𝓍 𝒸ℴ𝓃𝓃𝒶𝒾𝓈𝓈𝒶𝓃𝒸ℯ𝓈, 𝒹𝒶𝓃𝓈 𝓁'ℯ𝓈𝓅ℴ𝒾𝓇 𝒹'𝒶𝓅ℯ𝓇𝒸ℯ𝓋ℴ𝒾𝓇 𝓁𝒶 𝓁𝓊𝓃ℯ"

𝒮𝒾𝓁ℯ𝓃𝒸ℯ ℴ𝒷𝓁𝒾ℊ𝒶𝓉ℴ𝒾𝓇ℯ.

𝒮ℴ𝓊𝓈-𝓈ℴ𝓁𝓈 𝓈𝓉𝓇𝒾𝒸𝓉ℯ𝓂ℯ𝓃𝓉 𝒾𝓃𝓉ℯ𝓇𝒹𝒾𝓉𝓈.

Eh bien je vais essayer de m'élever, silencieusement (en utilisant les échelles) dans l'espoir d'apercevoir ne serait-ce qu'un peu de vérité. 

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant