Gardant mes excellentes habitudes alimentaires, je décidai de manquer une nouvelle fois le repas – cette fois du midi – afin de me rendre directement à l'administration sans perdre une minute et sans prendre le risque de croiser quelqu'un.
Le froid me saisit désagréablement et je plongeai mes mains déjà glacées dans mes poches, accélérant le pas. Le beau chemin que j'empruntais chaque jour se transforma progressivement en petit sentier et disparut finalement sous la neige. Mon regard, que j'avais gardé rivé sur le sol pour ne pas perdre mon chemin – mais il n'y avait plus de chemin – se leva vers le ciel, noir minuit.
Tout était exactement comme le premier jour. Les arbres déployaient leurs branches décharnées vers le ciel, couverts de neige blanche et éclairés par les lumières rougeoyantes des lampadaires. Lampadaires qui étaient désormais les seuls indicateurs du chemin menant au bâtiment de l'accueil, le paysage environnant étant enveloppé d'une espèce de brume neigeuse qui m'empêchait de voir quoi que ce soit au-delà de dix mètres.
J'arrivai enfin à une imposante construction toute en longueur, à l'architecture aussi magnifique que celle de l'école. Je m'arrêtai devant, tendant l'oreille. On pouvait deviner le son de l'eau agitée du lac, derrière les arbres qui entouraient le bâtiment. J'étais si proche de la rive, si proche de la sortie.
Je distinguai quelques marches menant à une très belle porte noire, au heurtoir d'or. J'imaginais déjà le bruit sourd et solennel du métal résonner dans le bois de la porte.
Soudain, une longue silhouette sombre se déplaça de devant l'entrée. D'abord menaçante de par son apparence filiforme et son apparition brusque qui avait failli m'arracher un reflexe télékinésiste malheureux, je reconnus le vieux géant en costume qui nous avait donné nos bagages lors de notre arrivée. Il se tenait figé, là, devant la porte, sans un mot.
Je montai quelques marches et, m'éclaircissant la gorge, je fis avec le ton hautain de Kafée :
— Je viens demander des renseignements administratifs.
Le géant hocha mécaniquement la tête et son corps se mut de nouveau, cette fois pour entrer dans le bâtiment.
Quand il fut derrière son bureau, je lui demandai comment se passaient l'inscription et la « désinscription ». Toujours silencieux, il me tendit quelques papiers, qu'il sortit un à un, de multiples casiers, prenant une éternité à ouvrir et fermer chaque tiroir, recommençant tant qu'il n'était pas satisfait du petit claquement de fermeture.
Je n'eus pas le courage d'essayer d'obtenir davantage de précisions sur la désinscription, espérant trouver les détails et clauses manquants dans les papiers d'inscription.
***
Je vérifiai une dernière fois. Le lit, l'armoire, le lavabo, ma valise. Tout était prêt. L'heure du dîner approchait, moment d'agitation dont j'allais profiter pour sortir du bâtiment et m'éclipser au ponton.
Le contrat de scolarité indiquait qu'il fallait déposer un préavis d'un mois minimum, temps dont je ne disposais pas. J'avais rassemblé la quasi-totalité de l'espèce qu'il me restait dans une enveloppe pour les frais de résiliation, que j'avais posée sur la commode, à côté d'un mot d'excuse selon lequel j'étais obligée de partir précipitamment car un décès dans ma famille me privait de toute ressource pour payer les frais de scolarité.
Il neigeait dehors. La capuche de mon manteau rabattue sur la tête, je courus discrètement jusqu'au ponton, sans croiser âme qui vive. Derrière quelques arbres, je trouvai une barque en bois percée. Cela ferait l'affaire, j'allais utiliser l'Aérokinésie pour empêcher l'eau de pénétrer dans l'embarcation. Quand on retrouvera la barque, de l'autre côté du lac, ils ne sauront pas que le trou était là avant la traversée. Voyager par les airs aurait été plus simple et rapide, mais il ne fallait laisser aucun doute sur le fait que j'étais bien une lunn rouge, au sang dilué et sans grandes capacités, qui avait dû partir à la hâte.
Après une bonne heure à traverser le lac dont les courants étaient décidément étrangement puissants, je parvins enfin au village. Les rues escarpées étaient vides et sous les toits pointus, les volets des petites maisons à colombages empilées les unes sur les autres étaient clos. Le silence le plus complet régnait sur Månegrend, uniquement perturbé par le tranquille grésillement des lampadaires jaunes. Les habitants dormaient et cela était tout à fait justifié par l'heure tardive.
Or, il fallait que je dorme.
Ayant fait le tour du village assez rapidement, je me résignai à dormir à l'extérieur. Pour une fois, la nuit éternelle ne serait pas problématique, puisque personne ne pourrait me découvrir au lever d'un jour qui n'existait pas dans ce pays.
Je sortis du village et finis par trouver, à moins d'un kilomètre des dernières habitations, le lieu parfait. Féérique.
Sur une bute s'élevait un vieux chêne noueux au large tronc, dont les branches étaient recouvertes de gigantesques boules de gui, tellement nombreuses que l'on avait l'impression qu'il avait encore ses feuilles.
Je posai ma main son l'écorce rugueuse et froide et commençai à grimper.
La lune brillait et semblait si grande dans le ciel que j'avais l'impression de pouvoir l'attraper depuis mon perchoir. Sa lumière jaune caressait les nuages alentour, transformant les flocons de neige en poussières d'or glacées qui tournoyaient autour de moi en une danse hypnotisante.
Blottie à l'intérieur d'une boule de gui, je m'attachai à la branche avec ma ceinture et m'emmitouflai dans un plaid. Je jetai un regard à ma montre, mon objet le plus précieux après ma couverture : la nuit serait courte. Fort heureusement, je pouvais me passer de réveil, car à défaut d'avoir un bon sens de l'orientation, j'avais une bonne horloge interne. Je tentais tout en frissonnant de me réchauffer tant bien que mal avec de l'Electrokinésie et petit à petit, mon lit improvisé se dégela.
Mes paupières s'alourdirent et le sommeil me gagnait.
Je dois rencontrer Perseus.
🌙
[Petit rappel (ça commence à faire loin !) de qui est Perseus : dans le chapitre « XXXX. Une Intruse Trop Curieuse », une femme pénètre dans la cabine de Selena pendant la nuit. Elle sait que Selena est le Phénix et vient de la part du fameux Perseus. Velika (Pyrokinésiste) s'avère être venue avec ses deux frères, Anton et Gareth (Cryokinésie), dans le but de capturer Selena et d'éliminer Nikolas, leur cousin. Alors qu'ils deviennent menaçants, Nikolas et Selena parviennent à s'échapper par la fenêtre.]
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Selena - Les Lunes Jumelles
ParanormalUne jeune orpheline aux pouvoirs uniques fuit des assassins avec un mystérieux jeune homme. ☽ Quand passion et pouvoir riment, rien, pas même une prophétie, ne peut plus définir l'avenir. ...