Chapitre 13

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Lina

Notre jeune femme anonyme est arrivée au refuge pour femmes il y a deux jours. Etant en convalescence, et son état ne nécessitant plus de soin journalier, l'hôpital ne pouvait plus la garder. Aussi, du fait qu'elle reste muette, nous ne connaissons toujours pas son identité. Le seul endroit approprié reste donc le centre.

Je continue de venir la voir afin de garder le contact. Son mutisme n'est pas celui d'une personne en état de choc. Elle l'a été. Mais plus maintenant. Je soupçonne qu'elle protège son bourreau. Elle ne veut pas qu'on découvre qui il est. J'ai du mal à comprendre ce comportement. Pourquoi épargner quelqu'un qui a failli vous tuer ?

Je dois percer sa carapace. Cet homme ne peut pas rester impuni et elle ne peut plus le rejoindre. La prochaine fois, il va la tuer, c'est sûr. Ce constat me fait froid dans le dos. Mon passé a tendance à se superposer de plus en plus à mon quotidien.

L'épisode de violence au tribunal m'a ébranlée plus que je ne le pensais. Les deux nuits qui ont suivi ont été ponctuées de cauchemars. Je me retrouvais dans mon appartement d'étudiante. Mon ex rentrait ivre et me frappait. Au fur et à mesure que les coups tombaient, son visage se superposait avec celui de Ruben. Puis je me réveillais en sursaut, le cœur battant à mille à l'heure, le dos trempé de sueur et les mains tremblantes.

Je n'ai pas mis les pieds au commissariat depuis. Je ne voulais pas le croiser. Je sais que c'est inévitable. Mais c'est trop tôt.

Avec l'aide de Samia et Seth, j'ai pris conscience que je ne devais pas m'attarder sur cet évènement et continuer d'avancer. Ils ont raison. Je ne dois pas me laisser abattre. Des femmes ont besoin de moi. Si je ne me montre pas forte, comment pourrais-je donner l'exemple ?

Je suis dans le petit salon du refuge en train de classer les documents. J'aime me retrouver dans cette pièce. L'ambiance y est cosy et j'y ressens un apaisement et de la plénitude. La pièce a été peinte récemment en gris perle et rose poudré. Des photos de paysages en noir et blanc ont été accrochées au mur. Un grand divan et deux fauteuils assortis sont disposés au milieu de la pièce. Notre inconnue y est tranquillement installée et lit un livre traitant de l'économie des marchés. Beurk. Moi je préfère les romances quand j'ai le temps de lire. Un peu d'évasion n'a jamais fait de mal à personne. Je suis un peu à l'écart, installée à la table devant la fenêtre. La vue n'a rien d'exceptionnel. On peut voir le building d'en face et la rue où se mélangent piétons et voitures.

Je suis toute à mon classement quand j'entends :

- Je sais ce que vous faites. Mais je ne dirai rien.

C'est la première fois que j'entends sa voix. Celle-ci est douce et mélodieuse. On dirait du miel. J'essaie de rester stoïque mais quand je perçois qu'elle communique enfin, j'ai du mal à ne pas rester bouche bée. Elle a l'air ravie de son petit effet parce qu'elle esquisse un sourire. Il n'est pas franc et massif, mais c'est un début.

Je la rejoins et m'installe dans le fauteuil face à elle.

- Je peux savoir pourquoi ? continué-je

Elle hésite un instant. Elle se frotte les mains sur le plaid qui la recouvre.

- Il a trop d'influence et porter plainte ne servira à rien.

- L'argent et l'influence ne peuvent pas toujours mettre à l'abri.

- Vous pensez vraiment ce que vous dites ? contre-t-elle les yeux dans les yeux

- Il y a quelques années, je pensais comme vous. Aujourd'hui, avec l'expérience de mon métier, l'argent et les relations ne peuvent rien contre des preuves accablantes. Je crois en la justice de mon pays.

Après coupsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant