Chapitre 4

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Ruben

Il est encore tôt. Et c'est mon dernier jour au Queens.

Avant d'aller terminer d'emballer mes affaires au poste, j'enfile ma tenue de sport et je pars rejoindre la salle en courant. J'ai promis aux gosses que je viendrai les entrainer aujourd'hui. Il ne me faut pas moins de 40 minutes pour rejoindre l'entrepôt. Je connais chaque recoin de cette vieille carcasse de métal. J'y ai passé plus de temps que dans mon foyer.

Quand je suis arrivé de Cuba à l'âge de 16 ans, j'étais trop vieux pour qu'une famille d'accueil veuille de moi. En même temps, qui aurait voulu d'un gamin fracassé comme moi. Je pétais les plombs au foyer. J'étais en colère contre la terre entière. Déscolarisé, je me foutais de tout et du monde. Un jour, mon éducateur en a eu marre. Alors il m'a emmené ici.

Aujourd'hui, l'entrepôt n'a pas vraiment changé. Toujours une odeur de cuir et de transpiration. L'atmosphère est restée identique même si l'équipement s'est un peu étoffé. Grâce aux donations de l'état, on a pu ajouter un ring et d'autres sacs. Des vestiaires et des douches ont aussi été installés. Le vieux Sam est toujours là. Malgré qu'il ne dispense plus de cours, il surveille ses ouailles de son œil avisé.

De mon côté, je me suis aussi élargi. Mon corps d'ado a laissé place à une musculature développée. Sans être massif, je suis solide et puissant. Mon mètre 89 n'a pas toujours été en ma faveur sur le ring. Mais comme je suis vif et observateur, j'ai su me démarquer.

- Salut gamin ! m'accueille Sam en me donnant l'accolade.

- Salut Sam. Comment tu vas aujourd'hui ?

- Ma vieille carcasse arrive encore à se déplacer. Me charrie-t-il. C'est bien que tu sois venu pour les gosses.

Je ne louperais ça pour rien au monde. Quand je suis ici, ma mission a du sens. Et puis j'essaie de rendre ce qu'on m'a offert par le passé : un sanctuaire où on n'est pas jugé, où on est libre d'être soi-même et une oreille à qui parler. Certains jeunes sont plus bavards que d'autres, parfois trop.

Ils viennent trouver ici un exutoire avant de retrouver leur vie, pas toujours facile.

- Je ne serai peut-être pas là la semaine prochaine. Informé-je Sam. Je suis muté dans un nouveau commissariat et je ne sais pas encore comment tout ça va s'organiser.

- Où est-ce qu'ils t'envoient ?

- Je commence lundi à Brooklyn en tant que lieutenant.

- Tu le mérites gamin.

Sam me félicite avec une bonne tape sur l'épaule.

- Ils sont arrivés ? reprends-je afin d'esquiver cette marque d'affection.

- Ils sont en train de se changer au vestiaire.

Je vais donc les attendre au pied du ring. Mes cinq lascars arrivent près de moi et ont l'air d'humeur joueuse.

- Salut les gars !

- Salut coach !

- Pour vous échauffer, vous allez commencer par me faire 5 tours de salle.

- Oh non Coach, fait chier de courir ! On veut boxer nous ! conteste l'un d'entre eux.

- Pas d'échauffement, pas de combat.

Les gars soufflent mais se plient de bonne grâce à l'échauffement. Depuis son fauteuil, Sam me lance un clin d'œil. Il le sait lui que j'étais bien pire à leur âge. Une fois l'échauffement terminé, je les prends en face en face chacun leur tour afin de leur apprendre les bons coups, les bonnes ripostes. Ensuite, nous enchainons avec des mini combats par tirage au sort. Les vainqueurs affrontent les vainqueurs, jusqu'à la finale. C'est ce qu'ils préfèrent et c'est là qu'ils lâchent tout. Nous terminons la séance par des étirements et je les envoie à la douche.

Avant de m'en aller, je vais saluer Sam.

- A la semaine prochaine gamin ! me répond-il avec son sourire édenté.

Et je repars en courant vers mon appartement.

Je suis en colocation avec mon pote Matthew. On s'est rencontré à l'école de Police puis nos carrières ont pris des chemins différents. Quand moi j'ai trouvé ma vocation et ai décidé de poursuivre, lui a choisi de devenir détective privé. Plus rentable il parait.

Je le trouve devant son ordinateur en train de consulter les photos de sa dernière filature.

- Ça s'est bien passé l'entrainement ? me demande-t-il.

- Nickel. Les gamins ont bien progressé.

Je bois une bouteille d'eau et file à la douche. Je vais être en retard pour mon dernier jour.

Quinze minutes plus tard, je suis prêt. Vêtu d'un jean élimé et d'un tee-shirt noir à manches courtes, j'enfile mes chaussures montantes. Pas de coiffure sophistiquée pour moi. Mes cheveux bruns rasés me font gagner un temps précieux.

- Tu nous rejoins ce soir ? lancé-je à Matthew avant de repartir.

- Oui, je te fais signe quand j'ai terminé et tu m'enverras le lieu du rendez-vous par SMS.

- Pas de soucis mec !

- J'espère au moins qu'il y'aura des nanas à ta soirée... reprend-il

- J'espère aussi... ça fait bien trop longtemps que j'ai pas ramené une jolie paire de fesses dans mon pieu !

Je claque la porte et descends les cinq étages à pied. Les ascenseurs c'est bien quand t'es coincé dedans avec une jolie nana. Sinon ça n'a pas le moindre intérêt. Une fois n'est pas coutume, je prends un taxi. Je ne serai pas en état de conduire ce soir de toute façon.

Les bouchons sont une calamité dans cette ville. Pas moins de trente minutes plus tard, je passe la porte du commissariat. Moi qui voulais gagner du temps, bien c'est râpé. Je vais me prendre une soufflante par le capitaine le dernier jour. Fais chier.

Le reste de la journée se passe sans encombre ou presque. Mes collègues ont gentiment repensé la décoration de mon bureau. Mon fauteuil, mon ordinateur, mon téléphone et d'autres objets divers et variés ont été emballés dans du film plastique alimentaire. Autant dire que ça m'a pris un certain temps avant de pouvoir être opérationnel.

Qui aime bien, châtie bien. Ils vont me manquer ces cons. En quatre ans, on a tissé des liens et une cohésion vraiment sympa. J'espère que mes futurs collègues seront dans le même état d'esprit. Je suis quelqu'un de plutôt taciturne et il faut se lever de bonne heure pour avoir une conversation constructive avec moi quand je ne connais pas. Je vais pourtant devoir faire des efforts de ce côté-là. J'ai pris du grade et il va falloir que je m'adapte.

Quand j'ai terminé de transmettre mes enquêtes en cours au capitaine, Jack vient me chercher directement dans le bureau.

- Bon alors, tu vas nous suivre sans faire d'histoire. Me balance-t-il avec son sourire de morveux.

- J'ai même pas le droit de savoir où vous m'emmenez. Tenté-je

- Même pas en rêve, mec !

- Est-ce qu'au moins l'un d'entre vous peut envoyer un message à Matthew pour lui dire où nous allons ? continué-je

- J'm'en occupe, me dit Jack en me poussant pour que j'avance vers la sortie.

- Vous venez avec nous Capitaine ?

- Non, j'suis trop vieux pour vos sauteries ! me répond-il en se marrant. Quoiqu'il en soit, profite bien de ta soirée et donne-toi à fond dans tes nouvelles fonctions. Je garde un œil sur toi.

- Vous allez me manquer Capitaine. Terminé-je en lui serrant la main.

Je monte dans la voiture de Jack avec deux autres collègues. Il est 21h et je ne suis plus maître de ma soirée...

Après coupsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant