Lina
La détonation me tétanise. Pourtant, mes larmes continuent de ruisseler sur mon visage. La source est intarissable. Mes yeux se sont fermés. Refusant d'affronter la dure réalité. Il m'est tout bonnement impossible de voir le corps de Ruben, sans vie. Je ne peux pas m'imaginer ne plus entendre le son de sa voix qui me fait frémir autant qu'elle me rassure. Ne plus me noyer dans le vert de ses yeux si expressifs, qui savent me parler sans faire de bruit.
Avant que le coup de feu ne retentisse, j'ai lu dans ses iris tous les non-dits. Je me suis sentie forte sous son regard. Il me soufflait de ne pas m'en faire, que tout irait pour le mieux. J'y voyais des promesses d'avenir pour nous deux. Une route que nous aurions empruntée tous les deux, main dans la main. Nous avons gardé le contact visuel jusqu'au bout, nous permettant de puiser la force l'un dans l'autre. Nous étions connectés au-delà des mots. Alors, me dire que tout est terminé, c'est clairement au-dessus de mes forces. Ce constat fait trembler mon corps. J'ai l'impression de convulser, toujours accrochée à mon fauteuil, tombée au sol.
Des pas se rapprochent de mon visage. Le Russe vient terminer le boulot et je suis la prochaine sur la liste. Il ne m'a pas promis la mort, bien que celle-ci soit plus enviable au sort qui m'attend. Sa main se pose sur mon épaule et j'ai un mouvement de recul. Tant que je serai en vie, je continuerai de me battre. Jamais je ne me soumettrai, en souvenir de Ruben.
- Lina. Calme-toi, me murmure une voix que j'ai déjà entendue.
L'accent n'est pas russe. Qui est arrivé dans la pièce ? C'est la voix de Matthew. Il est en train d'appeler les secours. Au ton de sa voix, j'en déduis que la situation est préoccupante.
Matthew. Je dois être en plein rêve. Peut-être même que je suis morte finalement. J'ouvre les yeux et la lumière m'arrache un grognement. Ma vue se fixe et je découvre Matthew à mes côtés. Il me frictionne les épaules pour me rassurer et essayer d'arrêter les tremblements.
De sa main libre, il arrache mon bâillon. J'ai l'impression que mes lèvres partent avec. Ça fait un mal de chien. Puis je fais entrer l'air par ma bouche. Celle-ci est sèche d'avoir été ainsi muselée. Une fois que ma respiration a retrouvé sa voie normale, je tourne ma tête dans tous les sens.
- Ruben ! hurlé-je la voix enrouée. Où est Ruben ?
Je suis en panique et Matthew a toutes les misères du monde à terminer de me détacher. Dès que je suis libre, je m'élance vers le corps du brun ténébreux qui est étendu sur la moquette de mon bureau. J'ai du mal à parcourir la courte distance tant mes jambes sont en coton. Je m'agenouille à ses côtés. La respiration de Ruben est faible et sifflante. Son sweat et son jean sont maculés de sang. Ses yeux sont clos. Son état n'augure rien de bon. J'ai peur de le toucher. Mais je ne peux pas l'abandonner.
- Reste avec moi Ruben, lui murmuré-je. Tu ne peux pas me souffler des promesses et t'en aller sans les tenir. Ce n'est pas digne de toi.
- Lina, m'appelle Matthew. Les secours sont en route. Continue de lui parler, je vais essayer de contenir l'hémorragie en attendant.
J'ai à peine le temps d'assimiler ce qu'il vient de dire qu'il se met en position pour effectuer un point de compression sur la cuisse de Ruben.
- Allez, mon pote. Reste avec nous ! l'encourage Matthew.
Le teint de Ruben est pâle et ses forces l'abandonnent petit à petit. Il a perdu beaucoup trop de sang. Pour tenter de le stimuler, je décide de caresser ses cheveux, puis son visage. Sa barbe de trois jours me griffe la paume de la main. J'aime cette sensation et ai peur de ne plus jamais la ressentir.
- Tu n'as pas le droit de me laisser, sangloté-je. J'ai encore tant de choses à te dire.
- Ne t'inquiète pas Lina, tente de me rassurer Matthew. Mon pote est un dur à cuir et il en a vu d'autres.
- Que Dieu t'entende... Comment as-tu su ?
- Ruben m'a transféré le dernier message anonyme qu'il avait reçu.
- Je n'comprends pas.
- Il a reçu plusieurs SMS anonymes aujourd'hui et il m'avait demandé de me rencarder pour savoir à qui appartenait le numéro.
- Et quel était le contenu de ces messages.
- Chacun d'entre eux montrait une photo de toi. Tantôt avec Ruben, tantôt avec ta copine. Le dernier cliché te montrait en train de monter les marches de ce bâtiment avec un message plus qu'alarmant. Quand Ruben m'a transféré ce dernier message, j'ai compris qu'il se passait quelque chose. Alors j'ai tout laissé en plan et je suis venu aussi vite que possible.
- Ce Povchek a piégé Ruben.
Quand je prononce le nom du Russe, mon sang ne fait qu'un tour. Mais où est-il ? Il s'est enfui ? Il va nous retrouver et terminer le travail ? Je suis en pleine panique et je ne cesse de regarder autour de moi.
- Calme-toi Lina. Je l'ai mis hors d'état de nuire.
Le dernier coup de feu. C'était Matthew. Je finis par découvrir le corps de ce pourri. Il a une balle logée entre les deux yeux. Ces derniers sont restés ouverts et la plaie est béante. Il a toujours son silencieux à la main. La vue de son corps sans vie me file la nausée et je porte une main à ma bouche pour étouffer un renvoi. Je reviens de loin.
- Merci Matthew, soufflé-je soulagée. Tu nous as sauvé la vie.
- Il en aurait fait autant pour moi. A la vie, à la mort.
Des voix s'élèvent au loin et s'approchent de mon bureau. Les secours et la cavalerie arrivent. Une vraie fourmilière se met en marche. On essaie de m'éloigner de Ruben et je grogne de contestation. Un infirmier prend la place de Matthew et un autre lui apporte les premiers soins.
- Ecartez-vous Mademoiselle, m'ordonne l'un d'entre eux. Laissez-nous le prendre en charge.
Je ne veux pas le laisser. J'aurais l'impression de l'abandonner alors que lui était prêt à donner sa vie pour moi. Matthew me prend par les épaules et m'attire à lui.
- Laisse-les faire leur travail, Lina. Nous allons l'accompagner à l'hôpital et nous resterons à ses côtés le temps qu'il se remette.
Je me lève difficilement puis trouve refuge dans l'étreinte amicale que me propose Matthew. Il referme ses bras autour de moi et je lâche les vannes. Je pleure toute la peur que j'ai refoulée au fond de moi. Je ne voulais pas que le Russe s'en serve contre Ruben. Matthew me caresse le dos. Je suis en train d'inonder son polo de mes larmes.
- Mle Meadows, m'interpelle un agent de police. Nous aurions quelques questions à vous poser.
- Pas maintenant, s'il vous plait.
- Pourtant, vous allez devoir nous suivre. Il s'agit d'une affaire de meurtre.
- Je sais ce dont il s'agit. Je répondrai à votre interrogatoire quand je serai sûre que Ruben est tiré d'affaire.
- Il est entre de bonnes mains maintenant. Je vous laisse prendre vos affaires et nous suivre.
- Je pense que vous ne m'avez pas comprise. Je suis substitut du procureur et je ne vais pas quitter l'état de New York. Alors vous allez me laisser accompagner cet homme sans faire d'histoire ou j'en informerai vos supérieurs. Est-ce clair ?
Je suis toutes griffes dehors. Il est hors de question que je laisse Ruben seul entre la vie et la mort. Je vois Matthew se marrer de la façon dont j'ai rembarré cet agent de police. Il s'en remettra le pauvre. Mais j'ai d'autres priorités pour le moment. Je prends mon manteau et mon sac et suis le brancard qui transporte Ruben.

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Après coups
RomanceSubstitut du procureur de New York, Lina Meadows se bat chaque jour pour défendre les femmes victimes de violences conjugales. Combattive et déterminée, elle tire sa motivation de son vécu. Aussi, elle préfère les histoires d'un soir à celle d'une v...