Pour que tout recommence

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Pdv Fabio 


Pour mon grand plaisir, le week-end s'était transformé en semaines. Nous ne nous quittons plus avec Javier et nous faisions pratiquement tout ensemble. Je me sens si bien avec lui, si libre, si léger. Il n'est jamais de mauvaise humeur, ne se soucie absolument pas du regard des gens et m'apprécie pour ce que je suis. 

Evidemment il n'y a aucune attache et je crois que c'est ce que je ne parvenais pas à faire avec... avec Marc. Cette relation a un autre point positif : elle m'aide à remiser le brun dans un coin de ma tête. Avec toutes ces sorties et ces évènements qui s'enchainent Tom me manque un peu mais nous nous appelons souvent et, de son côté, il est bien trop heureux avec Mathilde. J'espère seulement qu'elle ne le fera pas souffrir. Je crois que je serais incapable de le consoler. J'étais incapable de me consoler moi-même. 

- Tu finis pas ? 

Javier pointe sa fourchette vers mon poisson à peine entamé dans mon assiette et je tourne ma tête de droite à gauche en souriant bêtement. 

- Quoi ? J'ai faim moi ! 

S'il ne faisait pas autant de sport et s'il n'était pas naturellement aussi gâté par la nature, ce garçon serait obèse. J'explose de rire tandis qu'il vide le contenu de mon assiette dans la sienne déjà vide. Quelques secondes passent puis le calme revient et je me perds de nouveau dans mes pensées. 

- Bon qu'est ce qui se passe ? T'arrêtes jamais de cogiter ? 

Le truc avec Javier c'est qu'en effet, il n'est jamais de mauvaise humeur, jamais. La contrepartie consistait simplement à ne jamais l'être non plus. Il me poussait à me détendre, à aller mieux, à me laisser aller, mais ce n'était juste... pas naturel. 

- Tout va bien. 

- Non tout ne va pas bien et c'est ok, d'accord ? Tu peux me parler quand tu veux tu sais ? 

- Même si ça ruine le mood, dis-je plus amère que prévu. Désolé, je voulais pas... 

Il pose tout à coup sa main sur ma cuisse sous la table et la presse gentiment. Il plonge ses yeux dans les miens et je me sens instantanément apaisé. Comment pouvait-il être si gentil ? Je pouvais dire sans trop me tromper que j'avais rencontré peu de personnes comme Javier dans ma vie. 

- Ecoute Fabio, ce qu'on vit là, c'est vraiment chouette. En tout cas moi je m'éclate et j'ai l'impression que toi aussi. Je sais que tu as la pression à cause du championnat mais je sens qu'il n'y a pas que ça. Je veux juste que tu saches que tu peux me parler si tu en as envie. De n'importe quoi. 

Je le regarde avec tendresse et hésite un instant. Si je lui parle de Marc, ou même de mon ex, sans évoquer son prénom, tout sera terminé. Cette petite bulle que j'ai réussi à me créer avec lui éclatera et je ne veux pas que ça arrive. 

- Je donne pas de trop mauvais conseils en général, ajoute-t-il avec un clin d'oeil avant d'enfourner une énorme fourchette de courgettes dans sa bouche. 

Je n'ai pas la force de lui dire quoi que ce soit et je le trouve tellement adorable que je ne peux m'empêcher de me pencher légèrement pour venir déposer un baiser rapide sur ses lèvres. Il rie un peu et manque de s'étouffer puis me regarde avec intensité. 

- T'es vraiment pas comme tout le monde toi. 

Je ne sais pas exactement comment je dois le prendre mais je décide de continuer à sourire. Oui, il me fait du bien. Mais il ne sera pas toujours là. Il ne sera pas là lorsque je devrai affronter les deux yeux noirs de Marc derrière sa visière ou encore ses accolades amicales insupportables. C'est comme si j'étais devenu un inconnu à ses yeux, ou alors, comme s'il avait tout effacé. C'est le plus infernal dans tout ça. 

Cette nuit-là, blotti dans les bras puissants de Javier, les yeux grand ouverts dans le noir, une boule énorme se forme dans mon ventre. Parce que je sais que c'est le dernier week-end avant ce GP des Amériques où je suis certain qu'il va gagner et que je n'ai aucune envie de monter sur le podium, pour la simple et bonne raison que je ne veux plus avoir à faire semblant. Alors que je tente de changer de position pour aller me servir un verre d'eau à la cuisine, Javier se tourne vers moi et resserre son étreinte autour de mon corps. Je reste paralysé pendant un instant puis décide de me blottir au creux de son cou, avant d'enfin trouver le sommeil. 


Parce qu'on échappe jamais à la conférence de presse du jeudi je suis là, assis au milieu, en tant que leader du championnat. Je réponds aux questions automatiquement et tente de ne pas trop penser à la présence de Marc juste derrière moi. Cette coupure a été si longue que j'avais presque réussi à oublier ce que sa simple présence pouvait provoquer chez moi. Cela n'avait vraiment rien à voir avec ce que Javier avait pu me faire ressentir ces dernières semaines. 

Alors que j'enlève mon micro pour quitter la pièce, je sens une main effleurer mon bras. Pourquoi son simple regard suffisait encore à me mettre dans cet état ? 

- Alors... euh... prêt pour la course ? 

Je hoche rapidement la tête avec un léger sourire. Le voir si maladroit m'avait manqué. Cela me rappelait nos débuts. Lorsque j'avais remis mes vêtements après que la casserole ait pris feu... 

- Sinon j'ai vu que t'avais passé du bon temps pendant la pause.

Marc ne parvient même plus à me regarder dans les yeux et fixe à présent le sol comme la chose la plus intéressante du monde. Il sourie mais c'est un faux sourire, je le reconnais. Je me sens affreusement mal tout à coup. J'imagine mon état si je l'avais vu en compagnie de quelqu'un d'autre. Il savait. Il avait compris pour Javier et moi... 

- Euh... ouais c'était chouette j'ai pu faire plein de choses différentes. 

Il choisit cet instant pour lever de nouveau les yeux vers moi et c'est comme si la terre s'arrêtait de tourner. Il ne sourie plus du tout et pendant un instant je ne sais pas s'il va me tuer dans la seconde et s'il va se mettre à pleurer. Le noeud qui se forme dans mon estomac me donne envie de vomir et au moment où je suis prêt à me jeter à ses pieds, l'image de Lucia sur ses genoux me revient. Il mérite de connaitre la même souffrance que moi. 

Javier et moi avions convenu à la fin du week-end que nous avions passé de bons moments et qu'il faudrait qu'on se refasse ça un de ces jours. On s'était quitté en bons amis et ça m'allait très bien. Je ne voulais rien de sérieux et lui non plus. Il avait été là pour moi au bon moment, au moment où j'en avais eu le plus besoin mais ça s'arrêtait en même temps que cette coupure et cela avait été beaucoup moins douloureux que prévu. À partir du moment où j'ai retrouvé Tom quand je suis passé le chercher avec le taxi qui nous emmenait jusqu'à l'aéroport, j'ai pris tous les bons moments que j'avais passé avec Javier et les ai rangé dans un coin de ma tête, au cas où un jour j'aurais envie ou besoin de me les remémorer. 

Évidemment, ce n'est pas ce que je réponds à Marc, qui commence à se dandiner frénétiquement devant moi. 

- On s'est vraiment éclaté et je me sens trop en forme. J'ai hâte qu'on se retrouve sur la piste Marquez ! 

Je lui donne une petite tape sur le bras, semblable à celles qu'il a l'habitude de me donner et passe devant lui pour m'en aller, honteux de ce que je viens de faire. Ce n'est pas moi, ça ne me ressemble pas. Au fond de moi, je sais que je n'ai pas vraiment envie qu'il souffre. J'ai envie qu'il me prenne dans ses bras, qu'on se parle enfin honnêtement, qu'on fasse la paix, qu'il me fasse l'amour... 

J'avais aussi envie de m'amuser autant qu'avant sur la piste à ses côtés et je regrettais nos debriefs sur nos petites bagarres, sur nos dépassements, le soir, sur l'oreiller. Et merde, ça recommence. Je ressasse encore les mêmes pensées, encore et toujours les mêmes sentiments, les mêmes regrets. Il me suffit de le revoir une fois et tout recommence. 

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