Rivals

Vilain défaut

 Pdv Fabio 

- Non je m'en fous, vraiment. Qu'il aille manipuler quelqu'un d'autre. De toute façon il m'a avoué lui-même qu'il... et puis qu'est-ce que j'en sais ? Il a pu mentir sur ça aussi... 

- Ouais t'as raison, peu importe, c'est juste un mannequin hyper canon, qu'est-ce qui pourrait mal se passer ? 

Tom plisse les yeux et part en rigolant. Je n'en suis pas encore là. La souffrance est toujours là mais je parviens à la contenir suffisamment pour ne pas passer mon temps libre à pleurer. Cependant je n'arrive pas encore à en rire comme Tom le fait souvent. La seconde course sur le circuit d'Autriche était passée et Marc avait de nouveau gagné, prenant par la même occasion la tête du championnat. Dans le même temps il s'était de nouveau rapproché de Lucia, qui venait aux courses et l'encourager pendant les essais. Il semblait inarrêtable à présent, comme si plus rien ne comptait à part la victoire, comme avant. Il me serrait la main dans le parc fermé, m'arrosait de champagne avec le sourire et les journalistes nous laissaient tranquilles, selon ce qu'avaient réussi à négocier Eric et Emilio. Le père de Marc faisant partie de la Dorna, tout était plus simple. Je pense que le concerné n'était pas au courant de tous les arrangements qu'ils avaient dû passer et des pots de vin qu'ils avaient dû verser mais peu importe, au moins nous avions la paix et lui pouvait vivre sa vie sans encombre avec sa Pom-pom girl. 

Ce matin je décide d'aller courir près du circuit de Silverstone, dans la petite forêt qui se trouve à côté. Je n'ai rien dit à Tom parce que je souhaitais être seul mais aussi parce qu'il ne parvient jamais à me suivre. Après les vingts premières minutes, mes écouteurs sans fil font un son étrange, comme s'ils étaient déchargés, ce qui me force à m'arrêter un instant. Lorsque je les retire, j'ai l'impression d'entendre une voix. Une voix que je connais bien. Le cerveau pouvait offrir de merveilleuses possibilités quand on y pensait. Maintenant j'entendais la voix de Marc en faisant mon footing. 

Sauf que la voix féminine que j'entends juste après me convainc qu'il ne s'agit pas du tout d'un tour de mon imagination. Je sais que je devrais continuer ma route et ne pas m'en soucier mais j'en suis incapable. Je me dissimule derrière un arbre quand je les vois arriver, l'un à côté de l'autre. Combien y avait-il de chances pour qu'ils viennent se promener dans cette forêt ensemble au même moment que moi ? Je me rapproche discrètement, d'arbre en arbre, pour pouvoir entendre ce qu'ils se disent. 

- Et sinon, ces photos qu'on a vu dans les journaux, c'était quoi ? Tout le monde dit que...

- Oui et bien il ne faut pas croire ce que tout le monde dit. 

Le ton de Marc est froid, sec et ne laisse pas de place au doute. Il ne veut pas en parler. Il me répondait de la même manière quand je lui demandais pourquoi il avait une si basse estime de lui-même...

- Oh ne t'énerves pas je t'en prie, dit-elle avec un ton mielleux insupportable. Je veux juste savoir ce qu'il s'est passé parce que franchement, vous avez pas l'air si proches alors je me demande pourquoi tu es parti en vacances avec lui. 

Mon coeur manque un battement lorsque je le vois se passer la main dans les cheveux et se gratter l'arrière du crâne. Ce tic nerveux me fascinait autant qu'il m'agaçait parce que je ne pouvais jamais savoir ce qui se passait à l'intérieur de ce cerveau tordu. 

- En fait, on était amis. On était même très amis. Et puis j'ai... merdé et aujourd'hui c'est terminé. 

Il a l'air de dire ça comme si ce n'était pas de son fait, comme s'il n'avait pas "merdé" intentionnellement. Était-il seulement capable de dire la vérité ? 

- Qu'est-ce que tu as fait ? 

La voix de Lucia s'était calmée et elle semblait avoir compris comment l'amadouer, comment l'amener à se confier sans qu'il ne se braque. 

- J'ai dit des choses horribles, des choses que je n'aurais jamais dû dire, même pour les raisons qui m'ont poussé à le faire. J'aurais dû... Enfin bref, aujourd'hui c'est du passé et nous évoluons chacun de notre côté, pour notre bien. 

- Si je peux me permettre, je pense que c'est plus pour son bien que pour le tien. 

À cet instant j'ai envie de lui jeter un tronc d'arbre en plein visage. Comment se permettait-elle de donner son avis alors qu'elle ne connaissait même pas la véritable histoire ? Il s'arrête et la regarde avec des yeux interrogateurs. 

- Je veux dire, oui, tu gagnes des courses et tu es premier et tout le tralala mais pour t'avoir côtoyé pendant un petit bout de temps, je peux dire que ne t'ai jamais vu aussi malheureux. Alors tu devrais... 

Elle pose une main sur sa joue et se rapproche dangereusement de son visage. 

- ... te détendre et profiter, parce que lui c'est ce qu'il fait.

Lorsque ses lèvres sont à deux doigts d'atteindre leur destination, je trébuche et fais craquer les brindilles sous mes pieds. J'ai le temps de me cacher de nouveau derrière l'arbre avant que l'un des deux ne lève les yeux. 

- Tu as entendu ? 

Après un court silence et un petit rire moqueur de la part de Lucia, je me penche de nouveau et les vois s'éloigner, elle accrochée au bras de Marc comme si c'était sa chose et lui regardant autour de lui, cherchant probablement la source du bruit qu'il avait entendu. 

Je n'arrive pas à croire que je les ai vraiment espionné de cette manière et que j'ai failli me faire prendre. J'aurais bien ri tout seul si je n'avais pas également envie de pleurer. Pourquoi fallait-il que je l'entende dire des choses pareilles avant la course ? Se pouvait-il qu'il y ait une once de vérité dans ses paroles ?

On dit que lorsqu'une lueur d'espoir naît ou demeure dans l'âme, qu'elle soit volontaire ou non, consciente ou non, il est impossible de l'éteindre par la raison. Je pouvais affirmer, à mon plus grand malheur, que c'était véridique. Je pensais avoir réussi à aller de l'avant, à me reconcentrer sur l'essentiel mais à présent, allongé sur mon lit, je me souviens de l'expression sur son visage lorsqu'il est entré dans ma chambre d'hôpital. Je me souviens des larmes dans ses yeux et de sa tête reposant sur mes jambes. Je me souviens de son regard lorsqu'il a parcouru mon corps avant de se déshabiller ce soir-là dans ma loge, de sa bouche sur ma peau. Je me souviens de son expression si particulière lorsqu'il me regardait m'acharner sur ma planche de Paddle et de ses mots lorsque nous regardions les feux d'artifices. Et s'il n'avait pas menti ? S'il était réellement... 

Je saute dans mes vêtements sans réfléchir, descend les escaliers de mon camion en trombe et cours comme un fou dans les allées pour trouver le sien. Je suis conscient que demain c'est le premier jour des essais et que cela va complètement changer notre état d'esprit pour la course mais à ce moment précis, ma conscience est en mode veille. Je ne sais pas exactement ce que je vais lui dire mais je sais que tout ira mieux lorsque je serai de nouveau dans ses bras. Une part de moi à toujours peur de se tromper et de se faire encore des idées mais une bien plus grande part a besoin d'y croire. Il pouvait être sombre, il pouvait être secret mais il n'avait pas pu faire semblant tout le temps, pas aussi longtemps, pas à chaque seconde. Je ne pouvais pas si mal le connaitre. Arrivé en bas des marches de son camion, j'hésite encore un instant, puis fonce dans les escaliers. 

Le rideau est fermé mais je peux voir que la lumière est encore allumé alors je fais la plus grosse erreur que je pouvais faire : j'entre sans frapper. 

Je tombe immédiatement sur le corps somptueux de Lucia à moitié nue, se déhanchant sur les genoux de Marc. Il décolle immédiatement son visage de la brune et je manque de rejeter mon diner sur le sol. 

- Fabio ? 

Je fais quelques pas en arrière, m'entrave dans le tapis de sol puis pars en courant. Je l'entend hurler mon nom dans mon dos mais rien ne peux m'arrêter. Je n'arrive pas à chasser cette image de mon esprit. Un "je t'avais prévenu" émane de la toute petite part de moi qui avait peur il y a encore quelques minutes et cette petite part finit par envahir tout le reste. La douleur était loin d'être sourde, elle était retentissante.