Mauvais rêve

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Pdv Fabio 


- Mon fils... 

- Maman ? Mais qu'est ce que tu fais là ? 

Le brancard passe devant mes yeux et je tends ma main vers celle qui dépasse du drap blanc, sans parvenir à l'atteindre. 

- Attendez ! Qui est-ce maman ? Pourquoi personne ne veut me répondre ? 

Des bras me tirent en arrière et je ne peux rien faire pour me défaire de leur emprise. Je me retrouve derrière une vitre et je vois le corps de Marc étendu là, prêt à être ouvert par un vieil homme. Emilio se tient à côté de lui et secoue la tête de droite à gauche, comme s'il pouvait me voir. Je baisse les yeux vers mes mains et remarque l'alliance à mon annulaire gauche. 

- Je suis son mari. Vous devez me laisser le voir. 

Je pleure mais personne ne semble s'en soucier. Je hurle et une femme qui ressemble à Lucia m'attrape par les épaules. 

- Tout ça n'était qu'un mensonge. Maintenant enlève ça et va-t-en, tu as un championnat à gagner. 

Elle me retire l'anneau du doigt et je me retrouve sur ma moto, moteur allumé. La moto qui se tient à côté de la mienne sur la grille est vide et je reste sur place pendant que tous les autres pilotes me dépassent. 

- Alors qu'est-ce que ça vous fait d'être débarrassé de votre plus grand rival ? 

Un million de micros m'entourent à présent et je me sens sombrer, incapable de reprendre ma respiration


Je me réveille en sueur, seul, au milieu de l'obscurité de ma chambre d'hôtel. Marc avait pensé que ce serait mieux si nous finissions le championnat sans nous voir le soir dans nos loges. Je passe ma main dans mes cheveux et prends une grande inspiration. Je faisais souvent des cauchemars, mais j'en faisais deux fois plus depuis que j'étais avec Marc. J'étais en passe de devenir champion du monde à deux courses de la fin de la saison, avec seulement cinq petits points d'avance. Mais j'allais aussi devoir affronter le regard des gens lorsque nous révélerions à la presse que nous sommes ensemble. 

Le lendemain, avant que nous prenions la route vers le prochain circuit, je décide de faire une surprise à Marc en lui rendant visite dans sa loge. Lorsque j'entre, je le trouve encore endormi, complètement nu dans son lit. Je le regarde un instant puis me mords la lèvre en regardant mon annulaire. Je finis par secouer la tête en riant et me glisse sous le drap qui recouvre le bas de son corps. Je passe mes doigts dans ses cheveux mais cela n'a aucun effet alors je décide de lui préparer son petit déjeuner. Au moment où je retire la poêle remplie d'œufs brouillés de la plaque électrique, je tombe nez à nez avec Emilio, qui se tient sur le pas de la porte. Nous nous regardons un instant gênés puis je finis par l'inviter à s'asseoir d'un regard. 

- Tu veux boire quelque chose ? Marc dort encore. 

Tout à coup, il lève des yeux de pitié vers moi et j'arrête de me tortiller dans tous les sens pour cacher mon malaise. 

- Qu'est-ce que c'est pour toi tout ça ? C'est un jeu c'est ça ? 

J'ouvre la bouche pour lui répondre mais je prends d'abord le temps de vérifier si j'ai bien compris sa question. 

- Mais qu'est-ce que tu crois ? Tu crois que je ne sais pas que ça compromet notre objectivité, celle qu'on doit avoir lorsqu'on monte sur la moto ? 

- Alors qu'est-ce que tu fous là ? Si tu l'aimes vraiment, même si j'en doute, alors fais le bon choix. Laisse-le continuer à être le meilleur tant qu'il le peut et laisse-toi la chance de devenir champion sans te demander s'il t'as laissé gagner. Il y a trop de choses en jeu pour construire une vraie relation et il le sait. C'est pour ça qu'il ne révèlera jamais rien à personne, ne te fais pas de fausses idées. 

Ses yeux sont grand ouverts, plongés dans les miens, afin que je puisse vérifier qu'il pense chacun de ses mots. Je déglutis difficilement et lance un regard vers le lit. Tout se mélange dans ma tête et j'ai du mal à faire le tri. Rompre n'était pas la solution. Nous avions déjà essayé et cela n'avait réussi à aucun de nous. Pourtant, Emilio avait raison dans sa manière de présenter les choses. L'un de nous devait faire un choix, l'amour ou la carrière, sachant que chaque choix éliminera définitivement le deuxième. Je secoue la tête et me reprend. 

- Si. Il le fera. Il me l'a promis. On le fera ensemble. On peut avoir les deux, on sait faire la différence entre la piste et la vie privée. 

- Oui. Jusqu'à la prochaine dispute et jusqu'à la prochaine chute. 

L'image de la main de Marc dépassant du drap blanc me revient en pleine face et j'ai la nausée même si je n'ai encore rien avalé. Emilio se lève et me lance avant de passer la porte : 

- Fais le bon choix Fabio. 

Je le regarde avec mépris et me lève à mon tour pour claquer la porte derrière lui. Je colle mon front contre celle-ci  avant d'entendre Marc bailler dans mon dos et de sentir ses bras m'entourer la taille. 

- C'était qui ? 

Je soupire doucement avant de me retourner vers lui en me forçant à sourire. 

- Des témoins de Jéhovah. 

Il rigole doucement de sa voix rauque du matin et je l'enlace. Après quelques instants, alors que son visage est fourré au creux de mon cou, il me murmure : 

- Tout va bien ? 

Il y a vingt minutes, j'aurais pu lui répondre honnêtement que oui, que je m'étais rarement senti aussi heureux. Maintenant, j'étais obligé de lui mentir ou de garder le silence, ce que je fis. Toutefois, Marc est une personne qui ne lâche pas facilement l'affaire alors je décide de le serrer plus fort dans mes bras en guise de réponse. 

- Qu'est-ce qu'il y a ? 

- Tu... tu m'as manqué, c'est tout. 

Je le sens sourire dans mon cou avant de me souffler un "moi aussi". Mon coeur se serre tellement au fond de ma poitrine que j'ai l'impression de faire une crise de panique et je le serre encore davantage contre moi. Je sens son odeur, la douceur de ses boucles sur ma joue, ses mains croisées au creux de mon dos et ses lèvres sur mon épaule. Je sais à ce moment que la vie  n'aurait plus de sens pour moi si je le perdais. 

Mais je sais aussi que la moto est tout ce que j'ai toujours aimé, celle pour qui j'ai fais tous les sacrifices imaginables, celle pour qui je met ma vie en jeu pratiquement chaque weekend. Et même si je sais que je serais capable de faire toutes ces choses pour Marc, je sais aussi au fond de moi que je ne peux ni me le permettre, ni lui demander de faire pareil. 

Lorsque je pense à nous, une image très claire me vient à l'esprit. Nous sommes plus vieux et nous nous tenons au sommet d'une montagne. Nous nous tenons la main pendant que nous respirons à pleins poumons l'oxygène d'altitude. Il me regarde, je fais de même, et avec un simple regard nous nous comprenons. L'image est naïve mais elle me plait tellement. Je sens une larme couler sur mon avant-bras et me concentre pour afficher un visage normal en me détachant de Marc. Évidemment, je n'y parviens pas et il me regarde avec inquiétude. 

- Aller, dis-moi ce qui ne va pas maintenant. 

Je baisse les yeux vers ses doigts qui enlacent les miens et ravale mes larmes au fond de ma gorge. 

- Je t'aime. 

Il fronce les sourcils avant de se laisser envahir par sa propre joie. Il m'offre un immense sourire avant de m'embrasser tendrement. Ces mots n'ont jamais résonné aussi véritables dans mon esprit. 




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