Désillusion

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Aurelius s'effondre petit à petit au sol. Il essaie de marmonner quelques mots, peut être des injures à mon égard, mais il n'y arrive pas car du sang commence à jaillir de sa bouche. Il me regarde avec ses yeux exorbités. A travers son regard, je vois qu'il me hait, qu'il veut se venger, me faire payer. Rassemblant les dernières forces qui lui restent, il tente de se redresser et de me sauter dessus. Sur moi, il essaie de m'étrangler. Même si l'homme est très faible physiquement, son mental le gardera en vie jusqu'à ce qu'il se soit vengé. Alors pour me défendre, j'agrippe la seringue plantée dans son cœur et l'enfonce encore plus. Aurelius crie de douleur, tout son corps se raidit. Son sang me coule dessus, mon visage en est couvert. Répugnée, je le pousse alors de toutes mes forces sur le côté. Il tombe alors du lit, s'étale au sol. Après quelques minutes, quand il ne se relève pas, je comprends qu'il est mort : je viens de le tuer... Je me relève du lit pour aller voir l'état de ma victime. Je tombe alors sur mon reflet dans le miroir qui m'apparaît alors comme une vision d'horreur. Je me vois couverte de sang, d'un sang qui n'est pas le mien mais celui de l'homme que je viens de tuer. Je me regarde droit dans les yeux et me dis alors :

« Je suis une meurtrière. »

Je m'effondre alors au sol en criant et pleurant, effrayée par ma propre personne. Qui suis-je ? Ou plutôt que suis-je devenue ? Je ne me reconnais plus.

« Violet, dit alors une petite voix tremblante à la porte. »

Je tourne la tête et voit Mags. Depuis combien de temps est-elle ici ? A t-elle vu ce qui s'est passé ? Que doit-elle penser en me voyant couchée au sol en pleurs couverte de sang ? A vrai dire, il est facile de comprendre ce qu'il s'est passé grâce au cadavre d'Aurelius gisant au sol. Elle s'avance vers moi, s'agenouille et pose sa main sur ma joue.

« Qu'est ce qu'il m'arrive ?, dis-je en sanglotant »

Elle hausse les épaules et me fait un sourire comme si elle compatissait. Elle ne sait pas non plus ce qu'il m'arrive mais je sais qu'elle sera là pour me soutenir. Nous restons quelques minutes au sol où elle me souffle des mots réconfortants à l'oreille. Une fois un peu calmée, nous décidons de tout nettoyer. Je pars alors à la salle de bain pour me laver. Je reviens ensuite à la chambre avec plusieurs chiffons et serviettes pour tenter d'enlever les tâches de sang incrustées au parquet, mais si c'est presque mission impossible. J'essaie de frotter le plus fort possible car l'idée que ma chambre soit marquée pour l'éternité de cet terrible événement me déplaît. Quant à Mags, qui ne peut pas vraiment se plier en quatre au sol, elle fouille dans les affaires du mort, tout en chantonnant. Mais d'un coup, elle s'arrête de chanter. Surprise je la regarde. Elle tient dans ses mains la seringue, l'arme du crime. Avec son doigt, elle essaie de gratter le sang maintenant séché afin de voir l'étiquette. Son expression se fige quand elle y parvient. Qu'à t-elle lu ? Que contenait cette seringue ? Pour en avoir le cœur net, je m'approche d'elle et attrape l'objet.

« Voraline, lis-je. »

Qu'est ce que la voraline ? Je n'en ai aucune idée, mais ce nom semble terrifiée Mags. Cette dernière m'attrape les deux mains et m'invite à m'assoir sur mon lit. Elle me regarde pendant longtemps. En réalité elle observe surtout mon bras. Elle se masse ensuite le front comme si tout devenait plus logique mais qu'elle était embarrassée de cette situation.

« C'est quoi la voraline ?, demandé-je agacée de rester dans ce silence. »

Mags prend du temps à répondre. A vrai dire, depuis quelques années, elle s'exprime de moins en moins et surtout de moins en moins bien.

« De la drogue. Autrefois très consommée au Capitole, elle permet d'effacer les mauvais souvenirs. Les gens en prenaient pour oublier les horreurs de la guerre... Mais sa consommation est devenue interdite quand Snow a pris le pouvoir, c'était il y a très longtemps... Ils disaient tous « la voraline, la drogue qui dévore vos mauvais souvenirs » »

Je reste bouche bée quelques instants.

« Pourquoi a t-elle été interdite ?, demandé-je pour tenter de mieux comprendre.
- Car les gens en devenaient fous. Ils en prenaient pour oublier mais leur passé revenait toujours. La voraline vous efface vos souvenirs mais vous empêche aussi d'être triste ou de souffrir. Mais on en peut pas tout effacer par magie. Surtout que la voraline laisse toujours des séquelles : de vielles croutes immondes rougeâtres à l'endroit où les drogués se piquaient. »

En entendant cela, je lui montre mon avant bras. Maintenant il n'y a plus de doute, j'ai été drogué.

« Des que tu te piques, les croutes apparaissent. Mais plus tu te piques au même endroit, plus l'effet de la drogue est dissipé. C'est pourquoi, les addictifs commençaient à se piquer partout sur leur corps et se transformaient petit à petit en zombie. C'était effrayant... »

Mags marque une pause après ça. On dirait que des souvenirs lui remontent à la tête. A t-elle déjà vu ces « zombies » de voraline ?

« Et il n'y a pas de remède... il faut juste avec le temps réussir à combattre son addiction, continue t-elle en me regardant droit dans les yeux. »

Je regarde mon avant-bras.

« Je n'y suis pas addictive, on me forçait la plupart du temps à me piquer ou à prendre des cachets.
- Ça c'est ce que tu crois, dit-elle tristement en m'attrapant les mains. Quand les souvenirs reviendront, cela te fera beaucoup de mal. Déjà ton cerveau se réactivera en quelques sortes, tu auras énormément mal à la tête. A l'époque certains préféraient se tirer une balle... Puis les souvenirs refoulés, donc les plus tristes, reviendront comme des hallucinations. C'est effrayant. Tu auras l'impression de cauchemarder éveillé... »

Le discours de Mags n'est pas du tout rassurant. C'en est trop pour moi, sans que je le contrôle, des larmes me montent aux yeux. Ce qui m'attend paraît tellement horrible. Ai-je vraiment envie de l'endurer au fond ? Ai-je encore la foi pour vivre ? Mon esprit est beaucoup trop embrouillé sur le moment pour réfléchir à de telles questions. A côté de moi, Mags se masse la gorge. On dirait qu'elle a épuisé son cota de mots pour la journée. En me voyant attristée, elle me prend dans ses bras et me caresse le dos comme elle a l'habitude de le faire. Puis elle m'informe qu'elle va rentrer chez elle me préparer un dîner et que je devrais la rejoindre quand je me sentirais mieux. Elle m'embrasse le front puis s'en va. Rapidement je me retrouve alors seule, et je n'aime pas trop ça. En me promenant dans la maison, je me rends compte que ce n'est pas la même que celle où je vivais avant. Là, je suis dans ma maison de Vainqueur, la mienne, celle que j'ai gagné. Bien que je sache que cette maison n'est pas du tout décorée, je vois parfois les pots de fleurs que posaient ma mère sur l'armoire, ou encore les filets de pêche troués de mon père que je devais lui réparer : c'est le début des hallucinations et Mags avait raison, un mal de tête me prend soudainement. Je me souviens que ma mère me conseillait toujours d'aller me poser à la plage à écouter les vagues s'échouer quand j'étais malade. Cette pensée me fait un drôle pincement au cœur. Mes parents, je les avais complètement sortis de ma mémoire, car ils sont un mauvais souvenir pour moi maintenant qu'ils sont morts... Je me mets à pleurer. Je ne sais rien de leur mort. Quand ? Comment ? Où ? Je ne peux peut être pas savoir où ils sont morts mais j'ai espoir qu'ils se soient fait enterrés au cimetière de la ville. C'est donc décidé, je sèche mes larmes, mets des bottes et sort dehors à la recherche de la tombe de mes parents.

Violet OdairOù les histoires vivent. Découvrez maintenant